Une célèbre féministe en lutte contre un certain féminisme qu’elle juge nocif; un homme atteint de paralysie cérébrale que seule la mort a pu arrêter. Voilà ce que je vous propose cette fois.

Les Presses de l’Université Laval (PUL) nous offrent Femmes libres, hommes libres, la (belle) traduction française d’un ouvrage de la célèbre et controversée féministe américaine Camille Paglia (née en 1947), paru en anglais en 2017.

L’œuvre de Paglia est trop peu traduite en notre langue (les mêmes PUL ont cependant publié un autre livre d’elle en 2017) et cette parution est une heureuse nouvelle : elle donne aux francophones la chance d’entendre une voix sans doute différente, une voix, selon plusieurs, dissidente et polémique, voire que l’on juge, avancer de dangereuses analyses, mais dans laquelle certaines et certains se reconnaîtront.

Les trente-sept textes réunis ici, pour la plupart déjà parus ailleurs, couvrent un large éventail de genres (article académique, article de presse, entrevue, critique, essai, etc.), mais plusieurs des thèmes abordés sont récurrents :

le féminisme et ses variétés, passées et présentes; les études sur le genre; la sexualité; la liberté d’expression; l’avortement; la vie intellectuelle en général et à l’université en particulier.

Paglia adopte chaque fois cette posture de farouche défense de la liberté individuelle et de l’égalité des chances qui la conduit à ses positions controversées.

En voici quelques exemples représentatifs qui vous donneront une idée des positions qu’elle défend et vous feront comprendre pourquoi elles sont polémiques.

Paglia s’avoue « pornographe » et critique sévèrement, la considérant comme « aberrante », la position des féministes voulant bannir la pornographie, jugeant qu’elles « vivent dans le déni », « refusent la vie elle-même, dans toute sa grandeur et sa confusion ». Elle leur reproche, jolie formule, de vouloir « essayer de contrôler comment tout le monde doit prendre le thé ».

Elle condamne aussi un certain féminisme qu’elle juge en lutte contre les hommes et décrie ces « milieux cultivés qui dénigrent systématiquement la masculinité et la virilité » : en l’absence de modèles d’hommes solides, dit-elle, « les femmes ne parviendront jamais à une conscience stable et profonde d’elles-mêmes en tant que femmes ».

Elle défend farouchement la liberté d’expression et s’oppose notamment aux catégories « de propos ou de crimes haineux » (concernant la race, la couleur de la peau, la religion ou l’origine nationale, ainsi que « l’identité de genre et l’orientation sexuelle »), des catégories qui ont souvent été instituées en partie en guise de corrections de crimes et d’injustices dont certains groupes ont été victimes par le passé. « Quoique louable », cela a, selon elle, conduit à la création de « nouvelles zones de privilèges », et à freiner l’exercice de la libre expression. « La liberté de haïr, écrit-elle, doit bénéficier de la même liberté que la liberté d’aimer. »

On le devine sans mal : elle condamne donc vertement, pour ces mêmes raisons, les atteintes à la liberté académique qu’elle perçoit actuellement dans les universités américaines et dans les médias. Voyez comment elle décrit la situation : « […] aux États-Unis, une police de la pensée, bien intentionnée mais impitoyable, et dont les opinions n’ont rien à envier au dogmatisme des agents de l’Inquisition espagnole, patrouille les universités de même que les médias généralistes. »

Il y a bien d’autres choses encore dans ce livre dense — et je ne peux résister à dire que son dernier chapitre revient sur une photographie de Patti Smith prise en 1975 par Robert Mapplethorpe.

Mais on a ici une lecture qui ne manquera pas de faire réagir et de donner à penser, que l’on partage ou non toutes les positions de l’auteure.

Incroyable Serge Leblanc
Pendant ma lecture de Par-delà la paralysie cérébrale de Serge Leblanc, j’ai appris qu’il est hélas décédé, en juillet 2019.

M. Leblanc était atteint de paralysie cérébrale, laquelle, insiste-t-il, « n’est pas une maladie ». Toutes les personnes qui l’ont connu, comme sans doute toutes celles qui liront son livre, seront d’accord avec ce que dit de lui Yvon Deschamps, qui en signe la préface : « Il aurait pu profiter de son handicap pour se faire dorloter, se faire servir, etc. Au contraire, il a travaillé dur, joué avec enthousiasme, aimé avec passion. Sa vie a toujours été bien remplie. » Deschamps et lui avaient partagé la scène en 1995 au festival Juste pour rire et on peut visionner cela sur YouTube.

Serge Leblanc raconte son étonnant parcours sur un ton à la fois sincère, drôle et émouvant qui le rend d’emblée sympathique. Il annonce d’entrée de jeu ses couleurs, qui sont aussi celles de la cause à laquelle il a consacré sa vie : établir ou rétablir une ligne de respect envers les personnes handicapées en général et celles souffrant de paralysie cérébrale en particulier, lesquelles ne sont pas des extraterrestres, mais des êtres humains « dotés de mains pour donner, d’un cerveau pour penser et d’un cœur pour aimer ».

On le suit donc depuis l’enfance jusque dans les nombreux engagements de l’adulte dans cette cause, pour laquelle il écrit, donne des conférences, dirige des organismes, organise des événements et des téléthons. Il sensibilise aussi de nombreuses personnes à cette cause, parmi lesquelles des personnalités avec qui il se lie d’amitié — comme Yvon Deschamps, on l’a vu, ou Tex Lecor.

Dans les dernières pages, Leblanc évoque la progression de sa condition, sa perte de capacités physiques, de dextérité, de motricité fine, ce cancer de la prostate qu’on lui diagnostique, sans oublier la douleur que lui cause l’annonce du décès de son ami Tex.

Ce livre, par la vie qu’il raconte, nous donne une belle et précieuse leçon d’humanité et de courage.

Je dois le dire : je regrette de ne pas avoir eu la chance de serrer la main de cet homme remarquable.

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