L’année 2019 fut faste pour la BD québécoise, tout particulièrement en ce qui concerne la publication de premiers albums de jeunes autrices et auteurs. Leur remarquable incursion dans la discipline toujours florissante qu’est la bande dessinée assure incontestablement la pérennité de cet art. Voici les têtes d’affiche de demain.

D’abord publié à compte d’auteur en 2017, Contacts, de Mélanie Leclerc, a joui l’année dernière d’une réédition grâce aux bons soins d’Éric Bouchard, nouveau directeur de la mythique collection Mécanique générale (qui, depuis sa fondation, en 2000, est devenue un important incubateur de talents). En plus d’avoir remporté le prix Bédélys indépendant 2018, l’album s’est retrouvé en lice pour le Prix littéraire du Gouverneur général 2019 et le Prix de l’ACBD (Association des critiques et journalistes de bande dessinée) 2019, en plus de figurer sur la courte liste des Prix des libraires du Québec en compagnie de Bootblack,de Mikaël (Dargaud), et La grosse laide,de Marie-Noëlle Hébert (XYZ). Ces prix seront remis le 7 mai prochain, au Club Soda, lors de la troisième édition du gala. Rien d’étonnant, dans ce cas-ci, pour ce passionnant récit aux qualités plurielles.

Contacts raconte la transmission de la passion de l’image du caméraman et directeur photo à l’Office national du film (de 1971 à 1996) Martin Leclerc – également un des fils du chansonnier et poète Félix Leclerc – à sa fille Mélanie. Dans la veine autobiographique, l’œuvre se veut également, en filigrane, un témoignage important sur un pan de l’histoire cinématographique du Québec. Mélanie Leclerc y traite de la passion de son père pour la photographie, une discipline qu’il pratiquait en dilettante, entre les tournages. Exigeant et bourru, l’ancien caméraman du cinéaste Pierre Perrault est en effet habité d’une passion contagieuse pour l’image.

La bande dessinée, tout comme le cinéma, est l’art du cadrage, que l’artiste maîtrise indéniablement. Elle choisit l’aquarelle, insufflant à son récit une légèreté et une poésie picturale qui convie le lecteur à flâner dans la douceur de certaines cases. Épaulée par les auteurs Michel Rabagliati et Jimmy Beaulieu, deux figures de proue du genre biographique, Mélanie Leclerc se déploie avec une force tranquille dans une œuvre qui nous fait espérer un prochain album.

Le projet Shiatsung
Surgissant tout droit de e part, Brigitte Archambault débarque dans l’univers de la bande dessinée québécoise avec un premier album fulgurant. Tout aussi étonnant qu’inclassable, il n’est pas sans rappeler 1984, de George Orwell, et La musique du hasard, de Paul Auster. Le projet Shiatsung relate le quotidien anxiogène d’une jeune femme captive d’un bungalow glaçant aux allures de laboratoire et de prison. Seul un écran se charge de parfaire son éducation. Mais voilà qu’un jour, elle fait la découverte bouleversante d’un être vivant de l’autre côté du mur de brique, au fond du jardin. S’appuyant sur un graphisme chirurgical évoquant non seulement les pictogrammes d’évacuation d’avion, mais aussi les bandes de Chris Ware, la jeune artiste livre ici une première œuvre saisissante.

Le mouchequetaire
Une mouche kamikaze aux motivations obscures sème le chaos à Mourrial, métropole où prévaut le divertissement. Devant l’impuissance constabulaire, le maire s’en remet à un justicier urbain au sobriquet douteux : Le mouchequetaire. Armé d’un fleuret et d’une persévérance indue, ce dernier se lance à sa poursuite. Empruntant tant au vaudeville qu’aux genres superhéroïque et mangaesque, Antonin Buisson propose un premier album tout aussi amusant que maîtrisé. Ne vous laissez surtout pas berner par l’approche graphique naïve, car, à l’instar de La mouche, de Lewis Trondheim, la réussite de l’œuvre repose sur un découpage audacieux, vigoureux et rythmé. Après Sophie Bédard, Samuel Cantin, Michel Hellman, Al Gofa et Thom, les éditions Pow Pow poursuivent leur important développement de nouveaux auteurs locaux avec brio.

La grosse laide
Marie-Noëlle Hébert fait une entrée fracassante dans le 9e art avec ses mémoires d’une jeunesse passée, comme tant d’autres, à détester l’image reflétée dans son propre miroir. D’une franchise brutale, elle y aborde sans fard la douleur et la solitude, mais aussi la détresse qui l’a habitée à l’âge ingrat alors que son tour de taille ne correspondait en rien aux diktats de la beauté. L’ouvrage ne verse jamais dans l’apitoiement; il se dégage plutôt, de ces planches noircies au trait magistralement opaque, un espoir, soit celui qu’il est possible de se délester des kilos en trop, lesquels pèsent non pas à la ceinture, mais sur les épaules et sur le cœur. Bien plus qu’une simple bande dessinée – finaliste au Prix des libraires du Québec de surcroît –, La grosse laide se veut un extraordinaire outil de réflexion et de discussion qu’il faudrait impérativement mettre en lecture obligatoire dans toutes les écoles secondaires, là où trop de jeunes adolescents souffrent en silence.

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