Aider, jouer, théoriser

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Je vous propose cette fois trois essais, bien différents les uns des autres, mais qui ont tous des choses à nous apprendre. L’espace risquant de manquer, allons-y sans plus tarder.

Aider
Michel Dorais, professeur à l’École de travail social de l’Université Laval, est l’auteur d’une œuvre considérable (une vingtaine de titres!) consacrée à des thèmes comme la sexualité, l’homosexualité, l’homophobie, le suicide et la prostitution, notamment juvénile. Par sa pratique de consultant, puis par cette œuvre, Dorais a souvent rencontré des gens ayant besoin de secours et il en a aidé plusieurs; il a aussi côtoyé des gens dont le métier est d’aider et d’autres que leur générosité, leur sensibilité et leur empathie poussaient à aider autrui.

Dans Le métier d’aider, il synthétise ce qu’il a appris, afin de transmettre aux aidants son expérience et ses réflexions. On sera déçu si on cherche dans ces pages des recettes magiques applicables partout et dont le succès serait garanti. Dorais sait bien, et il le rappelle d’entrée de jeu, qu’il n’y en a pas. Il propose plutôt des idées, des principes, des savoirs issus de nombreuses disciplines (il convoque tour à tour la philosophie, la psychiatrie, la pédagogie, la littérature, et j’en passe) qui façonnent une souhaitable disposition d’esprit centrée sur la résolution de problèmes ainsi que sur la résilience et qui table sur les forces de la personne et de son milieu.

Il y a là quelque chose qui se rapproche de cette idée de prudence dans l’action telle que la concevaient les anciens Grecs et qui sonne terriblement juste, s’agissant d’une activité complexe (et unique chaque fois qu’elle se déploie) comme l’est la relation d’aide.

Le propos de Dorais n’est toutefois pas que théorique et encore moins désincarné. Il a en effet choisi d’illustrer la vingtaine de principes qu’il expose par des cas réels, rencontrés dans le cadre de son travail. (Il prend soin de préciser, conformément à ce que j’ai rappelé, que ce qui s’est avéré efficace dans tel cas pourrait ne pas l’être dans tel autre.) Certains cas sont touchants, d’autres tristes, d’autres terrifiants, mais cette manière de procéder aide énormément à comprendre les principes que l’auteur expose.

Je pense que toutes les personnes aidantes tireront bien des leçons de ce livre, à la fois riche en théories à découvrir et ancré dans une longue pratique.

Mme Bombardier va au casino!
C’est un préjugé sans doute, et il n’était pas fondé, je dois le reconnaître, mais je n’aurais pas imaginé Denise Bombardier au casino, jouant aux machines à sous de surcroît, mais c’est bien le cas. Dans son plus récent opus, elle raconte sa passion du jeu et réfléchit sur sa signification, dans sa vie et plus largement dans nos sociétés. Elle explique notamment que c’est durant les neuf mois qu’elle a suivi Céline Dion en tournée, pour l’écriture d’un livre consacré à la diva québécoise, qu’elle a pu fréquenter plusieurs casinos dans le monde, ce qui l’a amenée à écrire ce livre.

Après avoir décrit plusieurs de ceux qu’on retrouve au Québec, elle s’interroge sur ce monopole d’État qui met en charge des fonctionnaires dont elle dit qu’ils manquent d’imagination, voire de compétence, et s’interroge, sans répondre, sur cette hypocrisie par laquelle l’État demande aux casinos des revenus tout en demandant de la prudence devant les dépendances au jeu. « Est-ce la responsabilité d’un État moderne de posséder et avant tout de gérer des établissements de jeu? », demande-t-elle. Sans répondre, elle note que « cela soulève un débat éthique et des problèmes sociaux non négligeables ».

En vingt courts chapitres, elle examine ainsi le jeu sous tous ses angles : elle rappelle la manière différenciée selon le sexe de fréquenter le casino et d’y jouer, se reporte à des recherches portant sur la manière dont est créée puis maintenue la dépendance, examine les différents types de jeux et de joueurs, avec leurs rites et superstitions, parfois étonnants (avoir une machine préférée, qu’on frotte avant de jouer, etc.). Elle décrit aussi, de manière très vive et éloquente, le plaisir qu’elle et ses semblables prennent à jouer dans ces temples du jeu que sont les casinos, et partage même ses trucs de jeu.

Tout cela fait pénétrer un novice comme moi dans un univers complètement étranger. À vrai dire, je ne connais du casino que ce comptage de cartes au Black Jack, qui reste la seule manière, pour un joueur, de faire basculer à son avantage, à ce jeu et à lui seul, la probabilité de gagner, qui est le reste du temps toujours en faveur du casino.

Les remerciements à la fin du livre vous feront sans doute sourire, comme moi. L’auteure remercie en effet de leur témoignage deux personnes rencontrées au casino et écrit : « L’amitié que nous avons tissée au fil des ans est le gain le plus tangible de mon expérience de joueuse ».

Un ouvrage savant qui fait date
Je m’en voudrais de ne pas au moins signaler, à défaut de pouvoir lui rendre justice, une parution qui est un événement dans le domaine du livre savant. Bernard Chapais, professeur d’anthropologie à l’Université de Montréal et primatologue éminent, a publié en 2008, sous le titre Primeval Kinship, aux prestigieuses Harvard University Press, un ouvrage consacré aux origines biologiques, recherchées chez les primates, de la parenté chez l’humain et aussi de notre socialité. C’est la version française de ce livre, qui avait été couvert d’éloges, que nous proposent les éditions du Boréal sous le titre Liens de sang. Aux origines biologiques de la société humaine.

Ces éloges sont mérités : le livre est érudit, redessine les frontières entre de nombreuses disciplines (anthropologie, biologie, primatologie, sociologie, et bien d’autres) et ouvre des perspectives nouvelles, notamment sur les origines des sociétés humaines et même sur ce qui nous fait spécifiquement humains. Ce n’est pas une lecture facile, mais elle mérite les efforts que vous y mettrez et vous récompensera.

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