Boutade, faiblesse et talent

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Après avoir abordé la drague dans Yves, le roi de la cruise paru en 2010 aux éditions Pow Pow, Luc Bossé revient à la BD avec Comment faire de l’argent, un nouvel opus aux couleurs d’un billet de 20 dollars et au titre fort accrocheur. Mais y apprend-on vraiment comment faire fortune à sa lecture? Pas plus que son auteur ne s’enrichira sur votre dos, et ce, même s’il est essentiellement composé de matériel précédemment publié dans divers fanzines. D’autant qu’il n’a pas non plus droit à des subventions pour cet album, occupant à la fois le statut d’auteur et d’éditeur.

« Ce titre est une boutade en guise de réponse à la question Elle va bien, la bande dessinée québécoise? Car, malgré la couverture médiatique sans précédent dont jouit la BDQ, mes deux plus gros titres se vendent à 3000 exemplaires », explique l’éditeur. Bien que ce soit respectable – un titre édité au Québec se vend en moyenne entre 500 et 1000 exemplaires –, c’est trop peu pour que ses auteurs et lui en vivent. Même si la dernière décennie a vu naître une dizaine de structures éditoriales spécialisées en bande dessinée – dont Pow Pow fondée en 2010 –, ce n’est pas à la compétition qu’il impute l’incapacité du genre à conquérir de nouveaux lecteurs. « Peut-être est-ce à la grande diversité de l’offre culturelle que revient en partie la responsabilité du plafonnement. »

Qu’à cela ne tienne! Bossé s’est lancé en novembre dernier dans une seconde campagne de sociofiancement pour la traduction d’une nouvelle salve de titres, dont 23h72 de Blonk et La guerre des arts de Francis Desharnais. Après le vif succès de la campagne de 2014, où Pow Pow a amassé 24 301$ pour la traduction de quatre premiers albums – soit une moyenne de 60$ investis par contributeurs –, l’éditeur voit l’occasion d’y faire à nouveau la promotion de sa boîte à l’international. Si l’on tient compte de l’investissement de temps, de ressources et des coûts d’impression, le sociofinancement ne suffit pas à tout payer?

Pourra-t-on un jour acheter un album de Pow Pow à l’étranger? « Je suis en pourparlers avec un distributeur à ce sujet. Mais cela implique une réimpression massive des titres. Malheureusement, le mécanisme de la chaîne du livre fait en sorte que le retour sur l’investissement s’avère maigre et long », avoue l’éditeur.

En cinq ans, Pow Pow a publié 30 albums, lancé plusieurs jeunes auteurs, dont Samuel Cantin, Sophie Bédard, Michel Hellman, remporté plusieurs prix locaux et s’est constitué d’un catalogue cohérent. Comment faire de l’argent saura-t-il remplir les coffres? Une chose est sûre : il vous fera rire aux éclats.

Alcoolique
L’album s’ouvre avec une puissante scène où le narrateur, ivre mort, reprend connaissance dans la voiture d’une vieille dame naine qui brûle de désir pour lui. Le ton est donné. Alors que l’autobiographie de ce genre verse trop souvent dans une visqueuse complaisance, il n’en est pourtant rien. Les auteurs de cette fabuleuse tragi-comédie d’une intelligence, d’une bouleversante franchise et exempte de tout pathos nous invitent à réfléchir au concept de la dépendance, quelle qu’elle soit. Originalement publié dans la collection Vertigo de l’éditeur américain DC Comics en 2008, ce captivant récit se réincarne en un bel objet dans sa traduction française. Alcoolique est assurément un des titres phares de la rentrée.

Dérangés
Après La rue des autres, unpremier album fort réussipublié en 2009 aux éditions de La Pastèque, l’auteure française Violène Leroy revient à la charge avec rien de moins qu’un chef-d’œuvre. Décliné en trois actes, Dérangés raconte les destins croisés d’un gardien de musée, d’une insomniaque et d’un homme sous le joug d’une œuvre d’art. D’une rare sensibilité, cette spectaculaire réflexion sur l’importance de l’art dans la vie de l’homme est obsédante. L’incessant rythme et la fluidité du magnifique trait psalmodique entraînent le lecteur dans un état de transe. Dérangés est de la trempe des Cages de Dave McKean et Jimmy Corrigan de Chris Ware. Avec pareille orfèvrerie, l’éditeur québécois La Pastèque nous rappelle – si besoin il y a – qu’il est l’une des plus importantes structures éditoriales francophones de la décennie actuelle, et de celles à venir.

Vue sur le lac
Depuis ses débuts dans les pages du magazine français Fluide glacial en 1988, Blutch ne cesse de nous éblouir. Tous les genres auxquels touche ce Grand Prix du Festival d’Angoulême de 2009 – Péplum, musique, humour, cinéma – sont graciés de sa plume sublime et de son imaginaire unique. Son plus récent livre, Vue sur le lac, présente près de 300 illustrations, dessins d’humour et bandes. Cette prodigieuse ode au dessin nous permet de revisiter les 15 dernières fécondes années de sa production. Un magnifique livre dont les pérégrinations mènent le lecteur dans un état second. De la pure poésie visuelle.

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