Voici le programme : une remarquable histoire de Montréal; 50 invitations à la décroissance; et l’autobiographie intellectuelle d’un géant de chez nous hélas méconnu.

Montréal dans la longue durée
Si vous vous intéressez à l’histoire du Québec, vous connaissez certainement Paul-André Linteau, éminent et productif historien. Durant toute sa carrière, Linteau a beaucoup publié sur l’histoire de Montréal, et en cette année anniversaire, il nous offre une riche et accessible synthèse de ses travaux dans Une histoire de Montréal.

En quelque 350 pages, il transmet une masse impressionnante d’informations et d’analyses qui satisferont, j’en fais le pari, le néophyte comme l’érudit.

Saviez-vous que les habitants de Montréal se sont longtemps appelés des Montréalistes? De quel animal est cette fourrure très prisée dont on faisait en Europe des chapeaux? Que le nom d’Iroquoiens donné aux habitants que les premiers Français arrivés ici rencontrent dans la vallée du Saint-Laurent leur a été octroyé il y a seulement un demi-siècle? Que leur absence à compter de la fin du XVIe siècle reste un mystère? Que la ferveur mystico-religieuse et un projet missionnaire (portés notamment par la compagnie de Saint-Sacrement) jouent un rôle majeur dans la fondation de Montréal, vite ainsi nommée plutôt que Ville-Marie? Que le fort établi par Maisonneuve en 1642 sur ce qu’on désigne maintenant comme la Pointe-à-Callière est devenu un village dès 1663 et que cinquante ans plus tard, il est même « une véritable ville, avec ses rues et ses nombreux immeubles », une ville d’où l’on part pour explorer le continent? Que dès le début du XVIIIe siècle, Montréal est « une métropole dont l’influence se fait sentir à des milliers de kilomètres »?

Linteau raconte brillamment tout cela et montre comment, avec le temps, ce sont peu à peu une société et une mentalité spécifiques montréalaises qui se dessinent, distinctes même de celles de la ville de Québec. Cette mentalité se caractérise, dit Linteau, par « un esprit d’aventure, la recherche de la gloire ou celle de la fortune » et est faite du « transfert de modèles français [murailles, parcellaire urbain, couvents et jardins] au Nouveau-Monde », tout cela conjugué à « l’influence du milieu nord-américain, terre de mobilité et de liberté ».

La conquête transforme bien entendu la ville et sa population, puis, dès le début du XIXe siècle, immigration et expansion économique coloniale la modifient encore, tandis que les deux nationalismes s’affrontent. La rébellion de 1837-38 marque la victoire de l’un et annonce de nouvelles et profondes transformations. Avec la Confédération, Montréal, redevenue majoritairement francophone, devient la ville la plus importante du nouveau pays, un centre industriel majeur, mais reste traversée de nombreuses fractures culturelles, sociales et politiques.

Linteau traite ensuite de Montréal à la Belle Époque, durant la Première Guerre, la crise économique, et durant la Deuxième Guerre, avant d’en arriver à l’époque contemporaine. Dans ces chapitres, on mesure à quel point l’histoire est importante pour comprendre le présent. Montréal, suggère entre autres choses éclairantes Linteau, a été et reste une ville carrefour, une métropole où « circulent non seulement des marchandises et des personnes, mais aussi des idées, des cultures et des influences multiples ».

Je n’ai qu’un seul et mince reproche à faire à ce bel et ô combien instructif ouvrage, et il s’adresse à l’éditeur. Pourquoi ne pas donner un index à un livre pareil? Il serait tellement utile et il est si facile à composer avec les outils dont nous disposons à présent.

Regards sur la décroissance
L’idée que la croissance de l’économie devrait être notre premier objectif collectif, voire notre seul, est aujourd’hui contestée depuis de nombreuses perspectives, notamment économiques, écologiques, humanistes, scientifiques et politiques.

L’ouvrage que je vous propose, Aux origines de la décroissance : cinquante penseurs, qui est une collaboration d’auteurs français et québécois, est une version considérablement augmentée d’un numéro de la revue La décroissance paru en 2014.

On y présente cinquante auteurs des XIXe et XXe siècles associés à cette mouvance qui conteste des idées comme celles de profit, de domination de la nature, d’industrialisme, d’uniformisation culturelle, ainsi que le terreau économique et idéologique où elles s’enracinent. Ces auteurs, souvent, dessinent des avenues alternatives. Pour chacun d’eux, après quelques courts extraits, est proposée une présentation synthétique, en quatre ou cinq pages, de ses idées, suivie de suggestions de lecture.

Les choix sont judicieux et l’ouvrage permet de découvrir ou de redécouvrir des noms célèbres ou méconnus de plusieurs pays, y compris du Québec.

Pour vous mettre l’eau à la bouche, on y trouve les moins connus R. Tagore (1861-1941) et Alexandre Grothendieck (1928-2014), un génial mathématicien défroqué devenu écologiste, à côté des célèbres Ivan Illich (1926-2002) et Jacques Ellul (1912-1994), ainsi que de notre regretté Michel Freitag (1935-2009).


Mon professeur
Il a été mon professeur et a exercé sur moi une influence déterminante. Il s’appelle Mario Bunge. Il est physicien et philosophe.

Né en 1919, en Argentine, il a publié près de 150 ouvrages et plus de 500 articles scientifiques. Rationaliste, scientifique, matérialiste, sa pensée est à bien des égards aux antipodes des tendances intellectuelles qui ont été et restent à la mode dans le monde francophone, ce qui explique peut-être qu’il y soit moins connu.

Laurent-Michel Vacher avait ouvert une brèche en publiant chez Liber, en 1993, des entretiens avec lui. Les Éditions Matériologiques (Paris) ont entrepris de publier plusieurs de ses œuvres. Elles proposent cette fois son autobiographie intellectuelle, Entre deux mondes : Mémoires d’un philosophe-scientifique (disponible uniquement en version numérique au Québec sur le site leslibraires.ca). Avec clarté et pédagogie, voici donc, en 600 pages, le parcours d’un géant qui a touché à tous (ou peu s’en faut) les secteurs de la philosophie et de la science du dernier siècle. Il y est bien entendu question du Québec, puisque Bunge a longtemps enseigné à l’Université McGill…

À lire en priorité? Selon moi, le chapitre 14, sur les pseudosciences et les idées bizarres de certains penseurs et philosophes : on mesure là l’immensité de ce qui sépare Bunge de bien de ses contemporains à la mode…

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