Un peu de science et quelques chevaux

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Vous connaissez sans doute Stéphane (Le prof) Durand grâce à ses chroniques de vulgarisation scientifique présentées à l’émission Les années lumière, sur les ondes d’Ici Radio-Canada Première. Je suis de ceux et celles qui pensent que la science, ses résultats et la manière dont elle y parvient sont indispensables à la tenue et à la qualité de la conversation démocratique, et c’est pourquoi je considère la vulgarisation scientifique comme une des plus nobles tâches qui soient. Mais, il faut le dire : c’est aussi une des plus difficiles. Le prof Durand – et les chroniques qu’il réunit dans Les carnets insolites du prof Durand le montrent bien – s’en acquitte magnifiquement et il apporte même à cette entreprise un ton qui lui est propre et qui en fait le charme.

Insolite!
Sans délaisser la rigueur, Durand propose des réflexions qui ont pour amorce ce qui pourrait advenir demain, ou plus tard, en regard de l’état de la science actuelle. Il s’agit chaque fois de quelque chose d’amusant, séduisant, intrigant, merveilleux, spectaculaire, parfois aussi affolant, et qui soulève des questions auxquelles chacun a envie de réfléchir. Le mot qui décrit bien le type de sujets abordés et sa manière de le faire est celui que Durand a choisi : insolite.

Pour vous mettre en appétit, voici quelques-uns de ces sujets, chaque fois exposés en quelques pages. Quelle quantité d’information a-t-on en mémoire et de quelle puissance devrait être la clé USB qui pourrait la contenir? Voyager dans le passé est-il conceptuellement possible? Le fera-t-on prochainement? La théorie physique des mondes possibles permet-elle de penser qu’il existe de multiples copies de vous dans différents univers? Que pourront faire les ordinateurs demain? Doit-on le craindre? Le cher libre arbitre est-il une illusion? Vit-on dans une sorte de simulation semblable à celle qu’on décrit dans le film La matrice? La télépathie est-elle pour bientôt?

Aux personnes qui trouvent que les philosophes avancent parfois des théories qui heurtent tant le sens commun qu’elles sont impossibles à envisager, j’ai souvent suggéré de regarder du côté des sciences, qui vont beaucoup plus loin encore dans la promotion (et parfois la démonstration) de théories qui heurtent le sens commun. Je leur offrirai désormais ce livre qui en fait la preuve. Un de ses nombreux mérites est d’inviter le lecteur à exercer son intelligence et son imagination de manière à envisager et à penser autrement le monde qui l’entoure. Au fait, quel est-il, ce monde? Qu’est-ce que la réalité? Est-elle bien… réelle? C’est justement une autre des questions que soulève Durand.

Offrir ce livre à un ou une scientifique est chaudement recommandé : il y apprendra des choses, mais y glanera aussi quelques idées sur la manière de parler de science au grand public, lequel en a bien besoin. Or, l’offrir à des gens qui ne s’intéressent pas ou peu à la science, ou qui en sont rebutés, est aussi chaudement recommandé. Je suis convaincu que tout le monde aura envie, après un chapitre ou un autre, d’aller plus loin; et le livre propose justement des indications pour le faire à la fin de chaque chapitre.

Des chevaux en ville?
Dans la préface qu’elle signe dans le passionnant ouvrage intitulé Le cheval au service de la ville, Marie Hélène Poitras invite à imaginer des scènes pour le moins étonnantes. On est en janvier, dans le quartier Rosemont à Montréal, et les sapins dont on se défait sont ramassés par un véhicule tiré par… un cheval. L’école reprend et c’est un véhicule tiré lui aussi par des chevaux qui remplit la fonction d’autobus scolaire; on devine les enfants ravis. L’équipement dont se servent les employés municipaux qui travaillent dans les parcs est lui aussi transporté par des chevaux. Cela est impossible? Utopique? Le livre d’Olivier Linot et Daniel Simon invite à penser que la réponse pourrait bien être non et il raconte pour cela ce qui s’est passé en France, dans une ville (qui n’a ni la taille ni le climat de Montréal, il est vrai) appelée Trouville-sur-Mer.

Tout commence en 2000. Trouville-sur-Mer compte quelque 5500 habitants en semaine et… 20 000 en fin de semaine, ce qui pose un problème de ramassage de déchets, surtout du verre utilisé par les restaurants. Un véhicule motorisé coûte cher. On suggère alors d’utiliser un cheval. L’affaire se fait et un percheron appelé Festival de mai commence bientôt à arpenter une ville qu’il va profondément transformer. Peu à peu, d’autres chevaux – et un âne – se joignent à lui. Ils tondent les gazons, amènent les enfants à l’école, aident au ramassage et transport divers. On découvre bien vite les avantages économiques et écologiques de ce recours aux chevaux, et on aura deviné son rôle dans la lutte contre la motorisation outrancière des villes.

Se joue aussi, sur un autre plan, une certaine manière d’occuper l’espace urbain qui engendre de nouveaux rapports humains. Le cheval se fait médiateur, crée des liens entre les personnes. Sa présence favorise « la bonne volonté des gens quant à l’environnement, renforce et favorise la démarche écocitoyenne ». Les gens ne parlaient pas au travailleur, mais voici qu’ils s’arrêtent désormais pour lui parler depuis qu’il a son cheval avec lui. Du côté des enfants, on aura deviné la joie du transport scolaire par cheval. « […] le cocher est obligé d’organiser une rotation pour qu’ils caressent les chevaux, afin de ne pas perdre de temps dans sa tournée. Chaque enfant a ainsi “son” tour. […] Aucun autobus scolaire ne pourra jamais rivaliser avec ça! »

En effet!
L’expérience de Trouville-sur-Mer avait eu quelques précurseurs moins connus. Elle a vite eu des émules, au point où de grands groupes comme Sita et Suez s’intéressent à présent à ce qu’on appelle désormais l’hippomobilité urbaine. Ce livre, d’une jouissive lecture, pourrait donner des idées, d’autant, je l’ai appris dans ses pages, qu’on a développé ici des races de chevaux bien adaptées au climat québécois.

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