Yves Guillet: on ne naît pas libraire, on le devient

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Être libraire, Yves Guillet ne l'avait pas forcément prévu. La vie réservant parfois de drôles de surprises, il est aujourd'hui le propriétaire de la librairie Le Fureteur, qui s'est taillé une place de choix sur la Rive-sud de Montréal. Il a ainsi fait la preuve par l'exemple que la librairie indépendante a encore un bel avenir au Québec!

«Le nerf de la guerre, c’est le service offert. Il faut être fidèle à nos clients, comme ils le sont à nous-mêmes. Il s’agit de leur donner le meilleur service en répondant par tous les moyens à leurs demandes», affirme avec conviction Yves Guillet. Les années lui ont donné raison, car il a fêté en août dernier ses
30 ans à la tête de la librairie Le Fureteur, une entreprise en très bonne santé.

Grâce à la passion et au dynamisme de M. Guillet, Le Fureteur a acquis une solide réputation et même réussi à s’imposer face aux grandes chaînes. «La librairie existe depuis 43 ans. Elle est bien implantée dans la région – même les Montréalais la connaissent!» Aujourd’hui, il dirige une équipe de 15 personnes et quelque 20 000 titres sont offerts dans les rayons de sa librairie, laquelle a changé trois fois d’adresse afin d’accueillir plus de livres. Depuis 2000, Le Fureteur occupe deux étages dans un bâtiment presque centenaire sis sur la rue Webster à Saint-Lambert. «On a acheté et complètement rénové trois maisons qui étaient les unes à côté des autres», précise celui qui tenait à être propriétaire de ses locaux afin de ne pas être tributaire d’une compagnie qui règle le prix du loyer à son gré.

Une petite librairie devenue grande
Que de chemin parcouru pour Le Fureteur, qui a fait ses débuts dans une petite pièce de sous-sol!
Trois amies, dont une était déjà libraire, fondent l’établissement en 1963. Il est ensuite racheté par Hélène Surprenant-Marcil, une passionnée de livres qui s’en défera à contrecœur quelques années plus tard. C’est en 1985 qu’elle propose à Yves Guillet de racheter Le Fureteur et de garder l’équipe de trois employés: il accepte. Pour lui, ce qui devait être au départ un boulot d’étudiant devient une profession à part entière. Mais il s’agit également d’un défi de taille.

Au fil des années, il mène sa petite entreprise malgré la crise ambiante. Dans les années 1990, la morosité économique et la précarité sont dans l’air. Entre 1996 et 1999, 42 librairies québécoises indépendantes mettent la clé sous la porte, dont 13 à Montréal, tandis que les chaînes comme Renaud-Bray, Archambault et Costco se taillent la part du lion et multiplient les succursales. Parallèlement, le commerce électronique arrive avec amazon.com sur la Toile. Enfin, menace ultime, la mort du livre papier est annoncée avec l’invention du livre électronique, l’e-book, et du cédérom.

À contre-courant
De son côté, Yves Guillet continue à investir dans Le Fureteur et se construit petit à petit une belle réputation auprès d’une clientèle de proximité. Et puisqu’à ses yeux, «il est important de rendre les lieux chaleureux et sympathiques», il décide de devenir propriétaire de ses locaux afin de pouvoir les aména-ger à sa guise. Le programme d’aide à l’aménagement de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) lui a permis de le faire en 2000. Aujourd’hui, l’économie se porte bien et son entreprise est florissante.

Il se fait un point d’honneur d’avoir un personnel qui soit libraire avant d’être vendeur: «Les qualités d’un bon libraire sont de posséder une grande culture générale, d’avoir de l’entregent et le souci du travail bien fait.» Et bien sûr, d’aimer les livres! Guillet lui-même a fait le choix de n’investir que dans ces derniers, au détriment des produits dérivés: «J’admets que certains produits peuvent séduire une partie de la clientèle, mais on les trouve déjà un peu partout. Tandis que le livre est un produit indémodable, et il y a 25 000 nouveautés par an. Donc, si on vend d’autres choses, ça laisse moins de place aux livres, à la diversité.»

Suivant cette ligne de conduite, les libraires du Fureteur proposent un service de qualité au milieu d’un environnement accueillant. Les rayons font la part belle à la littérature générale et à celle destinée à la jeunesse. Les fonds en bande dessinée pour les adultes sont eux aussi substantiels et appréciés des clients, ainsi que ceux en sciences humaines et voyages.

La formule fait florès, car la clientèle est au rendez-vous! Son profil: éclectique et souvent très instruite. «On voit de plus en plus de jeunes familles, ce qui correspond à un renouvellement de la population à Saint-Lambert, remarque Yves Guillet. Et il y a nos clients fidèles depuis des années avec qui des liens de familiarité se sont créés. C’est vraiment agréable.» Quant aux membres du personnel, ils ont le sentiment de former une famille. Aujourd’hui, pas moins de cinq personnes assurent la gestion de l’entreprise – un vrai travail d’équipe!

Une philosophie
Même lorsque la conjoncture économique était difficile, Yves Guillet n’a jamais envisagé de vendre Le Fureteur. «Et si c’était le cas, j’essaierais de trouver quelqu’un qui a la même philosophie du métier de libraire que moi», assure-t-il. Cette philosophie tient en deux points: être à l’écoute de ses clients et choisir les livres en toute liberté, sans se faire imposer le choix des distributeurs.

Dès lors, il accueille favorablement la nouvelle bannière Les librairies indépendantes du Québec (LIQ), créé récemment par l’Association des libraires du Québec (ALQ) et le libraire. «Il est fondamental de se positionner face aux autres marchés et aux commerces de grandes surfaces, souligne-t-il. En effet, la librairie indépendante a de nombreux atouts en mains: la stabilité de son personnel, un sentiment d’appartenance du public et une personnalité propre, contrairement aux grandes chaînes qui sont standardisées et retiennent peu leurs employés.»

Il attribue par ailleurs la réussite de la librairie Le Fureteur à son dynamisme au sein de la communauté. «Il s’agit de s’impliquer culturellement dans son milieu, notamment en organisant des événements, précise-t-il. Au Fureteur, il y a des rencontres d’auteurs, des séances de signature, des conférences… Et nos libraires participent souvent au journal le libraire

Yves Guillet envisage donc l’avenir avec optimisme: «Il y a eu des moments difficiles, mais là, on est dans une bonne période. J’espère et j’ose espérer qu’elle va durer! Plus les gens seront scolarisés, plus des habitudes de lecture seront créées. Il y a davantage de lecteurs, tous âges confondus. Même s’il y a des périodes où on lit moins, je pense qu’on y revient toujours.»

Les livres de chevet d’Yves Guillet
Mon nom est Rouge, Orhan Pamuk, Gallimard, 576 p., 52$
Anges et Démons. Dan Brown, Pocket, 640 p., 12,95$
La Rivière du loup, Andrée Laberge, XYZ éditeur, 248 p., 25$
Sonde ton cœur, Laurie Rivers, Stéphane Bourguignon, Québec Amérique, 184 p., 19,95$

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