Pour l’écrivain, la revue de création littéraire est l’endroit par excellence pour secouer ses habitudes. La forme brève qu’elle impose et parfois la contrainte d’un thème le met au défi. En parallèle des maisons d’édition, la revue littéraire est un terrain de jeu audacieux, comme une sorte de mise en péril bienheureuse.

Frédéric Parrot, auteur et professeur de chimie au cégep, contribue depuis 2013 à ce type de revue (Virages, qui a fermé ses portes en 2016, Moebius, Solaris). Il y trouve un moyen de publier, donc par le fait même de faire lire ce qu’il écrit et de « briser la routine d’écriture » établie sur un projet de plus longue haleine. « Le plaisir vient entre autres de l’exercice de style que ça permet grâce aux thèmes imposés, ça amène des pistes de création auxquelles je n’aurais pas pensé spontanément, donc c’est très formateur. » Il avoue lui-même être un peu déconnecté des cercles officiels littéraires, mais sa participation à ces publications collectives lui permet une certaine visibilité tout en réussissant à créer des liens. « Aussi, le fait de collaborer à l’édition de chaque nouvelle avec des gens différents qui ont des points de vue différents enrichit l’expérience. »

Quant au lecteur, la revue de création littéraire lui permet d’apprivoiser son auteur ou, au contraire, de le découvrir sous un jour complètement nouveau ou même d’en faire la connaissance pour la première fois. Bref, la revue littéraire a de nombreuses vertus qui méritent bien un petit tour d’horizon.

Brins d’éternité : projection dans l’imaginaire
Fondation : 2004
Lieu : Montréal
Parution : Trois numéros par année
Direction : Ariane Gélinas, Guillaume Voisine, Alamo St-Jean

Brins d’éternité se consacre aux littératures de l’imaginaire, soit à la science-fiction, au fantastique et à la fantasy. Si les littératures de genre ont longtemps été victimes de préjugés, reléguées au statut de littérature de second ordre, elles acquièrent de plus en plus d’estime. La qualité des auteurs et le travail de représentation fait par les éditeurs ou par l’entremise d’un espace ponctuel tel Brins d’éternité participent au redressement de la réputation de ceux et celles qui osent le genre. Ne reste au public qu’à faire preuve d’audace et à tenter l’expérience de l’imaginaire, la revue étant le modèle idéal pour l’apprivoiser, et ensuite, l’approfondir. Vitrine de diffusion dynamique, cette publication n’hésite pas à proposer des recrues prometteuses comme de vieux routiers, et elle privilégie la nouvelle narrative en prose inédite, illustrée par des dessinateurs, ainsi que la bande dessinée. Des critiques, des chroniques et des articles s’ajoutent aux textes de création.

Contre-Jour : endosser la marge
Fondation : 2002
Lieu : Montréal
Parution : Trois numéros par année
Direction : Collectif

Le titre annonce les couleurs d’entrée de jeu : Contre-jour aime la marge, la brandit, la réclame, l’endosse. « Contre-jour est une revue centrée sur l’essai littéraire, non pas l’étude savante ou l’analyse universitaire, mais l’essai littéraire entendu dans la grande tradition québécoise d’une parole libre et sans jargon, amorcée avec Arthur Buies, en passant par Pierre Vadeboncœur et Yvon Rivard (deux modèles de la revue), jusqu’aux essayistes plus récents », explique Étienne Beaulieu, l’un des fondateurs. À partir d’un thème principal, parfois l’œuvre d’un auteur, parfois un sujet circonscrit qui appelle néanmoins des réponses protéiformes, Contre-jour se définit probablement par son ouverture d’esprit, cette pensée qui prend le large afin de mieux approcher la nature du propos. Nouvelles, poèmes, essais, notes de lecture façonnent le corps de cet objet littéraire qui renverse avec allégresse les lieux communs.

Entrevous : organe interactif
Fondation : 2016
Lieu : Laval
Parution : Trois numéros par année
Direction : Danielle Shelton

Entrevous est propulsée par la Société littéraire de Laval dont la revue Brèves littéraires (1986-2016) a été remplacée par celle-ci. Elle a comme plaidoyer que la littérature est partout et n’hésite pas à la mettre en relation avec les autres arts. Elle sort donc souvent voir et entendre musique, théâtre, arts visuels, cinéma et opéra. Elle s’intéresse à la réception des œuvres, au processus créatif, à l’intention du texte et à l’interprétation, jamais unique, qui en est faite. Ainsi, elle privilégie la multitude des points de vue qui donne assurément, selon elle, richesse et densité à la vie. Avec ses divers jeux et mises aux défis qui ratissent tous les genres, elle entretient un joli chaos et n’a que faire des formules conservatrices.

Estuaire : poétiquement vôtre
Fondation : 1976
Lieu : Outremont
Parution : Quatre numéros par année
Direction : Yannick Renaud

Plus vieille revue francophone du pays à se consacrer à la poésie, Estuaire roule toujours sa bosse sans toutefois omettre de se renouveler. En 2015, elle changeait d’ailleurs d’aspect en adoptant un format plus « à la page » et un graphisme plus « de son temps ». Toute la place, ou presque, est laissée aux poèmes, car à part quelques feuilles réservées à la critique ou à un entretien par-ci par-là, elle fait défiler une à la suite de l’autre les propositions d’auteurs actifs dans la littérature contemporaine québécoise et qui ont choisi le poème comme moyen d’exploration du monde. Soumis à un thème défini à l’avance, les poètes s’en servent pour mieux se commettre devant le lecteur avide de paroles poétiques signifiantes.

