Notre chroniqueur vous propose deux essais qui vont certainement vous intéresser et vous faire réfléchir. Le premier est signé René Lévesque, le deuxième parle de justice. Et tous deux, ce qui n’est pas courant, peuvent être lus en papillonnant, au hasard des pages…

On l’a peut-être oublié, mais René Lévesque, qui a été un remarquable journaliste-pédagogue au petit écran, a aussi écrit des chroniques. Chroniques politiques, le deuxième volume de la série, réunit, comme l’indique le titre, les chroniques politiques que Lévesque, battu aux élections du printemps 1970, publie dans le Journal de Montréal, à la demande de son fondateur Pierre Péladeau, de juin 1970 à décembre 1971.

Je vous le dis tout de suite : c’est un très, très gros livre, de plus de 1000 pages. Comment écrire autant en si peu de temps? C’est que Lévesque publie pas moins de six chroniques par semaine! Six!!! La tâche, je vous l’assure et je parle d’expérience, est colossale. D’autant que les chroniques sont bonnes. De plus, petit bonheur pour les gens de ma génération, Lévesque est si familier qu’on croit l’entendre en le lisant…

À la lecture (et l’audition…), on découvre un homme attentif à son époque, qui fait preuve d’esprit critique et qui est porteur d’idéaux de démocratie et de justice.

Les éditeurs ont fait un précieux travail en nous donnant un index, qui permet de repérer des textes portant sur des sujets ou des personnages qui nous intéressent — pour moi, entre autres : l’éducation, les syndicats, le mode de scrutin, certaines affaires internationales, l’indépendance. On a aussi mis en bas de pages des notes explicatives utiles pour des personnes ou des événements déjà loin de nous et parfois bien oubliés.

Lévesque aborde évidemment de très nombreux sujets dans ces pages, certains plus locaux et circonstanciels, d’autres plus intemporels, d’autres encore se rapportant à l’actualité internationale. Il est soucieux de convaincre ses contemporains qu’ils vivent sous un régime qui ne permet pas leur pleine émancipation. Et, on le sait, Lévesque avait des solutions à proposer : cette indépendance, permettant, entre autres, de « récupérer des pouvoirs et ces ressources lamentablement émiettées et trop souvent employées pour nous garder divisés et impuissants ».

D’ailleurs, vous arrive-t-il parfois, en lisant des essais, de regretter qu’ils aient tant à dire à propos de ce qui ne va pas dans le monde et qu’ils proposent si peu de solutions pour rendre ce même monde meilleur, des solutions qui seraient idéalement concrètes et pragmatiques?

Si c’est le cas, vous apprécierez sans doute aussi beaucoup le prochain livre que je veux vous présenter.

Des propositions pour une société plus juste

Sauvons la justice!réunit trente-neuf propositions, exposées en quelques pages, pour lutter contre l’injustice dans nos vies. Les éditeurs du livre, partant de l’idée que l’idéal de justice est « une aspiration profonde qui résonne en chacun de nous au quotidien », ont demandé à des personnes de divers milieux de suggérer des manières de faire avancer un idéal de justice. Les propositions concrètes mises de l’avant sont exposées de manière claire et accessible, sans jargon juridique et dans une optique non partisane.

Ici encore, vous papillonnerez selon vos goûts. Voici quelques-unes des propositions qui ont retenu mon attention.

Georges Azzaria, professeur de droit, parle de la liberté d’expression et s’inquiète de la privatisation des normes du droit la concernant qu’Internet tend à instaurer. Il suggère donc des manières par lesquelles les États et les sociétés civiles rappellent leur rôle dans la définition de ces normes et qu’ils le jouent effectivement.

Micheline Milot, sociologue, plaide en faveur des accommodements pour motifs religieux et argue que ce type de respect de la dignité humaine dont ils témoignent et qu’ils incarnent contribue à sauver la justice sociale.

Catherine Régis, professeure de droit, se penche sur la difficile question de l’allocation des ressources en santé, qui, rappelle-t-elle, est double. Combien de ressources y consacrer? Comment les répartir? Elle plaide pour ce qu’elle appelle la transparence, à savoir l’active participation des citoyens aux discussions sur ces enjeux. Elle donne ensuite des moyens de réaliser cet objectif, par exemple en favorisant la conversation sociétale, en mettant en place des processus transparents d’allocation des ressources et en diminuant les sources d’inefficience dans le système de santé et les sources d’influence inappropriées.

Dans un texte passionnant, les philosophes David Robichaud et Patrick Turmel parlent des substantielles inégalités économiques aux États-Unis ou chez nous. Il se trouve aussi, sondage à l’appui, que le public aspire à des sociétés bien plus égalitaires et méconnaît l’ampleur des inégalités existantes. Il consent en outre à des mesures économiques et fiscales qui les font encore croître. On pensera peut-être qu’en informant le public de ces faits, on changera la situation. Mais nos deux philosophes suggèrent qu’il faut aussi, et même avant tout, changer le récit en racontant mieux les histoires de succès économiques! Mieux, cela voudrait dire notamment corriger ce mythe du succès et du mérite (exclusivement) individuels en rappelant toute la part sociale qu’ils contiennent.

Et je n’ai, faute de place, rien dit du texte de Guy Rocher, de celui de Vincent Marissal, de celui de Pierre Trudel, ou de nombreux autres, fort intéressants.

En fait, selon vos intérêts ou champs d’activité, vous trouverez amplement dans ce livre de quoi alimenter votre réflexion et enrichir vos actions en faveur de la justice.

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