Québec en mots et en images

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Québec, ville de lumière. Québec de roc et de pierre. Québec fortifiée et militaire. Québec romantique. Québec des regards infinis. Québec où «le passé porte le présent comme un enfant sur ses épaules» (Robert Lepage). Il y a un mystère des beautés de Québec que tous les livres ne peuvent épuiser, mais qu’ils contribuent à nous faire découvrir. À l’occasion des 400 bougies de Québec, coup d’œil sur quelques livres incontournables et plusieurs parutions récentes sur la vieille, mais toujours verte Cité.

Livres d’avant-hier
Québec est un lieu obligé de visite pour tout voyageur dès le XVIIIe siècle. Pehr Kalm écrit dans son Voyage de Pehr Kalm au Canada (1749): «Lorsque, du château, quelqu’un regarde la basse ville dont une partie s’étend à ses pieds, il peut être saisi de frayeur; de même lorsque, de la ville basse, on lève les yeux vers le château, celui-ci semble placé dans les nuées.» Isaac Weld, quant à lui, note dans son Voyage au Canada (1803): «Si un pays aussi riant que fertile, si un climat sain et tempéré, si la jouissance d’une portion raisonnable de liberté civile et religieuse peuvent rendre un peuple heureux, il n’y en a pas, sur la terre, un qui puisse se flatter de l’être plus que les Canadiens, pendant l’été.»

Éditeur et auteur prolifique, Greame Mercer Adams publie en 1891 Illustrated Quebec, qu’on pourrait qualifier d’album souvenir rédigé à l’intention du visiteur «avec les compliments de J. B. Laliberté, marchand de fourrure et manufacturier», précise la quatrième de couverture. Adams veut mettre en évidence «la beauté inégalée ainsi que les caractéristiques pittoresques et médiévales de la Gibraltar du Canada», et propose au visiteur un mode d’emploi pour visiter Québec. Le tourisme de masse impose désormais sa logique au voyage en solitaire.

Parmi ces ouvrages devenus aujourd’hui difficiles à trouver, il faut aussi mentionner Le Québec et Lévis à l’aurore du XXe siècle, publié en 1900 et dont l’auteur, Adolphe-Basile Routhier, est également le compositeur des paroles de l’Ô Canada, dont on ne rappellera jamais trop souvent qu’il fut, à l’origine, un chant patriotique de ralliement des Canadiens français. Et enfin, signalons la monographie de Pierre-George Roy, L’Île d’Orléans, publiée en 1928 et agrémentée d’œuvres du peintre Horatio Walker ainsi que de nombreuses photographies de la vie traditionnelle des insulaires.

Québec, cette héroïne
D’autres ouvrages, plus récents mais tout aussi incontournables, devraient se retrouver dans la bibliothèque de tout «québécophile».

Québec plein la vue a été publié en 1994 sous la direction de John R. Porter et Didier Prioul. Ce bel album offre au lecteur plus de deux cents œuvres visuelles — aquarelles, peintures, cartes anciennes et photographies — ainsi que des textes consacrés à Québec. Alexis de Tocqueville y côtoie le peintre topographe James Pattison Cockburn. Pierre de Coubertin y voisine le photographe Louis-Prudent Vallée. Magique!

Dans Pays et Mensonges, publié en 1999, Luc Bureau nous propose Québec «sous la plume d’écrivains et de penseurs étrangers». Il faut lire Charles Dickens qui, en 1842, s’émerveille devant la cité qu’il est le premier à nommer «ce Gibraltar d’Amérique», ou encore Lovecraft qui, au début des années 1930, constate que Québec est «la ville la plus ancienne, la plus belle, la plus charmante, la plus ensorcelante et la plus pittoresque d’Amérique du Nord». Troublant regard de l’Autre sur nous!

L’Histoire spectacle. Le Cas du tricentenaire de Québec, publié en 2003, a été écrit par l’historien anglophone H. V. Nelles. L’auteur démontre à quel point ce tricentenaire a été l’occasion d’un affrontement entre les pouvoirs politique anglophone et religieux francophone, pour ensuite devenir une immense fête de réconciliation nationale devant servir les intérêts du Canada du XXe siècle. On lit ce livre comme un roman et on le quitte à regret… comme un roman.

Les Anglos. La Face cachée de Québec, que Louisa Blair a publié en 2005, pourrait être avantageusement comparé à L’Île d’Orléans de Pierre-Georges Roy, ne serait-ce que parce qu’il est composé d’une multitude de courts textes et abondamment illustré d’images souvent inédites. La conclusion de ce coffret de deux tomes est une citation de Rainer Maria Rilke: «L’amour consiste en deux solitudes, qui se protègent, se touchent et s’accueillent.» Louisa Blair réussit à nous toucher et, pour cela, nous l’aimons.