Exit : poésie à bout portant
Fondation : 1995
Lieu : Montréal
Parution : Quatre numéros par année
Direction : Stéphane Despatie

La revue Exit, publiée par les éditions Gaz Moutarde, se revendique comme une espèce appartenant à la contre-culture ou, justement, n’appartenant surtout à rien ni à personne. Elle veut faire entendre les voix poétiques de tous horizons, celles du Québec et d’ailleurs, celles chevronnées comme celles totalement inconnues, pourvu qu’il y ait toujours à travers l’écriture une tentative d’exploration et de renouvellement. On peut très bien supposer qu’Exit veuillemettre dehors les discours préfabriqués ou figurer la sortie d’urgence qu’il faut impérativement prendre pour se sauver du tel quel.

 

Les écrits : arts et lettres
Fondation : 1954
Lieu : Montréal
Parution : Trois numéros par année
Direction : Danielle Fournier

Les écrits est une pionnière en matière de revue littéraire au Québec. D’abord parue sous le nom Écrits du Canada français, elle devient tout simplement Les écrits à partir de 1995. Elle est parrainée par l’Académie des lettres du Québec et son comité de rédaction est réservé aux membres qui la composent. Elle demeure toutefois indépendante dans sa gestion éditoriale. En lien avec les arts visuels, elle s’intéresse tant au récit qu’à la poésie et à l’essai. Si elle donne la part belle aux auteurs du Québec, elle s’ouvre aussi à toute la francophonie et à certaines traductions. Un heureux mélange où la passion du verbe prévaut.

Moebius : prise de parole pour tous les genres
Fondation : 1977
Lieu : Montréal
Parution : Quatre numéros par année
Direction : Marie-Julie Flagothier

Polymorphe, Moebius alterne dans ses pages entre prose et poésie et adhère à tous les genres. Chez elle, c’est une citation tirée d’une œuvre littéraire qui fait figure de thème. En plus des textes de création tous azimuts, elle accueille annuellement un écrivain et un artiste en résidence et invite un auteur à rendre hommage à un pair en usant de l’art épistolaire. Dernièrement, elle amorçait une nouvelle rubrique qui remet à la surface un texte de fond paru dans la revue il y a quelques années. En février 2017, une équipe toute neuve prenait la barre de la revue, poursuivant sa quête de réinvention par les mots.

Solaris : vers d’autres dimensions
Fondation : 1974
Lieu : Lévis
Parution : Quatre numéros par année
Direction : Jean Pettigrew

Plus vieille revue de littérature fantastique et de science-fiction en français, Solaris est incontournable pour tout amateur ou professionnel du genre. Bien que la création soit au cœur de son mandat, on peut y trouver plusieurs informations sur le sujet et y lire des critiques et des entrevues. Elle organise le concours Solaris pour déterminer la meilleure nouvelle et, depuis 2016, propose le prix Joël-Champetier, qui couronne un auteur francophone à l’international. À travers les années, elle a su conserver sa curiosité et sa vivacité, cultivant son exploration libre de la matière écrite imaginée. Elle est publiée par l’éditeur Alire.

Tristesse : les femmes d’abord!
Fondation : 2017
Lieu : Montréal
Parution : Deux numéros par année
Direction : Marie Saur

Toute récente dans le monde des revues de création, Tristesse est née du désir avoué de faire une place de premier choix aux auteures, sans toutefois revendiquer l’exclusivité. On n’hésite pas non plus à y intervertir les rôles, ce qui fait qu’on trouvera opportun qu’une bédéiste se mette à la nouvelle ou à l’essai, ou qu’une intellectuelle emploie ici un ton très personnel pour exprimer sa pensée. Tristesse prouve aussi que le féminisme est dans tout, parce qu’il est humain et qu’il concerne le monde. Si l’expression n’était pas éculée, nous pourrions dire que la revendication féministe derrière Tristesse est nécessaire.

XYZ : prose en forme brève
Fondation : 1985
Lieu : Montréal
Parution : Quatre numéros par année
Direction : Nicolas Tremblay

XYZ, ou dans son appellation complète XYZ : La revue de la nouvelle, consacre l’entièreté de sa publication à ce genre, la forme brève se prêtant admirablement aux paramètres d’une revue. Elle propose aussi un thème en guise de point de départ, tout en réservant quelques feuilles aux thèmes libres. Elle privilégie les auteurs québécois, mais laisse tout de même un espace à un écrivain hors frontières. Chaque année, elle lance un concours de nouvelles avec promesse de parution au gagnant. Sans jeu de mots, XYZ est un terreau fertile de bonnes nouvelles pour tout auteur ou lecteur animé par un processus novateur d’écriture de la prose.

Zinc : idées nouvelles et indépendance
Fondation : 2003
Lieu : Montréal
Parution : Trois numéros par année
Direction : Mélanie Vincelette

La revue Zinc s’affiche comme « un laboratoire pour la littérature de demain »; elle souhaite donc s’affranchir de ses prédécesseurs tout en leur vouant sa reconnaissance. Parlant d’art, de lettres et de culture à travers la fiction, l’essai, l’illustration, Zinc propose un thème à chacun de ses numéros comme un heureux prétexte à imaginer, à décloisonner, à débattre et, pourquoi pas, à faire irradier ces lignes de conduite au plus grand nombre. Elle a été fondée par l’éditrice de la maison Marchand de feuilles, qui la dirige.

On le constate à la multiplicité des propositions, la revue de création littéraire est bien vivante. Banc d’essai ou façon de se confronter à d’autres formes, elle participe à remettre au premier plan le devoir de l’écrivain, soit de demeurer à l’avant-garde et de provoquer la recherche d’autres avenues pour penser le monde.

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