BD-Vérité

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L’exaltante reprise des activités éditoriales de La mauvaise tête cet automne marque, par la même occasion, le retour d’Ariane Dénommé. La jeune auteure montréalaise, qui avait lancé en 2012 le fort joli et non moins exigeant catalogue de l’atypique structure montréalaise avec son intrigant Du chez-soi, repousse les limites de la BD-vérité dans Main d’œuvre, genre peu exploré dans le 9e art québécois.

L’album raconte le quotidien de Daniel, jeune ouvrier travaillant dans les mines du Nord, qui extirpe jour après jour des entrailles de la Terre les minerais qui lui permettent ensuite de boire en une soirée les heures durement travaillées. S’inspirant de la vie de son père qui fut mineur à Uranium City de 1978 à 1980, Ariane Dénommé fait écho, dans sa démarche, au cinéma-vérité de Michel Brault, plus particulièrement à son extraordinaire film Pour la suite du monde. Si l’art séquentiel est d’abord une affaire de rythme, l’auteure, dans son découpage et sa mise en page, rivalise d’audace et d’habileté en laissant le temps, le silence, la vie s’insinuer subrepticement. Le trait brut et charbonneux qui ne cherche pas à être racoleur, les pages grises laquées de suie, les parcimonieux dialogues masquant un déconcertant non-dit en guise de contre-pied au verbeux Germinal d’Émile Zola, tout dans ce formidable album est au service du récit. On entre en Daniel comme dans l’abyssale et angoissante profondeur de la mine, sans savoir où cela nous mènera ni même si l’on en ressortira indemne. Ce n’est pas dans l’éclat et le bruit que se joue le drame de ces hommes ordinaires, mais dans celui, troublant, de la retenue. Le lecteur est convié, par le truchement de la lentille de l’auteure, au quotidien mat de Daniel. La sensation inconfortable de voyeurisme qui nous habite en début de lecture cède rapidement la place à un état hypnotique, duquel il est impossible d’abandonner la lecture.

En publiant ce formidable album, et celui tout aussi impétueux d’Oriane Lassus (Quoi de plus normal qu’infliger la vie?), les éditeurs Vincent Giard et Sébastien Trahan permettent à des femmes d’investir le médium de la bande dessinée avec une intelligence et une sensibilité salvatrice. De telles voix enrichissent, densifient la bande dessinée québécoise, se hissant, au passage, au rang des Julie Doucet, Caroline Merola, Geneviève Castrée et Isabelle Arsenault.

Joséphine Baker
Après ses très réussies biographies consacrées à Kiki de Montparnasse (2007) et Olympe de Gouges (2012), le tandem Catel et José-Louis Bocquet s’attaque avec grâce à l’étonnante et tumultueuse vie de Joséphine Baker, l’une des figures marquantes du siècle précédent. La jeune danseuse afro-américaine, qui devint à 20 ans la coqueluche de Paris, fut la première vedette mondiale de couleur ébène de l’histoire. Découpées en de brefs chapitres joliment rythmés, les 546 pages de ce formidable album racontent l’incroyable odyssée de cette femme libérée, résolument moderne et infatigable militante en défaveur de la ségrégation raciale. Un des albums phares de la rentrée 2016.

Maggy Garrisson, tome 3
Autre personnage féminin fort – fictif dans ce cas-ci –, Maggy Garrisson est l’héroïne délicieusement atypique de ce polar fort réussi. La détective autodidacte et autoproclamée à la moralité laxe n’a rien des nymphes botoxées des séries policières criardes et formatées qui envahissent nos écrans. Aux antipodes de farandoles et de pitreries invraisemblables propres au genre policier en vogue, les auteurs misent sur la vraisemblance, le réalisme, embrassant les codes du genre pour mieux le réinventer. Ajoutez le flegme britannique en guise d’ingrédient, et vous voilà parti pour un captivant moment de lecture.

Martha & Alan
Emmanuel Guibert poursuit l’œuvre biographique de son ami Alan Ingram Cope, amorcée il y a plusieurs années avec La guerre d’Alan et L’Enfance d’Alan, dans ce bouleversant récit de son premier amour de jeunesse. S’affranchissant de la mise en case au profit de magistrales illustrations couleur pleine page ou double page, l’artiste – extraordinaire conteur d’une rare sensibilité et d’une délectable pudicité – amène le lecteur à revivre cette sensation unique de l’importance d’un lien unissant deux jeunes êtres. Empreint de nostalgie, on plonge en Martha & Alan comme l’on feuillette parcimonieusement un album photo, soit avec ravissement, émotion et fébrilité. Guibert insuffle au récit un tel sens du sacré qu’on en ressort habité, ému, pantois.

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