Variations sur la mort

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Originales façons de choisir sa mort
Le suicide fait couler beaucoup d’encre depuis longtemps – et pas seulement depuis l’adaptation du roman 13 raisons de Jay Asher, meilleur que la série, vous dira-t-on. Alors que plusieurs l’abordent sous un regard sociologique (notamment Émile Durkheim, il y a plus de 100 ans), d’autres l’abordent sous un angle plus burlesque – question d’en soulever la lourdeur, de jongler avec l’incompréhensible, peut-être. Deux cas de figure s’imposent dans cette catégorie : Petits suicides entre amis d’Arto Paasilinna (où deux suicidaires tentent de rallier d’autres gens à leur sombre projet, le tout de façon loufoque puisqu’ils sillonnent les routes, façon road trip, pour les trouver) et Le magasin des suicides de Jean Teulé (où une famille tient un commerce qui recèle tout ce qu’un individu peut vouloir pour passer à l’acte, jusqu’à ce qu’un bébé souriant, heureux, bien vivant, joigne la sombre smala).

 

Théâtraliser la mort de 74 façons différentes
L’œuvre de Shakespeare – comme tout drame anglais d’époque, d’ailleurs – recèle un nombre impressionnant de morts mises en scène. Le metteur en scène Tim Crouch les a compilées et en a ensuite produit un spectacle (The Complete Death) : au total, ce sont donc soixante-quatorze façons différentes de plonger dans le trépas qu’on y découvre, allant des nombreuses attaques au couteau (qui forment à elles seules 50 % des causes de décès!), mais passant également par des empoisonnements, des pendaisons et des décapitations. Dans les façons les plus inusitées, citons les horribles « cuisiné en tarte » et « poursuivi par un ours »…!  

 

Elisabeth Kübler-Ross : pionnière des soins palliatifs
L’œuvre vaste de cette psychiatre et psychologue née en 1926 en Suisse porte entièrement sur l’approche de la mort imminente. Celle qui s’est spécialisée dans les soins palliatifs, autant pour les enfants que pour les adultes, parle des étapes d’acceptation de notre mort, parle du deuil de ceux qui gravitent autour du défunt, parle des leçons de vie qu’on apprend au cours d’une existence, quelle qu’en soit la durée. On peut en apprendre davantage sur cette grande dame dans Toute une vie pour une belle mort, ou l’on peut se référer à son ouvrage le plus connu, La mort est un soleil splendide.      

 

Raynald Lecavalier et la peine de mort
L’avocat Raynald Lecavalier s’est lancé dans l’écriture de Les symboles (L’Apothéose) avec l’objectif d’aborder les méandres du système de justice américaine et la question de la peine de mort par le biais d’un présumé coupable : un tueur en série attendant dans le tunnel de la mort. « Les questions fondamentales entourant la peine de mort, à laquelle je suis farouchement opposé, étaient plus faciles à aborder dans le cadre de cette intrigue américaine. Comme vous le savez, la peine de mort au Canada a été abolie au mois de juillet de l’année 1976. Par conséquent, je me sentais mal à l’aise de ressusciter la peine capitale et de créer un Québec et un Canada imaginaires avec comme toile de fond une sentence de mort qui n’existe plus. Bien évidemment, comme je suis avocat de plein exercice et membre du Barreau du Québec, j’ai dû faire appel à une firme d’avocats américaine qui m’a guidé dans mes lectures », nous explique l’auteur. Pour ceux que le sujet intéresse, il faut impérativement vous rabattre sur le classique de 1829 de Victor Hugo, Le dernier jour d’un condamné.

