Le célèbre linguiste et militant jette son regard acéré sur notre monde. Le 7 décembre prochain, Noam Chomsky, né en 1928, fêtera ses 94 ans. Depuis les années 50 du siècle dernier, il a été au cœur de la vie intellectuelle, mais aussi, et c’est une chose assez rare qui mérite d’être signalée, de la vie politique et militante.

Chomsky a laissé son immense marque en linguistique, sa grande idée étant que nous possédons par naissance une aptitude au langage. Ses idées, qui adoptent et défendent des positions sur l’esprit humain et sa nature ainsi que sur ce que nous possédons de manière innée, ont aussi été très influentes en philosophie, en psychologie et dans d’autres secteurs.

Mais Chomsky est aussi un penseur et un militant qui s’inscrit dans le courant anarchosyndicaliste. Il n’a cessé, à ce titre et durant toutes ces années, d’être présent et actif dans l’espace public et dans une multitude de combats.

Ces dernières années, c’est souvent par des entretiens accordés à de nombreuses personnes qu’il s’est exprimé et c’est justement le cas pour la plupart des textes de cet ouvrage qui paraît, au Québec, chez Écosociété : Une vie de militantisme.

L’ouvrage comprend quatre parties. La première revient sur le parcours militant de Chomsky. La deuxième parle plus généralement de militantisme et de mouvements sociaux, passés et présents. La troisième, de sujets actuels que Chomsky juge gravissimes et sur lesquels il nous alerte. Ce chapitre n’est pas un entretien, mais un long texte de Chomsky. La quatrième partie réunit des témoignages et des réflexions de militantes et militants ayant été inspirés par Chomsky.

Un impressionnant parcours
On commence cette partie en revenant sur le parcours du militant et ces deux chapitres sont une belle introduction à cet aspect de la vie de Chomsky. Il revient notamment sur sa jeunesse d’enfant juif dans un quartier de Philadelphie, sur le premier article qu’il écrit à 10 ans (!) sur la chute de Barcelone durant la guerre d’Espagne, sur la Deuxième Guerre mondiale et sur son implication dans la lutte contre la guerre menée par les États-Unis au Vietnam.

Celui qui deviendra immensément célèbre et attirera les foules dans ses conférences un peu partout dans le monde prend alors souvent la parole dans les cuisines des voisins ou les sous-sols d’églises.

On parle aussi dans cette partie d’événements politiques plus récents, concernant notamment la Palestine, le Brésil, l’Australie et d’autres pays.

Une pensée toujours actuelle
La deuxième partie du livre, qui porte sur le militantisme, comprend de nombreux passages qui feront jaser et méditer. En voici trois exemples, en espérant vous donner le goût de lire cet ouvrage.

Chomsky soutient que si les luttes identitaires sont essentielles et importantes, elles présentent aussi un danger : qu’on tourne le dos aux luttes des classes, aux combats économiques. « Il faudra renouer avec cette dimension », dit-il.

Il avance aussi que « des éléments minoritaires de l’extrême gauche appliquent des tactiques qu[’il] juge autodestructrices, dénuées de principes, qui leur nuisent autant qu’elles nuisent au reste de la population ».

Enfin, sur ces déboulonnages de statues auxquels on assiste parfois, il dira : « érigeons [plutôt] des monuments qui témoignent de la vraie nature de l’esclavage aux États-Unis. […] Ce n’est pas en déboulonnant des statues qu’on y parviendra, mais en conscientisant les gens. […] Plutôt que d’enlever [la statue de Robert E. Lee], enseignons l’histoire de l’esclavage. »

Dans cette partie du livre, Chomsky parle souvent du réchauffement climatique : « Les menaces sont très graves et l’action ne peut plus attendre », rappelle-t-il. La troisième partie y revient abondamment.

Un suicide collectif
Il reste du temps, dit Chomsky, qui s’appuie sur de nombreuses sources crédibles et importantes, pour sauver la société humaine organisée, « mais pas beaucoup ». Selon la fameuse horloge du Bulletin of the Atomic Scientists, nous étions, en 2020, à 100 secondes de minuit…

Chomsky revient aussi longuement dans ces pages sur les inactions, les hypocrisies, le cynisme et les mensonges de l’administration Trump, qui est alors au pouvoir, notamment dans son effrayante gestion de la pandémie. Quand elle se déclenche, les mesures de dépistages sont tellement insuffisantes que « dans la citadelle du néolibéralisme, l’État n’est même pas en mesure de recueillir les données et encore moins de fournir les ressources nécessaires ou une réponse coordonnée ».

Ces pages sont dures à lire, mais Chomsky les conclut en rappelant le mot de Gramsci qui recommandait d’allier « pessimisme de l’intelligence et optimisme de la volonté ». Il faut, selon lui, agir en conséquence « avec énergie et détermination. En faire moins serait une erreur fatale ».

La dernière partie du livre, composée de beaux et parfois émouvants témoignages, nous permet de découvrir l’homme, généreux, passant par exemple plusieurs heures par jour à répondre à des demandes par courriel, et dont l’exemple a encouragé tant de gens à s’engager.

***

Je recommande chaudement ce livre, tant à ceux qui connaissent bien Chomsky qu’aux personnes qui voudraient le découvrir.

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