Plus populaire que jamais, le true crime connaît depuis quelques années un développement hors du commun. Télévision, balado, cinéma et littérature se tournent de plus en plus vers ce genre qui compte un nombre d’adeptes impressionnant. Regard sur cet ovni de la littérature moderne.

Qu’est-ce que le true crime?
Le true crime, en littérature, se définit d’abord comme un genre de non-fiction très près du journalisme. Il doit avant tout respecter les faits d’affaires criminelles réelles. Les crimes rapportés peuvent aller du vol au meurtre en passant par les disparitions et autres mystères. Même si le but premier est de rester fidèle aux faits, le true crime garde tout de même des caractéristiques littéraires importantes, notamment un souci du style et de la narration.

Survol historique du genre
Bien que sa popularité soit assez récente, le true crime est un genre littéraire né il y a plusieurs siècles. Chroniques, tracts, articles et autres textes à propos d’une multitude de crimes ont été publiés dès le XVIIe siècle. Le true crime s’est développé avant tout en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Les experts du genre mentionnent entre autres William Roughead, un avocat écossais, comme étant l’un de ses premiers auteurs modernes. Celui-ci a écrit durant des décennies sur les procès pour meurtres auxquels il a assisté.

L’ouvrage qui a cependant révolutionné le genre et lui a donné un nouvel élan est incontestablement De sang-froid de Truman Capote, écrit en 1965. Il retrace les meurtres de tous les membres de la famille Clutter, commis en 1959 par Perry Edward Smith et Richard Hickock. Capote s’est intéressé aux meurtres, faisant de minutieuses recherches et rencontrant une multitude de gens reliés de près ou de loin à ce fait divers. C’est toutefois sa relation avec les meurtriers Smith et Hickock qui a eu le plus grand impact sur son livre. Pionnier de la creative non-fiction, De sang-froid a réussi à propulser le true crime, l’aidant à devenir un genre littéraire à part entière.

Depuis la parution de De sang-froid, le true crime connaît une croissance hors du commun. Aux États-Unis, elle est d’autant plus importante. En effet, la prolifération du crime et sa couverture médiatique ont créé une demande immense pour toutes les formes de true crime, notamment la littérature. Un des meilleurs exemples de la popularité du genre est la parution en 1974 de Helter Skelter: The True Story of The Manson Murders. Après avoir choqué le monde entier, les meurtres commis en 1969 par les adeptes de Charles Manson ont été racontés par Vincent Bugliosi, procureur au procès du gourou criminel. Ce livre reste l’ouvrage de true crime le plus vendu de tous les temps. Après Helter Skelter, de nombreux auteurs se tournent vers le true crime, qu’ils soient journalistes, avocats, témoins, victimes ou simplement adeptes du genre. Ainsi, plusieurs d’entre eux jouissent d’une grande popularité : nous pouvons penser entre autres à Ann Rule, autrice ayant côtoyé le tueur en série Ted Bundy, ou encore à John Douglas, agent profileur au FBI.

L’attrait du true crime
Qu’est-ce qui attire autant les lecteurs de true crime? Pourquoi sont-ils de plus en plus nombreux? En fait, de plus en plus nombreuses, puisque la majorité des lecteurs du genre sont des femmes, affirme Kate Tuttle dans le New York Times. Une des théories les plus populaires est la suivante : les fans du true crime ont tendance à choisir des livres dans lesquels les victimes sont des femmes, s’identifiant à celles-ci. Alors que le genre a souvent été perçu comme sensationnaliste, exploitant les malheurs des victimes de crimes abjects, il est pour plusieurs une échappatoire, une manière d’exorciser des peurs profondes. Bien sûr, la curiosité est très forte et le true crime permet aux lecteurs et lectrices d’en apprendre davantage sur l’être humain, sur les criminels et les victimes. Il s’agit d’un genre permettant à la fois de s’évader et de s’instruire. Les théories sont nombreuses pour expliquer cette attraction, mais il est difficile de mettre le doigt sur une raison précise. Même si les raisons de la popularité du true crime restent encore assez mystérieuses, il est certain qu’elle n’est pas à la veille de s’affaiblir.