Livres d’aujourd’hui
Au risque de paraître ringard, je citerai François Mauriac, qui a déjà écrit que «l’âme échappe au temps». Ainsi en est-il de l’âme de Québec, que le photographe Claudel Huot nous donne à voir dans un livre remarquable à plus d’un point de vue. Claudel Huot est un artisan de l’image. Ses «vues de Québec» sont en noir et blanc, parfois colorées à la main comme aux premiers temps de la photographie et du cinéma, nous ramenant ainsi à l’essence même des êtres et des choses. Claudel Huot est un artiste de la lumière, comme on le disait des peintres impressionnistes. Photographie-t-il le domaine de Maizerets qu’on se croirait dans les jardins de Giverny peints par Monet. L’œil du photographe explore les lumières de Québec, le lien qui unit la Vieille Cité à sa nature, son fleuve et ce qu’il appelle fort joliment son «architexture». Il cherche l’invisible dans le dépouillement des jeux d’ombres et le réfléchissement des paysages. L’Âme de Québec nous rappelle que Claudel Huot est aussi un passeur d’âmes.

L’Hôtel du Parlement. Mémoire du Québec est assurément un livre que le service gouvernemental du protocole mettra cette année dans le «doggy bag» du visiteur de prestige. Format à l’italienne, papier glacé, texte bref et concis, illustrations de toutes sortes, mise en page aérée, netteté de l’impression: bref, de la belle ouvrage… et un concept original. L’auteur, Gaston Deschênes, connaît l’édifice du Parlement comme le fantôme connaît son Opéra. Il nous invite donc à observer avec lui tous les éléments — statues, vitraux, boiseries, armoiries, peintures, etc. — qu’on a utilisés pour ornementer l’auguste édifice conçu par Eugène-Étienne Taché et construit entre 1877 et 1886. Il nous les explique et les réunit dans un ensemble cohérent pour nous raconter la petite et la grande histoire de notre évolution politique. Du microcosme architectural surgit le macrocosme sociétal: vies religieuse, économique, politique. Dans la catégorie coffee-table book, L’Hôtel du Parlement. Mémoire du Québec est un must!

Empreintes & Mémoire. L’Arrondissement historique du Vieux-Québec est un ouvrage publié par la Commission des biens culturels de Québec. La précision est importante, car elle donne tout son sens à ce livre, qui nous propose une lecture du paysage actuel du Vieux-Québec à la lumière des témoins du passé qui subsistent aujourd’hui. Cette lecture est faite à partir d’un découpage en onze segments historiques de l’évolution de la trame urbaine, de 1608 à 2008. Les auteurs de Empreintes & Mémoire se sont donné comme tâches de faire un inventaire des lieux et d’identifier les éléments structurants — les rues, les places, les maisons, les monuments — de l’arrondissement historique du Vieux-Québec afin que l’on puisse en gérer l’avenir tout en permettant de perpétuer l’histoire. Ici, aucun recours aux gravures et photographies anciennes. Uniquement des lieux présentés dans leur contemporanéité. On comprend dès lors que la modernité d’hier est le patrimoine d’aujourd’hui et que celle d’aujourd’hui est celui de demain. Au-delà de ces belles mais curieuses images d’un Vieux-Québec presque toujours dépouillé de ses habitants, Empreintes & Mémoire nous offre aussi une réflexion qui arrive à point nommé alors qu’on discute de l’avenir du monastère des Dominicains.

Québec! Capitale de deux empires coloniaux, «Gibraltar d’Amérique», ville romantique, mais aussi, on l’oublie, ville militaire au centre des enjeux économiques et politiques de son temps. L’originalité de Québec, ville militaire 1608-2008 tient au fait que les auteurs font une lecture de l’évolution urbaine de la ville dans une perspective géopolitique et géostratégique. Ainsi, Yvon Desloges montre de façon convaincante que le destin de Québec a toujours été lié aux intentions impériales de la France ou de l’Angleterre. La guerre est souvent le prolongement du commerce. On construit donc bastions, murs d’enceinte, palissades et redoutes pour renforcer le système de défense de la cité. Une armée s’installe en permanence, qui doit établir des liens avec une population. Tout cela est raconté de façon captivante et alerte. En fin de livre, André Charbonneau rappelle comment, à partir de la fin du XIXe siècle, on a élaboré une vision romantique de Québec. Le collectif d’auteurs conclut habilement Québec, ville militaire par un utile rappel des personnages historiques, des guerres et traités qui ont façonné celle qu’on surnomme nostalgiquement la Vieille Capitale. Un livre d’une richesse iconographique remarquable.

