Je vous propose cette fois un bel essai très accessible qui examine en profondeur une des problématiques majeures de notre temps : l’égalité en démocratie.

Le vieil Aristote faisait remarquer qu’entre égalité et démocratie, une sorte de compromis devait être atteint. De trop grandes inégalités menacent en effet la démocratie, qui suppose, pour exister pleinement, une certaine égalité. Mais l’égalité de quoi? Et jusqu’à quel point doit-on l’atteindre pour qu’existe et se développe une véritable et riche démocratie? Trop d’un certain type d’égalité peut-il lui être dommageable?

Ces délicates questions nous conduisent au cœur du sensible et immensément important sujet dont traite Jean-Pierre Derriennic dans Les inégalités contre la démocratie.

Les problématiques qui y sont abordées sont souvent complexes, mais Derriennic, qui ne prétend pas avoir de réponse définitive à toutes, possède cet art du pédagogue de les rendre accessibles : et c’est tant mieux, tant tout cela nous concerne tous et toutes, si du moins, comme nous le devrions, nous prenons au sérieux l’idéal démocratique.

Inégalités et démocratie : ce qu’il faut savoir
Derriennic commence par rappeler quelques notions importantes relatives aux inégalités économiques : le revenu (brut ou net, individuel ou des ménages) ; les divers types de transferts de l’État aux particuliers ; il présente également cette mesure de l’inégalité qu’est le fameux coefficient de Gini et rappelle plusieurs autres notions importantes (revenu, utilité marginale, inégalités de fortune), indispensables pour comprendre ce crucial type d’inégalité qu’est l’inégalité économique, qui est son sujet principal.

Il se penche alors sur des travaux (dont ceux de Thomas Piketty) mettant en évidence le récent accroissement des inégalités et qui suggèrent qu’elles ont de multiples causes (politiques fiscales, augmentation de la rémunération des dirigeants, privatisations, etc.) qui, pour diverses raisons (guerre froide, méritocratie, crises pétrolière et financière, taux de rendement du capital par rapport à la croissance de l’économie…), ont pu perdurer dans le temps et faire en sorte que les inégalités ne cessent de croître.

On nous assure bien souvent que ces inégalités sont justes, voire nécessaires et bénéfiques. Derriennic démonte brillamment les principaux arguments invoqués pour soutenir cette conclusion et rappelle les nombreux effets négatifs qu’ont plutôt les inégalités dans des pays comme les nôtres — entre autres sur l’espérance de vie, le statut des femmes, les maladies mentales, la mortalité infantile, l’obésité, en plus de générer anxiété, insécurité, manque de confiance des membres entre eux et de nourrir un esprit de compétition acharnée.

Le chapitre suivant demande quelle égalité est importante et pourquoi. C’est qu’il y a plusieurs acceptions de l’égalité (des chances? de traitement? devant la loi? économique?). L’auteur montre ici que l’idéal d’égalité devant la loi, crucial en démocratie, peut être mis à mal par d’importantes inégalités économiques — comme Aristote le pressentait. L’égalité économique parfaite étant impossible à atteindre (en plus de ne pas être souhaitable), comment procéder? Diverses avenues sont explorées : abolition partielle de l’héritage, impôt progressif, revenu maximum, etc., ainsi que leurs difficultés de mise en œuvre (évasion fiscale, fraude, notamment).

Le chapitre qui suit examine les rapports entre démocratie (une pratique et une idée que l’on peut décliner de diverses manières) et égalité. Comment faire en sorte que le pouvoir revienne au peuple, compte tenu du pouvoir politique que confère aux quelques-uns la grande richesse qu’ils détiennent? Pensez, pour prendre un exemple qui m’est depuis longtemps cher, au poids des personnes plus fortunées et de leurs institutions dans l’aménagement des politiques économiques nationales, de l’économie mondiale et des traités de libre-échange, et vous conviendrez sans doute que le sujet est d’une immense importance.

Des solutions
Il est rare, et ce fait est désolant, que des ouvrages qui soulignent de graves défauts de nos institutions, de nos politiques ou plus généralement de nos sociétés prennent aussi le temps de dire comment on pourrait améliorer ce qu’ils dénoncent et proposent des avenues pour aider à résoudre les problèmes décrits. Cet ouvrage le fait et il faut en féliciter l’auteur.

Plusieurs avenues sont explorées (démocratie plus directe ou de proximité, référendum, revenu maximal, notamment) avant de parvenir à ce que l’auteur tient pour la bonne formulation du problème. Il ne s’agit pas, écrit-il, de se demander « comment faire pour être gouvernés par la volonté du peuple? », mais bien « comment faire pour que ceux qui nous gouvernent soient obligés de tenir compte également de tous les membres du peuple, ou du moins incités sérieusement à le faire? ».

Par-delà des réformes légales et institutionnelles avancées et qui sont plus difficiles à mettre en œuvre, l’ouvrage suggère des choses qu’il est possible de réaliser dès à présent.

Un exemple est cette idée d’instaurer un nouveau mode de financement des partis politiques (par lequel chacun doit donner annuellement un montant convenu au parti de son choix), une pratique qui aiderait à limiter l’influence des grands intérêts économiques sur le politique.

Un autre, d’une grande actualité, est ce mode de scrutin proportionnel modéré que l’auteur préconise.
Je recommande chaudement ce bref mais très clair et très instructif ouvrage.

Bonne lecture!

Publicité