Pour une réglementation du prix du livre

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Le 10 février dernier, avec des collègues représentant tous les maillons de la chaîne de du livre, je prenais part à une table ronde sur une éventuelle réglementation du prix de vente au détail du livre au Québec, table ronde organisée par l'Association des distributeurs exclusifs de livres en langue française (ADELF).

«Encore ce vieux débat!», s’était-on exclamé à droite et à gauche (mais surtout à droite, pour tout dire) en apprenant la nouvelle. Il semblerait en effet que les apologues du sacro-saint libre-marché ne comprennent pas l’importance que pourrait avoir une pareille disposition pour la santé de notre industrie et, par extension, celle de notre littérature.

Peut-être faudra-t-il encore rappeler à ses détracteurs qu’une réglementation du prix du livre n’aurait rien d’une mesure exceptionnelle — nos gouvernements en ont adopté des similaires dans le cas de bien des denrées jugées essentielles, dont la bière, incidemment. Peut-être faudra-t-il aussi rappeler que, dans le cas qui nous intéresse, le livre est déjà l’objet d’une législation dont on connaît l’effet positif et structurant: la Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre, plus communément appelée Loi 51.

Promulguée il y a près de trente ans, la Loi 51 a joué un rôle essentiel dans le développement de notre industrie, dans l’augmentation de l’accessibilité du livre et dans la meilleure diffusion de la littérature québécoise. En confirmant la notion d’agrément des librairies, en l’étendant aux entreprises d’édition et de distribution, en imposant l’obligation pour les institutions publiques de s’approvisionner en livres dans ce réseau des librairies agréées que l’on voulait consolider, cette loi a changé radicalement et pour le mieux les pratiques commerciales et les conditions de développement de la chaîne du livre.

Qui plus est, la Loi 51 a aussi conféré une dimension concrète à la notion de bibliodiversité — à un moment où la diversité culturelle n’était même pas encore tenue pour un enjeu fondamental de la mondialisation. Cette diversité de l’offre littéraire imposée aux libraires agréés, on l’a compris, est le cadet des soucis de ces grandes surfaces qui ne gardent en stock qu’une quantité limitée de best-sellers, qu’elles consentent à vendre parfois sans le moindre bénéfice dans le but d’attirer chez elle la clientèle à qui elle espère vendre autre chose.

Compte tenu de l’importance de nos librairies agréées, dont les indépendantes, dans le rayonnement et la prospérité de notre littérature nationale, il est évident que l’État québécois a erré en n’assortissant pas sa Loi 51 d’une réglementation sur le prix du livre visant à discipliner ce marché. À l’instar des professionnels du livre des autres pays d’Europe qui ont en grande majorité adopté des dispositifs similaires entre 1830 et 2001, le milieu d’ici a raison de considérer ce type de réglementation comme une des conditions nécessaires à la prospérité de la littérature nationale et à la bibliodiversité.

L’instauration d’un prix plancher, en deçà duquel il ne serait plus permis aux magasins à grande surface de solder les nouvelles parutions populaires, aurait pour effet plus positif d’enlever aux libraires agréés cette image néfaste de commerçants malhonnêtes qui gonflent artificiellement leurs prix aux yeux du consommateur qui fréquente peu le rayon du livre et n’a pas toujours conscience de la fragilité de ce secteur économique.

Si nous reconnaissons collectivement à la littérature — et à son support principal, le livre — un statut distinct de celui de simple marchandise commerciale, il est impératif d’adopter les mesures concrètes pour en préserver la spécificité. Histoire de reconnaître autant sa valeur que son prix.

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