Je vous parle cette fois de ces insectes que nous avons domestiqués, dont nous sommes en quelque sorte les bergers et qui nous sont aussi précieux qu’ils sont menacés. Devinez-vous desquels il s’agit? Je vous parle ensuite de tous ces animaux dont nous nous nourrissons et dont nous faisons mille usages, mais surtout de celles et ceux qui trouvent ces pratiques indéfendables.

Nous avons tous appris cela à la petite école.

La fécondation des fleurs, leur pollinisation, demande le transport du pollen (mâle) vers le pistil (femelle) et leur union. Le vent, l’eau, les oiseaux peuvent faire une part de ce travail, mais ce sont surtout les insectes ailés qui s’en chargent, en échange du nectar sucré que leur offrent les fleurs. Abeilles et papillons accomplissent ainsi, gratuitement, une tâche écologique essentielle dont nous bénéficions avec les légumes et les fruits, miel des abeilles (surtout domestiques) offert en prime.

Sachant cela, vous risquez, comme moi, de frémir d’effroi en lisant le percutant début du beau livre que Jean-Pierre Rogel consacre à la crise desabeilles. Il y décrit en effet un district de la Chine où les paysans grimpent aux pommiers pour, à l’aide d’une tige de bois, polliniser les fleurs à la main : sans cela, ils n’auraient pas de fruits. C’est que depuis une trentaine d’années, en cet endroit, on manque d’insectes pollinisateurs.

Vous voilà accroché et vous suivrez Rogel dans sa belle et instructive enquête sur le déclin des abeilles, apprenant au passage énormément de choses sur cet insecte domestiqué et sur son crucial rôle écologique.

On a suspecté divers coupables (virus, bactéries…) pour expliquer la crise des abeilles – notons que si leur nombre augmente en certains lieux, leur santé semble, elle, se détériorer. La science, dit Rogel, a désormais tranché : un parasite appelé varroa joue un rôle destructeur, mais ce sont les pesticides utilisés en agriculture, et en particulier ces immensément populaires néonicotinoïdes dont on enrobe les semences, qui sont massivement en cause : en se dispersant dans l’environnement, ils intoxiquent les abeilles et l’écosystème en général.

Il faut donc interdire ces insecticides, dites-vous? Ici encore, certaines pages de Rogel vous attristeront, c’est le moins qu’on puisse dire. Il décrit en effet la vaste propagande menée par les industriels pour semer le doute sur les conclusions de la science, pour détourner l’attention du public ou pour faire en sorte que les politiques publiques adoptées soient à leur avantage. Mais le consensus scientifique est solide et les néonicotinoïdes sont à présent partiellement ou totalement interdits ou en voie de l’être dans plusieurs pays – ils ne sont pas encore interdits chez nous. Mais prudence : car si on les remplace par des produits eux aussi toxiques, tout sera à recommencer.

Rogel propose des solutions. Interdire des pesticides toxiques, pratiquer l’écotaxation, sélectionner les abeilles et adopter des mesures leur rendant l’environnement plus favorable, pratiquer une agriculture biologique, informer, lutter contre la propagande industrielle, entre autres.

Il suggère pour finir qu’il existe « un temps des abeilles », « calme et paisible, hors du temps ordinaire », celui « de leur rythme éternel [qui] nous lie au temps profond, celui de l’évolution ». On y est sensible en leur présence et on comprend mieux, dès lors, « le signal d’alarme que nous envoie le déclin des abeilles domestiques et sauvages. Il concerne ces espèces et la biodiversité, il concerne notre place dans la nature ».

Végane?

On compte sur les doigts d’une main les Québécois qui ont publié dans la célèbre et prestigieuse collection « Que sais-je? ». À cette courte liste, il faut désormais ajouter celui de Valérie Giroux, cosignataire avec Renan Larue du clair et pédagogique volume consacré au « véganisme ».

Ce mot, rappellent les auteurs, est entré en 2015 dans les principaux dictionnaires de langue française, ce qui est un indice que se répand la pratique d’un mode de vie respectueux des animaux et la réflexion théorique sur quoi il se fonde.

Les véganes ne mangent pas d’animaux, mais leur combat est plus vaste : ils veulent « ne pas œuvrer, dans la mesure du possible, à l’assujettissement, aux mauvais traitements et à la mise à mort d’êtres sensibles ». Ils refusent donc de manger de la viande (le carnisme), et le premier chapitre du livre explique et propose des avenues pour résoudre ce paradoxe de la viande par lequel, quoique souhaitant que les animaux d’élevage soient bien traités, la plupart des gens les mangent tout de même et contribuent à leur exploitation et à leurs effroyables souffrances.

Mais la philosophie végane va bien au-delà et conduit à refuser les autres produits de l’exploitation animale (laine, cuir, œufs, etc.). Le deuxième chapitre expose donc cette philosophie, dont elle retrace la genèse, avec notamment des philosophes de l’Antiquité, les transcendentalistes américains et les anarchistes, sans oublier le récent renouveau de l’éthique animale, lequel est brillamment présenté. On expose en outre cette importante notion de « spécisme », qui est « à l’espèce, ce que le racisme et le sexisme sont respectivement à la race et au sexe ».

Le chapitre trois dresse, pour plusieurs pays, un intéressant portrait statistique, psychologique, mais aussi économique des véganes, de leurs motivations et des communautés, notamment virtuelles, qu’ils et elles forment.

Le dernier chapitre défend la cause végane contre certaines critiques qui lui sont parfois adressées (il serait « un consumérisme saupoudré de bonne conscience et d’autosatisfaction » pouvant même s’avérer nuisible au droit des animaux), avant d’esquisser une politique du véganisme comme « mouvement de justice sociale visant à terme la libération des animaux du joug humain ». Le véganisme porterait ainsi une promesse de révolution anthropologique, une révolution dont les auteurs aiment à penser qu’elle sera tranquille.

Ce petit livre (quelque 120 pages…) est une lecture incontournable et chaudement recommandée pour aborder un sujet de plus en plus brûlant. Elle vous donnera peut-être envie d’essayer un de ces restaurants véganes qui se multiplient un peu partout ces temps-ci : on y mange généralement très bien, parole de chroniqueur.

Et sans causer de souffrance animale…

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