Court métrage

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Faire court est un art difficile, et la concision et une qualité trop rare pour ceux et celles qui prétendent se vouer tout entiers au difficile métier de cultivateur de mots. Et croyez-moi, je sais de quoi je parle, moi qui ai une crainte maladive de la ligne droite, du terrifiant point A au point B, moi qui préfère emprunter quelques détours syntaxiques tordus en semant au passage, tel un petit poucet, une longue enfilade d'adjectifs et de subordonnées à la pertinence parfois douteuse. Et voilà que je m'égare, encore. Mieux vaut prendre exemple sur T.C. Boyle, David Means et Nathaniel Hawthorne, trois Américains dont les récits brefs et vibrants ont fini d'achever mes maigres temps libres la belle saison durant.

Difficile de faire court, donc. Tentons de retenir la leçon. Il faut avouer que, contrairement à une grande majorité des lecteurs profitant des beaux jours pour se tailler un chemin à travers le pavé qui les a, l’hiver durant, nargués en prenant la poussière sur leur table de chevet, l’été rime, pour moi, avec la découverte de textes brefs. Dans mon imaginaire, le roman se déguste au chaud alors que dehors tombent les flocons, tandis que la nouvelle s’apparente à un alcool fin, glacé et vif que l’on sirote la tête baignée par le soleil, à temps perdu, sur un banc de parc ou une chaise pliante.

C’est dans de telles prédispositions que j’ai parcouru les 25 histoires bizarres de T.C. Boyle, écrivain passé maître dans l’art de la nouvelle et collaborateur régulier des magazines Esquire, Harper’s et Playboy — preuve qu’il y a bel et bien de bons articles à lire dans ce dernier. Comme ces prédécesseurs, 25 histoires d’amour et 25 histoires de mort, 25 histoires bizarres confirme le talent de Boyle, proche des bonzes de l’âge d’or de la science-fiction tels Robert Silverberg ou Ray Bradbury, avec qui il partage d’ailleurs un sens du détail doublé d’un rigoureuse technique narrative.

Et comme c’est souvent le cas dans l’art du short story à l’américaine, on en profite pour régler ses comptes avec nos amis les humains. Ainsi, dans «Le Grand Garage», un homme est prisonnier d’un gigantesque atelier de mécanique, et condamné à attendre avec d’autres pauvres clients parqués comme de vulgaires outils que leur voiture soit réparée. Dans «Après le fléau», un écrivain survit à une terrible épidémie ayant décimé la planète pour enfin croiser une autre miraculée, sorte d’Ève moderne et promesse de renaissance de l’humanité. Or, ladite promesse d’espoir a un caractère de cochon. Pis encore, elle s’est fait ligaturer les trompes il y a belle lurette. Plus loin, Boyle règle son compte à la gloire instantanée sur la Toile dans «Téléréalité», une histoire d’amour un peu tordue qui doit beaucoup à l’objectif d’une webcam. Ailleurs, on trafique des enfants, on participe à des concours de goinfrerie ou on devine en nombre de pages à lire le temps qu’il nous reste à vivre.

Qu’est-ce que les nouvellistes comme Boyle mettent dans leur thé, ou dans leur pipe, pour pondre de tels récits? On n’oserait pas le dire (mais on aimerait bien en être certains) et quoi qu’il en soit, ils projettent de l’Amérique une vision pour le moins déjantée et, par moments, un brin inquiétante. Le pays de l’Oncle Sam se révèle chez T.C. Boyle un lieu où les miracles attendent au coin de la rue entre deux bouis-bouis sordides et graisseux, au comptoir d’un Dunkin’ Donuts, ou même au cœur des banlieues cossues, véritables fourmilières de bourgeois stupides ou arrogants. Une Amérique reposant sur des mythes usés, des fondations moisies et des restes de miroirs déformants. Esprit de Kafka, es-tu là?

Un petit roman de l’Amérique
La vision de Boyle entretient quelques ressemblances avec celle du jeune David Means, que l’on présente comme l’un des plus beaux espoirs de la littérature américaine. Le recueil De petits incendies (Albin Michel) a su trouver son public, et Gallimard a eu du flair en mettant la main sur Le Poisson secret, un second recueil surprenant, résolument éclaté. Maniant la plume avec une dextérité déconcertante, et ce, dans plusieurs registres allant du récit de mœurs à la parodie du style journalistique en passant par un fantastique contemporain et noir, Means reconstruit de toutes pièces une bien étrange Amérique. On croise un homme qui se fait constamment frapper par la foudre, un pianiste dont les doigts s’alourdissent et qui ne peut plus jouer, un poisson rouge particulièrement tenace, une serveuse du Michigan recevant des conseils de Jésus en personne et plusieurs épaves errant de par les routes et les sentiers peu fréquentés du continent. Mais parmi les plus belles trouvailles de Means, citons cette recension minutieuse et truffée d’humour des hommes-poussière, qui surgissent en pleine campagne, en ville ou dans les contours d’un nuage atomique. Rejetant la forme classique de la nouvelle à chute, Means a un faible pour l’inusité, le non-sens, et s’offre quelques libertés stylistiques en prenant le texte à bras-le-corps pour en triturer la forme et en tester les limites. Il y a dans Le Poisson secret de la graine de génie fantasque, comme les signes de l’éclosion prochaine d’un auteur qui, s’il se donne la peine de tenter l’expérience, pourrait très bien, dans le futur, écrire le « grand roman de l’Amérique », si une telle œuvre peut un jour exister.

Hall des pas perdus
Enfin, un peu plus tard dans l’été, alors que je dégustais toujours les récits de Boyle, je fis la rencontre, dans les allées d’une librairie, du curieux opuscule signé Nathaniel Hawthorne, noble figure des lettres américaines, et qui portait un bien intrigant titre : Le Hall de l’Imagination. Dans ces trois nouvelles, inédites en français, au ton guilleret mais non dénué de profondeur, l’auteur de La Lettre écarlate tisse une fable comique sur les méandres de la création et les racines de la gloire ou du génie. Il a choisi comme contexte un lieu fabuleux, le Hall de l’Imagination, qui serait situé au Pays de e Part. Là, les hommes dotés d’esprit et de lettres (l’un de ne va pas toujours avec l’autre et vice versa) viennent se ressourcer, trouver l’inspiration comme on va à la chasse aux papillons. Joli, discret et publié avec soin par les Éditions Allia, ce petit ouvrage ravira les curieux et les amateurs de littérature classique, qui découvriront une autre facette du talent de Hawthorne. Et puis parions que T. C. Boyle et David Means s’y sont rejoints, dans ce fameux Hall de l’Imagination. Qu’il ont même pris le temps de siffler un (ou plusieurs) verres, le temps de faire le plein avant de repartir épater les fervents consommateurs d’imaginaire qui vivent en ce bas monde et de leur chauffer les neurones, à ces prisonniers de trop de tristes récits.

Bibliographie :
25 histoires bizarres, T.C. Boyle, Grasset, 416 p., 34,95$
Le Poisson secret, David Means, Gallimard, coll. Du monde entier, 256 p., 34,50$
Le Hall de l’Imagination, Nathaniel Hawthorne, Allia, 96 p., 10,95$

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