 

Quand tous les personnages côtoient de près la mort…
Dans les nouvelles d’Alain Bernard Marchand, réunies sous le titre Sept vies, dix-sept morts (Les herbes rouges), le dénominateur commun entre les personnages est le fait qu’ils croiseront sur leur route, chacun de façon complètement différente, la mort. Que ce soit eux qui soient le prochain défunt en liste ou que ce soit un personnage qui découvre un cadavre, tout nous ramène au trépas dans ces nouvelles qui sont loin d’être glauques. Même chose pour le roman Quand monte le flot sombre de Margaret Drabble (Christian Bourgois éditeur), un livre dont la principale thématique est la mort qui pèse sur l’existence de chaque protagoniste, mais dont l’humour et l’aspect lumineux rendent l’histoire pertinente et belle, sans être trop sombre. Avec Grégoire Courtois et Les lois du ciel (Le Quartanier), on plonge cependant à pieds joints dans le drame : la mort d’enfants, façon Battle Royale. Un groupe de douze enfants de 6 ou 7 ans se rend en forêt pour un voyage scolaire, accompagné d’un enseignant et de deux parents. Le drame est imminent, l’angoisse est stagnante. Il ne faut pas plus qu’une dizaine de pages de ce roman de 200 pages pour savoir qu’on côtoiera le pire du pire. Figés dans la forêt, alors que leur imagination crée des fictions d’effroi, les jeunes vivront l’inconcevable. Chaque élève revit ses frayeurs comme dans un conte pour enfants qui se termine mal. Et on n’oublie jamais, page après page, la fin inéluctable annoncée d’entrée de jeu.

 

Choisir la vie à la mort
Dans son nouvel ouvrage autobiographique À la vie, à la mort (Libre Expression), Marcia Pilote nous raconte un récit bien personnel, une expérience qui lui a permis d’enfin passer outre sa peur de la mort. Elle y raconte le courage de son amie de longue date qui a décidé de cesser les traitements lorsqu’un cancer a refait surface : plutôt que de combattre, elle a choisi de vivre en paix ses derniers mois, faisant du coup un cadeau précieux à une Marcia qui n’avait jamais vu la vie sous un tel angle.

 

Citations tirées de livres qui traitent de la mort du père

« La forêt s’éclaircit. Mon père disait cela quand quelqu’un qu’il avait connu mourait. »
– Tiré de Tout doit partir, de Johanne Fournier (Leméac)

 

« Je reste enfermé dans la chambre
Dans laquelle vous avez expiré
Fausses notes
Parmi le souffle dernier
Qui saccage mes nuits blêmes »
– Tiré de Pliures, de Michel Ouellette (Prise de parole)

 

« Ce que je voyais maintenant, c’était son côté sans vie. C’était le fait qu’il n’y avait plus de différence entre ce qui avait été mon père avant et la table sur laquelle il reposait, ou le sol sur lequel la table était posée, ou la prise électrique sur le mur sous la fenêtre, ou le câble qui courait jusqu’à la lampe à côté. Car l’être humain n’est qu’une forme parmi d’autres formes que le monde exprime encore et toujours, non seulement dans ce qui vit mais aussi dans ce qui ne vit pas, marqué dans le sable, la pierre, l’eau. Et la mort que j’avais toujours considérée comme la chose la plus importante de la vie, obscure et attirante, n’était plus qu’un tuyau qui éclate, une branche qui casse au vent, une veste qui glisse d’un cintre et tombe par terre. »
– Tiré de La mort d’un père, de Karl Ove Knausgaard (Folio)

 

 

Saviez-vous que…
Peu de gens le savent, mais Dostoïevski a été condamné à mort. C’est notamment sa propre expérience qui lui permet d’écrire, dans L’idiot, un grave passage sur le sujet, inspiré des émotions qui l’ont alors animé. Engagé dans un groupe socialiste révolutionnaire, le jeune Dostoïevski sera amené, à l’hiver 1849, sur la place Semenov pour y être fusillé. Après s’être fait lire sa condamnation à mort, après avoir eu la tête recouverte d’un sac de tissu, après avoir attendu plusieurs minutes… il apprend que le Tsar se voit « miséricordieux », suspendant la peine. Mais tout cela n’était que mise en scène : l’Empereur n’ayant jamais signé cette condamnation à mort… Dès lors, c’est une renaissance pour Dostoïevski. Sa vie s’en voit chamboulée et son œuvre littéraire commence à se forger sous un nouvel angle.

