Le très attendu deuxième tome (et dernier) de la magnifique biographie de Guy Rocher que signe Pierre Duchesne est paru il y a quelques mois.

Les personnes œuvrant en éducation ou s’intéressant à elle — ce qui finalement inclut à peu près tout le monde — liront avec délectation les chapitres que Duchesne consacre à la commission Parent.

Lire ces chapitres, mais cela vaut pour le livre tout entier, c’est se replonger, à travers le parcours de ce géant, dans l’histoire plus ou moins récente du Québec, ce qui est nécessaire pour mieux comprendre ce qui a été accompli, les défis auxquels nous faisons aujourd’hui face et tout ce que nous devons à M. Rocher.

C’est le cas autour de la question de la laïcité, à laquelle Duchesne consacre deux chapitres.

La commission Parent et la laïcité
Le premier (chapitre 6) nous ramène en 1965.

La commission Parent doit rendre son dernier rapport, mais va de retard en retard. Une des principales raisons est l’épineuse question de ce qu’on nommerait aujourd’hui la laïcité, mais qui sera traitée dans le rapport (Tome III, section V) sous le nom de confessionnalité scolaire.

Trois ans auparavant, on avait confié à M. Rocher la rédaction d’un texte sur cette délicate question. Avec beaucoup d’humour, il l’avait intitulé : « Essai d’introduction préliminaire à une tentative pour une première approche en vue d’un début de solution approximative à ce qui peut sembler être la méthode pour éviter de moins en moins le problème de la confessionnalité »!

Il faut se rapporter au Québec d’alors, avec une population souhaitant largement le maintien d’un système scolaire confessionnel, avec des accusations d’athéisme aisément lancées contre les partisans d’école neutres, avec un mouvement laïque naissant et avec, en toile de fond, un monde en pleine transformation, Vatican II et une profonde sécularisation de la société et de ses institutions, notamment d’éducation.

Portez sur tout cela le regard aiguisé d’un sociologue qui pense la religion comme pratique individuelle, mais aussi comme institution sociale, et vous comprenez le titre du texte de M. Rocher et, en prime, la raison pour laquelle les membres de la commission sont profondément divisés sur la question de la confessionnalité.

On arrivera néanmoins à une sorte de compromis, garantissant la confessionnalité des écoles, mais pas celle des structures administratives et étatiques. C’est un premier pas, imposé par les circonstances, vers la laïcité de l’école.

La laïcité de l’école québécoise aujourd’hui
Une quarantaine d’années s’écoulent durant lesquelles d’autres pas ont été faits dans cette direction, tandis que la société québécoise change profondément, notamment grâce à la commission Parent.

C’est alors l’époque de ce qu’on appellera la « crise des accommodements raisonnables ». M. Rocher est présent dans les débats publics qu’ils suscitent et ne cessera de l’être dans tous ceux qui vont suivre sur la question de la laïcité. Pour lui, et il a bien raison selon moi, ce que révélera cette crise et les autres à venir (rapport Bouchard-Taylor, Charte des valeurs, débats sur la nature de la laïcité [ouverte ou non], multiculturalisme et interculturalisme…), c’est que « la réflexion politique, philosophique, sociologique, historique et juridique sur la neutralité de l’État n’a pas suivi. […] nous ne l’avons pas beaucoup étudiée, ne l’avons pas assez approfondie ».

M. Rocher, lui, fera ce travail, sera sur la place publique, débattra avec des adversaires, écrira.

Il nous rappellera par exemple de nouveau l’importance de considérer les religions comme des institutions, cela contre un certain individualisme si présent aujourd’hui. Dans un mémoire présenté en 2013, il écrira que « cette approche individualiste et individualisante du respect des convictions religieuses dans les institutions publiques est non seulement en rupture avec le principe qui a inspiré notre neutralité religieuse, mais surtout elle ne règle rien pour l’avenir ».

Contre le concept de laïcité ouverte, qu’il juge être une laïcité de complaisance, il défendra une laïcité républicaine. Et il rappellera, avec Daniel Baril avec qui il signe un texte, que « l’idée selon laquelle la laïcité s’impose aux institutions et pas aux individus qui y œuvrent est un faux-fuyant conduisant à nier le principe de laïcité ».

Arrive le gouvernement Legault avec sa loi sur la laïcité, que Rocher juge modérée. Il se désole que les écoles privées, même subventionnées, et les CPE en soient exclus. Lui qui dispose d’un riche recul historique écrira que « la laïcisation de la société québécoise, depuis la Révolution tranquille jusqu’à aujourd’hui […] est un des phénomènes historiques et sociologiques des plus importants dans notre histoire du Québec ».

Mais cette laïcisation n’est pas achevée, entre autres en éducation. M. Rocher lira par exemple « avec beaucoup de colère » le jugement Blanchard qui soustrait les commissions scolaires anglophones à l’interdiction du port des signes religieux au nom de la Charte canadienne des droits et libertés. Et il rappellera le péril qu’il y a, pour la laïcité, d’accorder la priorité aux convictions religieuses des enseignants plutôt qu’à celles des élèves et des parents.

On peut en être certain : des controverses et des débats vont encore survenir autour de ces questions. On peut parier que M. Rocher continuera d’alimenter la conversation démocratique avec la grande sagesse dont il n’a cessé de faire preuve.

Merci encore, M. Rocher.

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