Deux livres superbement illustrés nous font découvrir des lieux et des gens peu connus… mais qui devraient l’être beaucoup plus.

Vous aimez le jazz? Pour vous consoler de l’annulation, cette année, du Festival nternational de jazz de Montréal, je vous suggère de vous plonger dans le très beau (les superbes dessins sont de Christian Tiffet) et très instructif ouvrage que Serge Truffaut consacre à ceux qu’il appelle les « résistants du jazz ».

Truffaut a longtemps travaillé au quotidien Le Devoir, notamment comme éditorialiste. Mais il est aussi bien connu pour être un grand connaisseur et un grand amoureux de jazz.

Voici de quoi il est question dans Les résistants du jazz, sous cette catégorie de « résistants du jazz » qu’il invente.

Même les simples amateurs connaissent bien les grands noms du genre. Ces poids lourds sont si célèbres, en fait, qu’ils se passent même d’un prénom : Armstrong, Ellington, Parker, Holiday, Coltrane et autres.

Puis viennent les « mi-lourds », comme il les nomme : Dexter Gordon, Dave Brubeck, Sonny Rollins, Ornette Coleman et d’autres.

Ce que Truffaut a en tête, dans ce livre qu’il leur consacre, ce sont les « mi-moyens ». Ce sont eux, les résistants. Ils sont moins connus, pour toutes sortes de raisons. Mais leur œuvre est aussi grande que leur talent. Truffaut les a parfois entendu jouer ; en a connu certains. Il connaît aussi leur vie passée à passionnément jouer et partager, un peu partout sur la planète, leur musique. Ceux qu’il nous présente sont tous décédés. Ils sont aussi tous Américains, car, écrit-il, « même en cette matière, le jazz, il faut compter désormais sur l’antiaméricanisme ».

Vous trouverez donc ici une quarantaine de portraits de ces résistants, parmi lesquels Elvin Jones, Sun Ra, Art Pepper, Johnny Hodges et tant d’autres, souvent bien moins connus que ceux-là. Ils sont entrelacés par des portraits de quatre villes importantes dans l’histoire du jazz aux États-Unis : Détroit, Kansas City, Philadelphie et Los Angeles.

J’attire votre attention sur la postface de l’ouvrage. Truffaut y examine les effets conjugués de la mondialisation des marchés, de la déréglementation, de la recherche exacerbée de profit et des nouvelles technologies sur le monde du jazz (sur sa production et sur sa mise en marché, notamment) et sur ses musiciens. La multiplication des rééditions en est une. Conjugué à cet antiaméricanisme évoqué plus haut, en bout de piste, « le sort réservé aujourd’hui aux musiciens de jazz américains est celui qu’on leur avait réservé hier et avant-hier, à quelques nuances près. Lequel? Des artistes bons à piller. Il faut dire qu’ils osent encore et toujours. Ils contestent. Ils manifestent. Ils politisent. Alors… »

Événements
J’écris ce texte le 11 avril, date anniversaire de la mort de Jacques Prévert (1900-1977), et c’est à lui, plus précisément au poème intitulé Événements, que la lecture du livre Regards croisés : De l’Arctique à l’Afghanistan de Fabrice de Pierrebourg et Marc-André Pauzé m’a fait penser.

Comme dans le poème, on y est en effet témoin, dans une langue belle et poétique, de divers événements, parfois tout simples et quotidiens, parfois graves et dramatiques, qui sont racontés avec précision et une belle tendresse envers les personnes qui en sont les acteurs ou les spectateurs.

On pénètre ainsi, par ces instantanés du quotidien, dans le vécu de gens et de cultures que nous ne connaissons guère, voire pas du tout. Ces événements se déroulent en effet un peu partout sur la planète, mais dans des endroits qui sont peu familiers à la plupart des gens, sauf de ces globe-trotteurs que sont justement les deux auteurs, et de leurs semblables. Chaque fois, le texte de Pierrebourg est accompagné d’un ou plusieurs fort beaux dessins de Pauzé.

Deux exemples vous donneront une juste idée du contenu de ce superbe livre, qui vous fait voyager de l’Arctique à l’Afghanistan, en passant par l’Irak, la Russie, Haïti, le Liban, la Syrie et j’en passe, mais sans oublier le Haut-Arctique du Canada.

Nous sommes le 8 mars 2008, à Kandahar, en Afghanistan. Sur la page de gauche, vous voyez, justement, cadeau de Pauzé, un dessin représentant une rue de la ville.

Pauzé raconte.

Des femmes en burqa de différentes couleurs se faufilent dans la modeste enceinte du Département des affaires féminines, pour célébrer, discrètement, la Journée internationale des femmes. C’est qu’entre discriminations, inégalités, agressions à l’acide, droit à l’éducation bafoué et j’en passe, le pays est particulièrement dur pour elles.

Avec l’auteur, vous êtes témoin de ce qui se passe là, des discours prononcés, des espérances qu’on garde vivantes. Vous sortez avec tout le monde, tout aussi discrètement, ému et bien conscient, en retournant dans les rues de la ville, de la grande importance de ce qui s’est tenu là. « Ce samedi était un jour comme les autres dans le sud de l’Afghanistan. Sauf pour cette centaine de femmes. »

Nous sommes cette fois avec Pierrebourg et Nathalie à Madagascar. Un long périple en 4 × 4 nous mène à Ilakaka, une ville où il vaut mieux ne pas s’arrêter, voire passer. La minuscule bourgade a en effet beaucoup changé depuis qu’en 1998 on y a découvert un des plus importants gisements de saphir au monde.

Trafiquants, voleurs, mercenaires, prostituées, faussaires, mafiosi y font leurs sordides affaires. Le Bureau international du travail (BIT) s’y intéresse notamment à cause du travail des enfants. Ils seraient 19 000 à y travailler. Pierrebourg et Pauzé vous en feront rencontrer.

Vous avez compris. Voici un beau livre. Tendre. Émouvant. Humain. À savourer.

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