Jean Provencher est un merveilleux conteur. Il sait que ce sont les histoires qui font l’Histoire. Ce sont celles-là qu’il nous raconte dans L’Histoire du Vieux-Québec à travers son patrimoine. Le mot est à la mode. Mais l’historien n’est pas dupe, et sait aussi être philosophe. «Au bout du compte, le patrimoine ne protège-t-il pas contre le sentiment d’être perdu?», suggère-t-il. Mais revenons au conteur. Jean Provencher s’inspire de l’architecture publique pour réfléchir sur la vie privée. Décrit-il la préhistoire de Québec qu’il s’interroge sur ce groupe de personnes qui aurait installé son campement à la place D’Youville il y a environ 4000 ans. Parle-t-il du cap Diamant qu’il fait l’inventaire de ce qu’on retrouve dans les commerces d’alimentation et de vêtements. Il pousse même l’indiscrétion jusqu’à nous faire partager le contenu de la cave à vin du conseiller législatif Burns. S’il évoque des noms d’artistes connus comme Noël Levasseur ou Jean Baillargé, il rappelle également à notre mémoire la dynastie des Hough, qui furent les premiers fabricants de carrosses à Québec. Et ainsi de suite jusqu’à aujourd’hui. Jean Provencher est un historien à hauteur d’homme.

Jean-Luc Godard a déjà dit: «La photographie, c’est la vérité et le cinéma, c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde.» Mais n’y a-t-il qu’une seule vérité de Québec ou plusieurs, selon les regards qu’on porte sur la cité? La richesse de Vu du Château…, un coffret DVD souvenir du 400e anniversaire de Québec réalisé en collaboration avec l’Office national du film, est due au regroupement de la multiplicité des regards de ces créateurs qui ont filmé la ville. Regard triomphant de ces cinéastes qui ont capté en images la visite royale de 1939. Regard ironique de Michel Brault et Claude Jutra dans «Québec-USA, l’invasion tranquille». Regard poétique de Jean-Claude Labrecque dans «Mémoire en fête». Regard artistique de Denys Arcand, qui confie à Frédéric Back la création de dessins pour illustrer son court métrage consacré à Champlain. Regard «carte postale» de Bernard Devlin et de Jean Palardy pour illustrer le naïf scénario de fiction écrit par Roger Lemelin. Regard subtilement politique de Bernard Gosselin qui, prenant prétexte d’un documentaire sur la vie des travailleurs du château Frontenac, glisse son regard sarcastique sur l’horriblement «quétaine» bal de la Reine du Carnaval. L’image parle. À chacun le regard qui lui plaît.

Québec. Une capitale vue du ciel est un livre remarquable. On croyait avoir tout vu de la cité. Pierre Lahoud nous la fait redécouvrir. Québec est une ville féminine, tout en horizontalité. C’est une ville-puzzle où chaque quadrilatère trouve son harmonie avec ceux qui l’entourent. L’œil magique du photographe transforme Québec. L’édifice Price et les bâtiments adjacents se métamorphosent en cathédrale. Les silos à grain deviennent des tuyaux d’orgue. On croyait tout savoir de la cité. Le propos à la fois savant et lyrique d’Henri Dorion nous rappelle que nous habitons une ville exceptionnelle qui, un jour, fut une île, ville de toutes les époques géologiques, ville carrefour des relations. Un livre qui nous rapproche du ciel!

En accéléré
Camille Lapointe est historienne et archéologue. Un passé plus-que-parfait témoigne de cette double préoccupation. S’appuyant sur les fouilles archéologiques qui ont accompagné la transformation de l’îlot Hunt en auberge, l’auteur fait l’historique en six temps des activités commerciales et portuaires qui ont caractérisé ce quartier situé au bord du fleuve et trace les portraits des principaux personnages qui ont fait son succès économique. Les nombreuses photos de l’actuelle Auberge Saint-Antoine, mises en scène dans un style qui fait penser aux revues Byzance et Côté Sud, font plutôt de ce livre un excellent outil de promotion institutionnelle.