Le true crime au Québec
La popularité du true crime dans les pays anglo-saxons est indéniable. Mais qu’en est-il du Québec? La province semble enfin vouloir rattraper son retard dans le domaine, et ce, quel que soit le média. Malgré un taux de criminalité bien plus bas que ses voisins du Sud, le Québec connaît son lot d’histoires sordides. Le true crime québécois se tourne d’abord vers le crime organisé, les dernières décennies étant marquées par les guerres entre différents groupes criminels. Nous n’avons qu’à penser aux ouvrages d’Alex Caine, agent d’infiltration, sur les groupes de motards criminels. Ces livres ont été publiés par les Éditions de l’Homme, la maison québécoise ayant vraiment su profiter de la vague de popularité du true crime. Dans les dernières années, ils ont publié une série de livres s’intéressant à de nombreux faits divers fascinants. Parmi ceux-ci, mentionnons Distorsion : 13 histoires étranges de l’ère numérique des podcasters Émile Gauthier et Sébastien Lévesque, Ars Moriendi : La mort en héritage du podcaster Simon Predj ainsi que Gardez l’œil ouvert de la youtubeuse Victoria Charlton. Gageons que plusieurs autres éditeurs québécois se tourneront vers le true crime prochainement!

 

Coups de cœur

Une partie rouge de Maggie Nelson (Du sous-sol)
Maggie Nelson n’a jamais connu sa tante Jane. Celle-ci s’est fait assassiner en 1969, plusieurs années avant la naissance de l’autrice américaine. Ce n’est pourtant que trente-cinq ans plus tard qu’un homme fut accusé de ce meurtre qui a fortement marqué la famille de Nelson. Ce qui pourrait aisément devenir un récit de true crime banal est heureusement écrit avec une grande finesse et beaucoup d’émotion. À travers les histoires personnelles de l’autrice, ses impressions du procès et la force de ses souvenirs d’enfance et d’adolescence, on s’attache énormément à elle. Maggie Nelson rend hommage à sa tante de très belle façon.

 

L’adversaire d’Emmanuel Carrère (Folio)
C’est en lisant le journal qu’Emmanuel Carrère est tombé sur l’histoire sordide de Jean-Claude Romand, un homme ayant assassiné sa femme, ses deux enfants ainsi que ses parents. Ayant menti pendant des années sur sa vie professionnelle, il décide de passer à l’acte avant que son épouse ne découvre la vérité. Emmanuel Carrère assiste au procès de cet homme et entame une relation avec lui dans l’espoir de comprendre ce qui a mené aux meurtres. Qu’est-ce qui a bien pu pousser Romand à basculer dans le mensonge et le crime? Un récit de true crime fascinant écrit avec beaucoup de talent.

 

La blonde dans la valise d’un collectif (Du sous-sol)
Recueil de reportages portant sur les faits divers, La blonde dans la valise est une collection d’objets tout aussi intéressants les uns que les autres. Une jeune femme agressée sauvagement, un duo père et fils en cavale, un couple qui se suicide… On rencontre de nombreux sujets difficiles dans ce livre, qui sont pourtant toujours abordés avec une grande humanité. Sans jamais tomber dans le sensationnalisme, les auteurs réussissent à divertir et à faire réfléchir. On prendrait encore deux ou trois recueils de plus!

 

 

 

Sœurs volées d’Emmanuelle Walter (Lux)
Davantage un récit sociologique, mais s’inscrivant tout de même dans la lignée des livres de true crime, Sœurs volées d’Emmanuelle Walter est un ouvrage qui devrait être une lecture obligatoire dans les écoles au Canada. Maisy Odjick et Shannon Alexander, deux adolescentes autochtones de Kitigan Zibi, n’ont pas été vues depuis 2008. Leur disparition s’inscrit dans une longue lignée de disparitions et de meurtres de femmes autochtones à travers le Canada. L’enquête de Walter sur cet enjeu important et plus actuel que jamais est menée de manière exhaustive, tout en étant extrêmement humaine. Chapeau à l’autrice de mettre de l’avant cette histoire en nous rappelant que le Canada est tristement encore aujourd’hui le théâtre de nombreux féminicides.