« La mort de Mishima est l’une de ses œuvres et même la plus préparée de ses œuvres. » C’est Marguerite Yourcenar qui tient de tels propos à l’émission Apostrophes en 1981, invitée pour discourir de son essai Mishima ou la Vision du vide. La mort de cet auteur japonais est l’une des plus célèbres de la littérature mondiale : le 25 novembre 1970, Yukio Mishima, qui connaît déjà la gloire littéraire à 45 ans, poste à son éditeur le manuscrit de L’ange en décomposition, puis prend en otage le général commandant en chef des forces d’autodéfense et fait un discours sur l’importance du Japon traditionnel et du rôle de l’empereur. Selon le rituel ancestral des samouraïs auquel il adhère, il se suicide ensuite par seppuku, avant qu’un ami le décapite. Cœur sensible, cessez de lire : il fallut plusieurs tentatives et deux personnes pour terminer l’acte.  

Le lauréat du Pulitzer en 1948 pour Un tramway nommé Désir est décédé d’un bête accident : en effet, Tennessee Williams est trouvé mort par étouffement en février 1983. Le bouchon qu’il utilisait pour ingurgiter ses capsules de médicament s’est malencontreusement logé dans son larynx…

Quelques épitaphes littéraires insolites et populaires…
Si sur la tombe de la poète Dorothy Parker, il est écrit un simple « Désolée pour la poussière ». On trouve sur celle d’Oscar Wilde également un peu de poésie : « Et des larmes étrangères rempliront pour lui, l’urne de la Pitié cassée depuis longtemps, car ceux qui le pleureront seront des exclus, et les exclus pleurent toujours. » Celle de William Shakespeare intime gentiment les passants de foutre le camp, alors que celle de Jean de La Fontaine fait honneur à ce maître de la fable, utilisant cette forme littéraire pour ses derniers mots. Alfred Musset demande qu’on plante au cimetière un saule, arbre dont il aime le « feuillage éploré », alors que Françoise Sagan parle de sa mort comme d’un « scandale que pour elle-même ».

Connaissez-vous la « sick lit »?
Littéralement, on pourrait traduire la « sick lit » par « littérature de malade ». Même si l’utilisation de ces termes est plutôt récente, force est d’admettre qu’il ne s’agit pas vraiment d’un nouveau genre puisque la maladie, et par le fait même la mort, a toujours fait couler beaucoup d’encre. Malgré le sujet d’une tristesse infinie, cela inspire forcément les écrivains parce que c’est une réalité qui nous échappe, qui est inévitable, qui nous rend impuissants et qui permet de rendre compte de la fragilité de la vie et de ce qui compte vraiment. Les prémices les plus courantes dans la « sick lit » sont celles ou deux jeunes tombent amoureux alors qu’ils sont malades. Nos étoiles contraires, roman à succès de John Green, adapté au cinéma, s’avère le plus connu dans le genre. Mais pensons aussi à Me and Earl and the Dying Girl de Jesse Andrews, à Dieu me déteste de Hollis Seamon, à Absolument tout de Nicola Yoon (tout récemment adapté au cinéma), à La fille qui ne croyait pas aux miracles de Wendy Wunder, à Oscar et la dame rose d’Eric-Emmanuel Schmitt ou au récent Demain n’est pas un autre jour de Robyn Schneider. Mais si tous ces ouvrages sont destinés aux adolescents, les adultes ne sont évidemment pas en reste, étant eux aussi confrontés à la maladie, comme dans Les derniers jours de Rabbit Hayes d’Anna McPartlin ou Ne t’inquiète pas pour moi d’Alice Kuipers. Bien que ce courant semble plus répandu aux États-Unis, divers récits québécois témoignent aussi de la maladie. Plus près de nous, Pierre Gagnon, Sylvie Desrosiers et Dominique Demers ont raconté leur combat contre le cancer, respectivement dans 5-FU, Le jeu de l’oie et Chronique d’un cancer ordinaire.

Photo d’Elisabeth Kübler-Ross : © Ken Ross

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