L’histoire des pensionnats pour Autochtones peut souvent être racontée de façon froide. Plusieurs personnes connaissent cette parcelle du passé, pas si lointain, du Canada, sans toutefois la comprendre ou la ressentir. Car, parfois, pour comprendre réellement un événement historique, il faut y être plongé pour ressentir les émotions de ceux qui l’ont vécu et pour saisir l’impact réel sur leur vie aujourd’hui. Par Véronik Picard

Les pensionnats pour Autochtones étaient des écoles résidentielles où des enfants autochtones étaient amenés, sans le consentement de leurs parents, dans le but d’être évangélisés et assimilés à la culture canadienne. Ces établissements sont demeurés ouverts à travers le Canada pendant plus de 160 ans, le dernier ayant fermé ses portes en 1997. Si au cours de cet article c’est le terme « pensionnats pour Autochtones » qui sera privilégié plutôt que « pensionnats autochtones », c’est pour souligner que ces établissements n’étaient pas tenus par des Autochtones.

Jusqu’à tout récemment, rares étaient les Autochtones qui prenaient la plume pour raconter cette histoire. Les allochtones qui le faisaient ou qui le font encore, malgré leur bienveillance et leur écoute, mettent sur papier ces récits selon leur perception occidentale. Ces dernières années, de plus en plus d’écrivains autochtones de différentes nations écrivent leur version, et ce, chacun à leur façon : l’histoire des pensionnats pour Autochtones prend alors tout son sens.

À travers les mots d’Édouard Itual Germai
Survivant de la tentative de génocide culturelle des pensionnats pour Autochtones, Édouard Itual Germain a incarné, au cours de sa vie, la façon qu’avait sa nation de voir le monde. Même après s’être éteint, comme Uapanatuk (son étoile préférée) au lever du soleil, il raconte son histoire dans Ni kistisin / Je me souviens. Paru de façon posthume, ce recueil de poésie a été pris sous l’aile de ses filles, Christine, Lucie et Mélanie, qui y ont mis la touche finale.

Édouard Itual Germain était un chasseur, trappeur et poète ilnu de Mashteuiatsh, une communauté autochtone près du grand lac Pekuakami (lac Saint-Jean). Poète autodidacte, il a commencé à mettre ses mots sur papier à la suite d’un atelier mené par la poétesse innue Joséphine Bacon et l’écrivaine québécoise Laure Morali. Sa plume touchante lui permet de perpétuer le désir légué par son mushum (grand-père) : celui de ne jamais oublier la langue et la culture innue.

« Ni kistisin est l’héritage de nombreuses années de travail de notre père et est dédié aux survivants des pensionnats autochtones ainsi qu’à leur descendance. Ce recueil se veut un périple vers la guérison », écrivent ses trois filles en préface du recueil posthume.

À travers de courts poèmes, Édouard Itual Germain n’a pas besoin de beaucoup de mots pour transmettre ses idées. Plusieurs Innus soutiennent d’ailleurs que c’est parfois par le silence, l’observation et la contemplation que l’on apprend le plus.

« Dans l’air silencieux
Se cache
Ce que vous nous avez fait
En ce monde
Nous ne craignons plus vos secrets
Ce qui existe en nous
Nous le portons
Autour d’un même feu »
– Ass8te8ek | Ils sont en bande

 

À travers les mots de Michel Jean
Lorsque le journaliste, auteur et chef d’antenne Michel Jean, une figure emblématique au Québec, raconte son histoire, celle de ses parents, de ses cousins, il est difficile de rester insensible aux pensionnats pour Autochtones. Ce passé est aussi celui de trop d’enfants maintenant devenus aînés au Canada. Trop longtemps cachée, cette histoire se tient silencieusement près de chacun d’entre nous qui habitons sur le dos de la Grande Tortue, communément appelée l’Amérique.

Michel Jean a brisé le silence qui régnait autour de lui en brossant le portrait d’événements tragiques vécus par des humains attachants, ces mêmes humains, ces mêmes ilnus qui l’ont vu grandir. Les œuvres de l’écrivain sont reliées par des personnages communs; un personnage qui fait une brève apparition dans Kukum sera le protagoniste du livre Le vent en parle encore. Avec ces histoires horribles qui y sont racontées et qui ont lieu dans des endroits reclus de la province de Québec, on se croirait presque dans l’univers romanesque de Patrick Senécal, à la différence que, cette fois-ci, l’histoire est inspirée de faits vécus par des centaines de milliers de personnes au Canada.