 

L’empreinte d’Alex Marzano-Lesnevich (10/18)
Alors qu’iel est aux études en droit, Alex Marzano-Lesnevich décide d’aller travailler dans une firme d’avocats en Louisiane. Cette décision va bouleverser et changer à jamais sa vie. Iel tombe sur le dossier de Ricky Langley, un homme trouvé coupable du meurtre de Jeremy Guillory, un jeune garçon de son voisinage. Ses convictions sur la peine de mort sont alors ébranlées et iel cherche à comprendre la multitude de sentiments qui l’envahissent en écoutant Langley confesser son crime. Mais iel doit alors revivre les agressions qu’iel a subies étant enfant et qui ont été commises par son propre grand-père. Un livre saisissant qui se lit comme un roman.

 

 

Des livres qui ont marqué le true crime

Un tueur si proche d’Ann Rule (Michel Lafon)
Ce livre d’Ann Rule est considéré comme un des pionniers du true crime moderne. Publié pour la première fois en 1980, il retrace la vie et les crimes du tueur en série américain Ted Bundy, qui avait déjà été un ami proche de l’autrice. Refusant de croire à la culpabilité de Bundy, cet être en apparence charmant et aimable, Rule a finalement dû admettre qu’elle avait eu tort. Après la condamnation à mort de son ancien ami, Ann Rule a publié cet ouvrage dans lequel elle cherche à comprendre ce qui a pu le pousser à commettre de telles atrocités.

 

 

Le chant du bourreau de Norman Mailer (Robert Laffont)
Romancier, journaliste et notamment essayiste, Norman Mailer a été très prolifique durant sa longue carrière. Considéré par plusieurs comme un des pionniers du nouveau journalisme, il a vraiment marqué l’histoire du true crime avec son ouvrage Le chant du bourreau. Ce livre retrace la vie de Gary Gilmore, un criminel condamné à mort en 1976. Grâce au travail minutieux de Mailer, qui a interviewé un grand nombre de personnes ayant croisé le chemin de Gilmore, on arrive à mieux comprendre ce qui a pu pousser Gilmore à commettre des crimes aussi crapuleux. Un chef-d’œuvre qui ne se démode pas.

 

Mindhunter de John Douglas (Points)
Le profileur du FBI John Douglas est reconnu mondialement comme un spécialiste de la psychologie des tueurs en série. Adapté par Netflix en 2017, ce livre est un incontournable pour tout amateur du genre. Douglas revient sur sa carrière impressionnante, ses recherches auprès des pires tueurs des États-Unis afin de mieux comprendre leurs comportements criminels. Ayant pu rencontrer un grand nombre de meurtriers, Douglas expose un point de vue extrêmement intéressant sur le plan non seulement de la psychologie criminelle, mais aussi de la prévention et du traitement du crime aux États-Unis.

 

 

L’accusé de John Grisham (Pocket)
Connu pour ses nombreuses œuvres de fiction, John Grisham signe avec L’accusé son seul ouvrage de true crime. On suit ici le cas de Ron Williamson, accusé à tort du meurtre de Debra Sue Carter. Le livre se lit vraiment comme un thriller, on est happés par cette histoire horrible d’injustice. On nous montre la quête menée par Williamson et le groupe Innocence Project pour prouver à tous sa non-culpabilité et le sortir du couloir de la mort. L’accusé est un livre choquant qui met en lumière tous les problèmes du système judiciaire et la recherche à tout prix d’un coupable.

 

 

Et je disparaîtrai dans la nuit de Michelle McNamara (Le Livre de Poche)
Michelle McNamara était une journaliste américaine réputée, malheureusement décédée beaucoup trop tôt en 2016. Elle a enquêté pendant des années sur un violeur et tueur qu’elle a surnommé le Golden State Killer. Celui-ci a terrorisé la Californie dans les années 1970 et 1980. C’est avec beaucoup d’humanité que l’autrice relate son enquête et son histoire personnelle, son obsession pour cet être abject. Il s’agit vraiment d’une œuvre fascinante, le talent narratif de McNamara étant incroyable. Elle n’aura malheureusement jamais pu avoir la satisfaction de voir la conclusion de l’histoire, l’arrestation de Joseph DeAngelo, le fameux Golden State Killer.

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