Pierre Caron, lui, est romancier, journaliste et amant de Québec. Il aime les mots et ceux-ci lui viennent aisément pour parler de sa maîtresse, sa «véritable patrie». Les cinquante courts textes qui composent son livre Promenades à Québec, d’abord parus dans un quotidien de la Vieille
Capitale en 2006 et 2007, inspireront plus d’une rêverie au promeneur solitaire sur les lieux et personnages qui font de Québec ce «mélange intime d’hier et d’aujourd’hui».

Champlain ou Les Portes du Nouveau Monde, sous la direction de Mickaël Augeron et Dominique Guillemet, est accompagné d’un sous-titre qui, en réalité, est le véritable objet de ce livre: Cinq siècles d’échanges entre le Centre-Ouest français et l’Amérique du Nord, XVIe-XXe siècles. Tous les mots sont importants, car ils annoncent les grands axes de développement de l’ouvrage. Il y est donc question du et de Québec, mais aussi de toute l’Amérique du Nord. On regarde le passé, mais aussi le présent. Un livre aux vastes ambitions. Mais qui trop embrasse…

Avec son Chercher fortune en Nouvelle-France, Jean-Pierre Hardy signe un livre qu’on aurait pu aussi appeler «Chronique de la vie quotidienne en Nouvelle-France». Ici, point de fresques historiques ni analyses sociopolitiques. Au fil des jours et de ses rencontres avec les différents groupes amérindiens, l’exilé des vieux pays se transforme en aventurier du Nouveau Monde pour finalement en devenir l’héritier. Une nouvelle culture se développe. Un récit passionnant dont on peut comparer le propos à celui d’une recherche sur le terrain.

Les Escaliers publics en fer de la ville de Québec, de Marie-Ève Bonenfant, propose un nouveau regard sur Québec en observant les escaliers publics qui relient la Basse-Ville à la Haute-Ville. L’escalier de fer modifie considérablement le paysage urbain: c’est l’arrivée de la modernité promue par la bourgeoisie. Cette symbolisation de l’escalier de fer est une idée originale qui mérite infiniment mieux que la facture modeste du livre qui la présente. Quelque chose qui ressemblerait par exemple à la présentation visuelle du livre de Jacques de Blois, Le Rêve du Petit-Champlain, dont le format horizontal, la mise en page, l’audace des documents visuels retenus, l’éclectisme des propos pourraient dérouter le lecteur. Mais non! On y croit. Voilà un livre qui se lit comme un vieux scrapbook et qui témoigne de l’intelligence de l’éditeur. Bon printemps tout en lectures sur Québec!

Bibliographie :
Québec plein la vue, John R. Porter, Publications du Québec, 298 p., 49,95$ Pays et Mensonges, Luc Bureau, Boréal, 402 p., 29,95$ L’Histoire spectacle. Le Cas du tricentenaire de Québec, Henry Vivian Nelles, Boréal, 428 p., 29,95$ Les Anglos. La Face cachée de Québec (2 tomes), Louisa Blair, Éditions Sylvain Harvey, 130 p. et 132 p., 69,95$ L’Âme de Québec, Claudel Huot (photos) et Pierre Caron et Michel Lessard (textes), De l’Homme, 210 p., 49,95$ L’Hôtel du Parlement. Mémoire du Québec, Gaston Deschênes (texte) et Francesco Bellomo (photo), Stromboli, 264 p., 57,95$ Empreintes & Mémoire. L’Arrondissement historique du Vieux-Québec, Suzel Brunel (dir.), Publications du Québec, 238 p., 37,95$ Québec, ville militaire 1608-2008, Serge Bernier et al., Art Global, 352 p., 39,95$ L’Histoire du Vieux-Québec à travers son patrimoine, Jean Provencher, Publications du Québec, 278 p., 39,95$ Vu du Château… (coffret 4 DVD), Imavision avec l’Office national du film, 49,95$ Québec. Une capitale vue du ciel, Pierre Lahoud (photo) et Henri Dorion (texte), De l’Homme, 208 p., 49,95$ Un passé plus-que-parfait, Camille Lapointe, Éditions Sylvain Harvey, 144 p., 46,95$ Promenades à Québec, Pierre Caron, VLB éditeur, 216 p., 24,95$ Champlain ou Les Portes du Nouveau Monde. Mickaël Augeron et Dominique Guillemet (dir.), Geste éditions, 414 p., 89,95$ Chercher fortune en Nouvelle-France, Jean-Pierre Hardy, Libre Expression, 208 p., 39,95$ Les Escaliers publics en fer de la ville de Québec, Marie-Ève Bonenfant, Septentrion, 156 p., 24,95$ Le Rêve du Petit-Champlain, Jacques de Blois, Septentrion, 144 p., 34,95$

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