L’autre, cet inconnu

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L’autre, cet inconnu

En principe, Michel Hellman devait boucler le second volet de Mile-End, récit autobiographique se déroulant dans le populaire quartier montréalais, réclamé par ses nombreux lecteurs depuis la publication du premier tome en 2011. C’est du moins ce qu’il avait convenu avec son éditeur, Luc Bossé.

Si tous les chemins mènent à Rome, disons que son détour par le Grand Nord québécois a de quoi surprendre… mais aussi réjouir. En effet, l’artiste se passionnant pour la culture inuite – lire son étonnant Iceberg (Éditions Colosse, 2010) – nous convie à un fascinant voyage initiatique dans nos propres contrées nordiques dont on ignore tout. Qui plus est, c’est par le biais de la BD reportage, genre encore peu fréquenté dans le 9e art québécois, qu’Hellman s’exécute.

Bien plus que pour le paysage lunaire, c’est pour cette habileté à vivre dans le froid, sur un territoire n’étant raccordé au reste de la province par aucune route et où l’horizon s’étire à l’infini, que naît en nous cette impression de planète inconnue que sont les agglomérations Kuujjuaq, Kangiqsujuaq, Kangirsuk et Puvirnituq visitées dans l’album. La candeur et la naïveté qui animent Hellman laissent rapidement place à l’empathie et la consternation. Car la vie y est dure, et pas qu’à cause des conditions climatiques et géographiques. Nous, gens du Sud, vivons en complète autarcie, sans égard à ces communautés qui sont pourtant des nôtres. L’auteur, qui s’y met en scène, nous conscientise à la réalité économique, sociale et écologique souvent précaire des natifs, à l’importance du maintien de leur culture en voie d’extinction, sans jamais être moralisateur. Il réussit, tout comme Guy Delisle, auteur des populaires carnets de voyage Pyongyang et Chroniques de Jérusalem, à enchaîner avec aisance les scènes humoristiques, les éléments didactiques et les moments poétiques dans une symbiose parfaite. Il nous offre ainsi une œuvre nécessaire, salutaire, qui nous invite à la rencontre de l’autre, cet inconnu, ce frère, ce voisin pas si lointain.

Nunavik est en tout point une réussite. Il s’agit non seulement de l’album le plus achevé à ce jour de l’artiste, mais il est l’un des plus importants du jeune catalogue des éditions Pow Pow, et assurément l’un des incontournables de la production annuelle de la BDQ. Ceux qui attendaient avec impatience Mile-End 2 lui pardonneront à n’en point douter cette formidable incartade.

 

À faire rêver

Déjà au début du siècle dernier – et donc celui de la bande dessinée –, Winsor McCay explorait magistralement l’univers du rêve avec Little Nemo, repoussant du même souffle les paramètres du genre. À la fin du millénaire, le cofondateur de la structure éditoriale française l’Association David B. innove en retranscrivant ses songes dans son album culte Le cheval blême. Avec La maison circulaire, un recueil de quatorze rêves, Rachelle Deville poursuit dans cette veine. Quatorze fenêtres sur l’inconscient, qui compte ses propres codes narratifs, et qui imprègnent sur le lecteur une forte impression. Son trait hachuré – qui n’est pas sans rappeler celui de Ludovic Debeurme –, sa grande maîtrise de la luminosité et l’inventivité de la mise en planche font de cet atypique album un incontournable du genre.

 

L’hommage attendu à Morris

Né de l’imaginaire de Morris dans les pages de L’almanach Spirou en décembre 1946, le légendaire cow-boy tirant plus vite que son ombre célèbre cette année son 70e anniversaire. Pour l’occasion, la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, en collaboration avec le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, lui consacre (enfin) une exposition rétrospective. L’art de Morris, un copieux et non moins jouissif catalogue fut produit sous la direction des deux commissaires de l’exposition, dans lequel on peut admirer une belle sélection d’originaux parmi les 3000 planches produites jusqu’en 2001, année de la mort de l’illustre créateur. Malgré des ventes avoisinant les 300 millions d’exemplaires, Morris n’a pas eu droit au même traitement que certains de ses pairs, dont Hergé. Une tare à laquelle met magistralement fin cet incontournable ouvrage. Il était plus que temps.

 

Bref Gipi

L’auteur italien Gipi, primé au Festival d’Angoulême en 2006 pour l’album Note pour une histoire de guerre, nous offre avec En descendant le fleuve une anthologie de courts récits. À l’instar du titre, les douze récits composant ce bellissime album sont autant de douces haltes jalonnant un sublime parcours sur lequel on vogue avec délectation. Tantôt drôles, tantôt troublantes ou tragiques, les brèves de Gipi nous plongent dans la poésie unique de son trait et la magnificence de ses aquarelles.

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