Plusieurs livres sont qualifiés d’hilarants ou de comiques, mais peu nous font réellement rire fort. À plusieurs moments, avec Les Poules des prairies partent en tournée entre les mains, j’ai pouffé de rire et ma famille se retournait en demandant des yeux pourquoi je riais toute seule de même.

Fidèle à son style, drôle, sincère et avec une répartie hors du commun, l’autrice Dawn Dumont m’a fait voyager dans les années 1970 avec une troupe de danseurs de pow-wow recrutés à la va-vite et qui doivent faire des représentations en Europe. Les Poules des prairies partent en tournée est un pur plaisir de lecture où on se demande à tout bout de champ dans quelle situation ils vont se ramasser et aussi qui va se mettre en couple avec qui. Les personnages, stéréotypés et assumés (la fille charmeuse, la tante pieuse, le cow-boy solitaire, le jeune bandit), offrent des dialogues et des fils de pensée très caractéristiques de l’humour des Premières Nations. Comment décrire cet humour? Je dirais rire de soi-même et de sa condition, dans la spontanéité du moment. Dumont a en plus cette qualité d’écriture d’une grande maîtrise des dialogues et du rythme. Les danseurs de la troupe m’ont fait vivre un vrai vaudeville, un théâtre flamboyant et comique où le trouble arrive à chaque détour, mais où on ne l’attend pas. Très difficile de déposer ce livre pour retourner travailler ou aller se coucher, je vous avertis!

La critique sociale est également très présente et tout en nuances et en dérision tout au long des pérégrinations de la troupe. Avec un humour pince-sans-rire, tous les messages basés sur les réalités politiques et historiques, comme celles de la signature des traités avec le gouvernement canadien, passent à merveille : « Nadine a murmuré entre ses dents : “C’est juste parce que je suis une femme, ça. Aucun homme aurait eu à se farcir des contrats de merde comme ça.” — Ben, y a eu les traités, a chuchoté John, assis juste à côté d’elle. — Fait que c’est parce que je suis une Indienne, dans le fond? a demandé Nadine. »

On peut aussi y voir comment les gens des pays du vieux continent agissent en présence d’une troupe de danseurs de pow-wow : folklorisation maniaque, méconnaissance, désir de mimétisme d’un passé révolu et surtout, puissance du mythe qu’a véhiculé le cinéma partout dans le monde. Quand ils sont en Allemagne, plusieurs scènes cocasses ont lieu, comme celle-ci : « Deux grands bonhommes aux tresses noires sont entrés dans la tente. Leur peau était marbrée, comme si le soleil avait réagi bizarrement au contact de leur… maquillage? Ils s’étaient noirci les pommettes pour les rendre plus saillantes. En plissant les yeux, on pouvait se croire en présence de deux parfaits Indiens… d’Hollywood. »

Chapeau aussi à la traduction de l’anglais des Plaines en version québécoise de Daniel Grenier, qui ajoute du charme à cet humour auquel on peut vraiment bien s’identifier. Plein d’étoiles pour ce roman qui fait du bien et fait décrocher des choses de la vie en regardant une réalité sous un autre angle tout en dénonçant de façon parfaite l’image clichée des Autochtones.

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Avec un regard social aigu et un humour bien dosé, Thomas King ne déroge pas de ses habitudes. On suit dans le roman Seuil de tolérance une foule de personnages très drôles et attachants (la traduction de Daniel Grenier est, encore une fois, franchement très fluide. À part le mot bologne sur lequel j’ai accroché et qui devrait être selon moi baloney, désolée de te dire ça ici, Daniel!).

Jeremiah Camp habite le vieux pensionnat de la communauté autochtone où il est né. Tout le monde se demande comment il a fait pour l’acquérir. Il s’est donné pour mission d’enlever toutes les croix blanches du cimetière adjacent où sont enterrés plusieurs enfants, afin de leur offrir une tombe qui ne serait pas reliée à la religion qui les a menés là. Sans relâche, il travaille. Même s’il est un être spécial et replié sur lui-même, d’autant plus qu’il arrive de la ville et que personne ne connaît son passé, on peut tout de même voir comment l’accueil qu’il reçoit dans la petite communauté est familial.

La réserve est en décrépitude — roulottes avec moisissures, absence d’eau potable, électricité par génératrice —, mais ses habitants sont solidaires. Le personnage du maire de la ville qui jouxte la communauté est parfaitement haïssable. Il veut déplacer le village, construire un centre d’achat et des condos à la place des vieilles roulottes de la réserve et s’approprier des terres de traités. J’ai beaucoup ri chaque fois qu’il est décrit ou qu’il intervient, c’est difficile de faire plus gossant que ça comme personnage! Il représente à lui seul l’attitude mercantile dénuée d’empathie.

L’ancienne vie de Jeremiah, surnommé l’oracle, est surprenante et finit par le rattraper dans sa retraite au village. Grâce à ses « dons » et à ses prédictions, ses capacités sont précieuses pour résoudre une série de morts de multimilliardaires, dont les noms se retrouvent sur une liste qu’il avait prédite. Ceux qui viennent le chercher ne lui donnent pas trop le choix de les aider…

Jeremiah est un solitaire incarné. Mais sa communauté est si soudée qu’il en devient un personnage important. On s’attache très vite aux gens de la réserve qui créent l’ambiance et sont solidaires, surtout dans leur façon d’accepter Jeremiah. On le voit aussi s’ouvrir, lentement, aux autres grâce à la venue d’une petite fille presque magique tellement elle est cute. On suit également les corneilles, personnages qui sont là comme spectateurs tantôt actifs, tantôt passifs. J’aime beaucoup aussi sa compréhension très sage des corneilles, qui agissent tout au long comme des personnages centraux et rassurants : « Sous le clair de lune, le long de la rivière, je distingue les silhouettes des corneilles, accroupies sous les arbres. Je sais bien qu’elles ne sont pas rassemblées ici pour moi, qu’elles s’en fichent que je sois de retour et en sécurité. Mais de les voir, comme ça, c’est quand même réconfortant. »

Côtoyant naturellement extrême richesse et extrême pauvreté, ce roman de Thomas King aborde avec beaucoup d’humour et de sobriété des réalités pressantes, mais avec une sorte de détachement patient. Il critique le monde capitaliste et son influence dans la crise planétaire d’une façon très habile. « — Les polices montées son impressionnantes, dit Nutty. — Ouais, dit Ada, si j’étais un bout de propriété privée, je me sentirais probablement en sécurité. »

Dans le même genre : Éveil à Kitchike, de Louis-Karl Picard-Sioui, Frétillant et agile, de Jocelyn Sioui et Bienvenue, Alyson, de J. D Kurtness.

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