Victor-Lévy Beaulieu, éditeur

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Victor-Lévy Beaulieu aime la langue de bois. Pour la fendre à coups de hache, ou la raboter. Trente-cinq ans après La Nuitte de Malcolmm Hudd, Je m'ennuie de Michèle Viroly, publié à l'hiver 2005, mêle les deux exercices. Ce roman d'une existence putride, où «Quebec» s'écrit sans accent et où tout le monde s'appelle Jack, fait miroiter dans sa langue unique les combats menés par Beaulieu l'éditeur, dévoué depuis quarante ans à l'épanouissement d'une littérature nationale. Notre entretien téléphonique a débouché sur une belle jasette, où l'édition, pour Beaulieu, s'impose comme le point de friction entre la langue littéraire et la culture québécoise.

Dix ans après la vente de VLB éditeur, pourquoi fonder les Éditions Trois-Pistoles?
Je suis revenu ici en 1981. À l’époque, faire VLB éditeur à Trois-Pistoles, c’était infaisable. Il y avait les contraintes techniques, mais c’est aussi parce que je ne suis pas certain que la moitié des auteurs auraient accepté d’être publiés à trois cents milles de Montréal. Quand j’ai fondé Trois-Pistoles en 1994, la convention était claire: la maison est à Trois-Pistoles. Avec les avancées technologiques, on s’est équipés pour avoir accès à un graphiste à Montréal, un imprimeur à Boucherville ou ailleurs, et fonctionner de cette façon-là. Ça réduit le problème de la distance.

Vous avez commencé, en 1995, par publier vos œuvres complètes.
Ça a coïncidé avec un problème de pilonnage systématique chez VLB éditeur. Du jour au lendemain, tous mes ouvrages ont été pilonnés, y compris Monsieur Melville, dont on venait pourtant de réimprimer le tome trois. À partir d’un certain temps, quand tu gardes beaucoup de livres en stock et que t’en vends un minimum d’exemplaires par année, l’entreposage, la manutention et les assurances finissent par te coûter plus cher que ce que les ventes rapportent… En fait, je me suis retrouvé, vers la cinquantaine, avec le trois quarts de mes livres publiés qui n’étaient plus disponibles. Je publiais à l’époque chez Stanké, mais il n’y a pas un éditeur qui était intéressé à reprendre tous ces trucs-là: c’était une histoire de 500000 dollars. J’ai donc décidé de le faire moi-même. À un moment donné, j’ai reçu un manuscrit de Nicole Fillion, qui voulait seulement que je lui donne mes commentaires. Je lui ai téléphoné pour lui dire: «Si t’es d’accord, je le publie». C’est comme ça que j’ai commencé.

Par année, vous publiez environ 25 titres?
Oui, à peu près. On est rendu en dix ans à environ 220.

Si je comprends bien, votre équipe, c’est vous?
On est deux. On fait tout, André Morin, mon adjoint, et moi. On aimerait avoir trois-quatre personnes de plus, mais on n’a pas les moyens. Le plus invraisemblable, c’est que pour les éditeurs, il n’existe aucun programme d’aide à l’emploi. Tu peux embaucher avec Emploi-Québec, mais ça prend quelqu’un qui n’a jamais travaillé dans le domaine. Les programmes pour les PME? La condition initiale, si ma mémoire ne me trompe pas, c’était d’avoir une masse salariale de 200000 dollars par année… À part l’aide à l’édition du Fédéral, il n’y a rien d’autre. Tu peux même pas penser former du monde pour travailler dans ta maison, parce que t’as pas de quoi les payer!

Difficile d’imaginer une relève!
Il n’y aura pas beaucoup de relève. Les gens veulent travailler, mais ils veulent aussi des emplois qui vont leur permettre d’élever leurs familles. En édition, la plupart ont des salaires sous le seuil de la pauvreté. De génération en génération, tu recommences à zéro à chaque fois. Au Québec, on est dans un combat pour la libération nationale. Ça suppose qu’on a une littérature pour l’appuyer et la devancer. Le danger qui nous guette, c’est qu’on va peut-être arriver à l’indépendance politique, mais au niveau de la culture, ça risque d’être à refaire complètement. Parce qu’on n’aura pas prévu de relève, ni d’aller plus loin avec notre littérature. Je trouve ça tragique. Il devrait y avoir des États généraux sur la culture. J’aime ben ça que Robert Lepage soit joué à Tokyo, mais j’aimerais qu’il soit joué à Rimouski aussi. Il est connu partout dans le monde mais, au Québec, dès que tu sors de certains milieux, il est absolument méconnu. C’est ça, l’aberration.

La solution pour l’édition, est-ce une nouvelle politique du livre?
C’est difficile à définir parce que les gens qui contrôlent les organismes littéraires, comme l’ANEL, sont les mêmes qui contrôlent l’édition populaire et pratique. Ils ont condescendu à faire une section dite «littéraire». Mais quand tu fais ça dans une association, c’est vraiment parce qu’elle ne correspond plus au but pour lequel on l’a créée. Les salons du livre, c’est un scandale. Ç’a été créé pour favoriser l’émergence et l’épanouissement de la littérature québécoise. Maintenant, c’est pour Nathalie Simard, Danielle Ouimet et, pour avoir bonne conscience, quelques auteurs, mais des connus.

La part de la littérature sur l’édition en général est-elle de plus en plus réduite?
Je pense que oui. Si je regarde les tirages que je fais aux Éditions Trois-Pistoles par rapport à ce que je faisais à L’Aurore ou aux débuts de VLB éditeur, il n’y a pas de commune mesure. Les romans de Hubert Aquin, c’étaient des best-sellers. Ce n’étaient pas des livres faciles. Aujourd’hui, un auteur qui publie ce genre de roman a bien des chances de «passer dans le beurre». Donc, la littérature est devenue plus populaire, populiste, et a pris le relais de la littérature orale de la télé. La part qui reste à l’expérience langagière est de plus en plus étroite. Je pense qu’on ne peut rien y faire. T’as le phénomène Star Académie dans l’édition comme à la «tévé»: des jeunes auteurs ou des anciens profs qui écrivent leurs vies de façon linéaire, et qui pensent faire une œuvre sans avoir rien lu de la littérature d’aujourd’hui.

Votre collection sur les contes cherche-t-elle à répondre à ce manque?
Quand j’ai publié le premier tome des Contes, légendes et récits du Bas-Saint-Laurent, consacré exclusivement au passé amérindien de la région, 95% des gens du coin ne savait même pas que ça existait. Les contes, je pense, font découvrir les débuts. Les gens ne savent pas le départ des choses et, par conséquent, ils ont de la misère à entrer dans la réalité. C’est pareil avec la littérature: pour savoir un peu si le roman d’aujourd’hui est valable, il faut que t’aies des références sur ce qui s’est fait dans le passé. Une des fonctions de l’éditeur, c’est de combler ces trous-là.

Éditions Trois-Pistoles
31, route Nationale Est
Trois-Pistoles (Québec) G0L 4K0
Tél. : (418) 851-8888
Courriel : [email protected]

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