Des nouvelles de demain

2
Publicité
Il fut une époque, pas si lointaine, où l'avenir imaginé en Occident était plutôt radieux et le progrès, synonyme de bonheur et d'émancipation. Cette époque est révolue.

En fait, on ne compte plus aujourd’hui les ouvrages qui pratiquent ce que j’appelle un prophétisme catastrophique par lequel on nous annonce des horreurs aussi épouvantables qu’inévitables. La palme du genre revient sans doute à Yves Paccalet, qui publiait en 2006 L’humanité disparaîtra, bon débarras, dans lequel il recensait pas moins de treize possibles scénarios de l’apocalypse annoncée. Le titre de l’ouvrage rappelle à lui seul cette misanthropie qui rend une part de cette littérature si détestable. Mais il est vrai que nos institutions économiques et le développement des technosciences, entre autres facteurs, fournissent amplement de quoi alimenter de saines et légitimes inquiétudes. Entre d’une part celles-ci, qui reconnaissent sans s’illusionner les possibles bienfaits d’un certain développement scientifique et technologique, et d’autre part un prophétisme catastrophique misanthropique qui les nie en bloc, un délicat équilibre reste donc à trouver. Il n’est pas toujours facile d’y parvenir. Les deux ouvrages que j’aborde cette fois s’y efforcent.

Promesses et périls des nanotechnologies
Le premier, de Céline Lafontaine, est consacré aux nanotechnologies. Qu’est-ce donc? Richard Feynman (1918-1988), un des immenses physiciens du XXe siècle, a donné le 29 décembre 1959 une conférence qui fait date dans la diffusion des idées qui sont à la base de ces technologies. Elle s’intitulait judicieusement: «Tout en bas, il reste beaucoup de place». C’est que les nanotechnologies (du grec nano: nain; on pensera au iPod qui porte ce nom) sont justement un effort multidisciplinaire pour «trouver de la place» au niveau de l’infiniment petit — celui de l’atome et des molécules.

Ses promoteurs les plus enthousiastes y voient des promesses qui réaliseraient certains des rêves les plus fous des futuristes — comme des matériaux qui s’autoréparent, la fin de la faim dans le monde, la régénération d’organes, voire l’immortalité; ses détracteurs y voient au contraire une énorme dépense de fonds publics mal avisée, et, les plus sévères, les jugent lourdes de menaces graves pour l’humanité.

Lafontaine, qui a déjà publié sur ces questions, a eu l’excellente idée d’interroger une vingtaine de chercheurs et de chercheuses dans ce vaste domaine en ébullition, qu’elle décrit comme un «idéal-type des technosciences contemporaines». Les entretiens menés forment la matière première du texte de Lafontaine, où s’entrecroisent les voix de tous pour tenter de dresser un bilan-prospective des enjeux économiques, sociaux et civilisationnels des nanotechnologies. Le subventionnement de ces recherches, la part qu’y prennent les fonds publics (NanoQuébec, chez nous) et les universités, les doutes et questionnements des chercheurs, les problèmes éthiques qui surgissent souvent, le brevetage, les applications militaires: le texte, qui ratisse large, aborde tout cela et donne à entendre, sur ces questions et plusieurs autres, une heureuse pluralité de points de vue.

Ce qui se dégage de ce regard sociologique est finalement nuancé et montre, comme Lafontaine le dit, à quel point ces technosciences sont «traversées de part en part par des logiques politiques, économiques et sociales».

À mon sens, la chercheuse et certains des intervenants auxquels elle donne la parole ont bien raison de s’alarmer des effets conjugués que l’exigence de rentabilité immédiate et la logique de domination inscrite au cœur de nos sociétés font peser, non seulement sur la recherche technologique, mais aussi sur l’idée de science elle-même. Car à ce jeu de la rentabilité immédiate, où le marché et les corporations décident et commandent, on peut rapidement, comme le dit une chercheuse interrogée, «perdre la science, la vraie science», et «la vraie compréhension» qu’elle procure.

Un livre à lire, donc, pour découvrir un univers fascinant que le public se doit de connaître: tout cela est en effet trop grave et trop sérieux pour être simplement remis entre les seules mains des scientifiques, des gouvernements et des corporations.

Qu’est-ce qu’on mange, mer?
Tout le monde le sait et le sort de notre morue nous le rappelle: nous surpêchons depuis trop longtemps et la mer, qu’on a pu croire inépuisable, contient désormais de nombreuses espèces menacées. Taras Grescoe décrit la situation comme une guerre ouverte que nous menons contre le poisson, une guerre dans laquelle «nos bombes au neutron ont déjà été déployées: les chalutiers capables de dévaster les monts sous-marins, les longues lignes pouvant traîner des douzaines de kilomètres d’hameçons, les sennes géantes». «La technologie de pêche, conclut-il, est devenue trop efficace».

Ce globe-trotter est un amoureux de poisson et de fruits de mer et il nous convie à un périple à la fois écologique et gastronomique, qui nous fait visiter des lieux et des cultures qui se sont, en partie, définis par «la préparation et la consommation de produits de la mer». Grescoe est un superbe conteur, qui sait merveilleusement décrire les lieux et les gens qu’il croise durant son périple, qui le conduit de New York, pour sa lotte, à Marseille (la bouillabaisse) et la Chine (les ailerons de requin) et en bien d’autres lieux encore.

Le tableau n’est pas rose. Les crevettes bon marché que nous mangeons aujourd’hui proviennent probablement «d’un étang trouble rempli de pesticides et d’antibiotiques» dans un des pays les plus pauvres du monde. Et le reste est largement à l’avenant, depuis le saumon d’aquaculture jusqu’aux bâtonnets de poissons et j’en passe.

Il y a d’indéniables dimensions éthiques et environnementales à ce que nous mangeons (et pas seulement le poisson: Grescoe évoque par exemple ces villageois du Henan qui «versent de l’eau bouillante sur un âne vivant et y découpent les morceaux qu’ils désirent manger»; ou encore cette souris dite «trois cris»: le premier est lancé quand on la saisit avec des baguettes, le deuxième quand on la trempe dans la sauce et la dernière quand on la croque vivante) et c’est en nous faisant réfléchir sur ce double plan, moral et écologique, que ce livre est à mes yeux le plus précieux. «D’où vient ce que je m’apprête à manger?» devient alors une question cruciale à toujours poser.

Un des mérites de cet ouvrage un peu terrifiant est de malgré tout se clore sur des considérations d’un sain optimisme, en particulier en indiquant quels poissons et autres fruits de mer (de plus petits, notamment, au lieu de ceux du sommet de la chaîne alimentaire) il reste possible de consommer en ayant la conscience — relativement — tranquille.

Bibliographie :
Nanotechnologies et société. Enjeux et perspectives, Céline Lafontaine, Boréal 160 p. | 22,95$
Notre mer nourricière, Taras Grescoe, VLB Éditeur 400 p. | 29,95$

Publicité