L’auteur originaire de Mashteuiatsh désire tout de même éviter que les gens étouffent dans un univers trop suffocant. Il balance donc à la perfection les moments heureux et dramatiques, ce qui permet au lecteur de s’attacher aux protagonistes et d’éprouver de l’empathie à leur égard.

N’ayant pas vécu les pensionnats pour Autochtones, Michel Jean raconte, dans Le vent en parle encore, l’histoire de l’une de ses cousines qui a été amenée de force à Fort George à la baie James. Un endroit où on lui a dit d’oublier son nom et où on lui a donné un numéro. Dans le livre Kukum, on comprend que la sœur de cette cousine est décédée à l’école résidentielle à un très jeune âge et que ses parents ne l’ont appris que plusieurs mois plus tard, sans jamais l’avoir revue.

Ce qui rend les œuvres de Michel Jean uniques, c’est la façon qu’a l’auteur d’ajouter des récits ou des pensées actuelles à ses romans. Le lecteur se sent donc davantage interpellé dans son époque. Atuk, elle et nous ainsi que Tiohtiá:ke en sont de bons exemples. Leurs mots invitent le lecteur à faire preuve de bienveillance envers les Autochtones qui les entourent, et ce, chaque jour, car pour les Autochtones, s’adapter au monde contemporain demeure un défi quotidien.

À travers les mots de Richard Wagamese
Les romans de Richard Wagamese suivent l’évolution de ses questionnements concernant la place des Autochtones dans notre société nord-américaine. L’ensemble de son œuvre raconte son histoire, celle de ses proches, celle de plusieurs Autochtones au Canada. Après avoir expliqué et compris ce passé, il explore les avenues d’un meilleur vivre-ensemble entre les Autochtones et les Canadiens.

Le romancier né dans le nord-ouest de l’Ontario n’a pas vécu les pensionnats comme plusieurs de ses proches; il a plutôt vécu la « rafle des années 1960 », où les enfants étaient retirés de leur communauté pour être élevés dans des familles allochtones. Le but était essentiellement le même que celui des pensionnats, soit « tuer l’Indien au cœur de l’enfant ». Le premier roman de l’auteur anishinaabe de Keeper’n Me relate une histoire très similaire à la sienne.

L’une de ses œuvres les plus connues est Cheval Indien, qui a été adaptée au cinéma en 2017, l’année de son décès. Ce roman raconte l’histoire attachante de Saul, un jeune anishinaabe qui est amené de force au pensionnat. Dans cet établissement, il subit de nombreux abus verbaux, physiques et sexuels, mais il prend le hockey comme échappatoire, devenant un joueur d’exception convoité par des équipes de la ligue nationale. Malgré son talent, les nombreux événements traumatiques dont il a été témoin ou victime avant, pendant et après son séjour à l’école résidentielle prennent le dessus sur sa carrière prometteuse.

Comme de nombreux Autochtones, Richard Wagamese a parcouru un long chemin vers la sobriété et la reconnexion avec ses racines; un chemin vers la guérison. Dans son livre Les étoiles s’éteignent à l’aube, l’écrivain originaire de la nation Wabaseemoong trace cette route que plusieurs cherchent à travers l’histoire d’un jeune de 16 ans qui accompagne son grand-père dans son dernier périple vers une montagne lointaine. Son roman posthume Starlight en est la suite.

Apprendre à cohabiter grâce à leurs mots
Prendre le temps de comprendre l’histoire des pensionnats pour Autochtones est urgent, car ceux qui ont connu ces établissements sont de plus en plus âgés. Il s’agit désormais d’un devoir collectif de s’arrêter pour écouter et lire ceux qui ressentent le besoin de partager leur vécu avant de s’éteindre comme les étoiles, de prendre la porte de l’Ouest ou de s’éloigner à coups de pagaie vers un autre monde, selon les croyances de leur nation.

Que ce soit dans leur langue maternelle ou dans une autre langue, ces auteurs participent à la réconciliation ou à un meilleur vivre-ensemble grâce à leurs récits. Leurs mots permettent à chaque personne qui les entend de porter leurs valeurs dans leur cœur pour que chacune des décisions tienne compte du bien-être des sept prochaines générations qui cohabitent sur le dos de la Grande Tortue. Car, chez les nations autochtones, chaque génération a le futur des sept prochaines entre ses mains, ce qui permet à chacune d’entre elles de continuer le travail entamé par les précédentes.

Cet article est tiré du carnet Je lis autochtone!

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