En marge de la guillerette rentrée automnale se trouvent des œuvres sombres, denses et puissantes qui abordent la fin sous différents angles : celui des idées, des rêves, du monde tel qu’on le connaît et de la vie.

En 2003, je fis mes débuts à titre de chroniqueur bande dessinée à l’émission radiophonique Bande à part sur les ondes de la première chaîne de Radio-Canada. Le réalisateur me commanda alors un premier reportage. Geneviève Castrée, en fin de bouclage de son magnifique livre-disque Pamplemoussi, eut la gentillesse de m’accorder ma première entrevue. Elle répondit timidement à mes questions maladroites avec une attention rare. Je fus complètement renversé par son Roulathèque Roulathèque Nicolore paru en 2001 chez l’éditeur montréalais L’Oie de Cravan. La fureur tranquille du trait, l’univers si unique et hypnotique la promettait déjà à un bel avenir.

Paru en 2012 simultanément en français chez L’Apocalypse et en anglais chez Drawn & Quarterly, le bouleversant récit biographique Susceptible permit à Geneviève Castrée de faire une entrée fracassante – elle, pourtant si réservée – dans l’univers du 9e art mondial, la hissant par la même occasion au panthéon des auteures nationales aux côtés de Julie Doucet et Sylvie Rancourt.

Si la naissance de sa fille ralentit ses activités éditoriales trois ans plus tard, l’annonce d’un cancer incurable quelques mois à peine après l’accouchement la plongea dans une urgence telle qu’elle mena de front deux projets : un recueil de poésie et une bande dessinée, tous deux destinés à sa fille.

Ces deux œuvres, intimement liées, sont désarmantes d’onirisme, de pudeur, de verve, de douceur, d’urgence de vivre. L’artiste couche sur papier tout ce qui lui reste de vie afin de léguer à sa fille une parcelle d’immortalité. Au-delà de la fatalité s’y trouve une lumière cajolante, une tendresse enivrante, un verbe et un trait qui convient le lecteur à prendre la mesure de l’importance de la beauté du monde qui nous entoure. Une bulle et Maman apprivoisée sont portées par un souffle rare, qui longtemps nous habite après leur lecture. Bien que l’artiste se soit éteinte en juillet 2016 en cours de chantier, ses deux œuvres ne souffrent aucunement d’une impression d’inachèvement. Bien au contraire. L’imaginaire de l’artiste est trop vaste pour pareilles considérations.

En près de vingt années de carrière, Geneviève Castrée nous a laissé un corpus musical, littéraire et bédéesque unique et magnifique dans lequel nous pourrons à jamais trouver refuge les jours de grisaille. Et à moi, elle m’aura offert ma première chance. Merci, Geneviève.

La fin de la civilisation
Alors qu’il pourrait couler des jours tranquilles avec Titeuf, Zep ose. En marge de ses travaux humoristiques, il amorce en 2013 un étonnant virage graphique et scénaristique en abordant le médium d’un angle réaliste. Après Une histoire d’hommes et le bouleversant Un bruit étrange et beau, l’artiste suisse récidive aux éditions Rue de Sèvres avec un polar écologique intitulé The End. La mort mystérieuse de promeneurs en forêt espagnole confirme la thèse du professeur Frawley, éminent botaniste à la tête d’une équipe de chercheurs basée en Suède, qui croit que des champignons toxiques, alertés de la présence humaine par les arbres, ont pour but d’éradiquer l’homme. Loin de l’apocalypse de pacotille à l’américaine, l’artiste livre un haletant récit, son meilleur album en carrière.

La fin des haricots
Genre à ce jour peu fréquenté dans le 9e art québécois, le bédéreportage vient de se doter d’une œuvre majeure. Faire campagne est le fruit d’une rigoureuse enquête journalistique sur le milieu agricole national. À la merci du système capitaliste, ce secteur d’activité est investi par de nouvelles générations de passionnés qui souhaitent développer une agriculture de proximité. L’enquête présente une dizaine d’intervenants qui témoignent de la complexité et de l’absurdité du système en place, qui privilégie les multinationales. Le style jeté et direct de l’illustrateur nous plonge au cœur de ce véritable polar agricole. Faire campagne est une œuvre dense, nécessaire et solidement menée qui fera certainement réagir.

La fin d’un rêve
1944. Dans un camp militaire à Douvres, le soldat afro-américain Lincoln rêve de servir son pays au front, de devenir un héros de guerre, de ne plus subir le mépris des Blancs à cause de la couleur de sa peau. Sa sœur lui apprend par le biais de leur correspondance l’existence du premier drapeau américain porteur d’une étoile noire secrètement cousue tombée aux mains des nazis. Le jeune homme partira à la recherche de ce morceau d’histoire. C’est ainsi que dans Cinq branches de coton noir, les auteurs livrent un haletant récit porté par une magistrale mise en image.

Publicité