C’est à proprement parler véritablement du jamais vu. Le monde entier est sur le qui-vive, désemparé. Des sociétés entières mises en veilleuse, l’anxiété qui se généralise, l’économie qui vacille. Partout résonne le tocsin des paniques. Si le Québec s’en sort pour l’instant plutôt bien en ce qui a trait à la propagation de la COVID-19, il n’en demeure pas moins que le coup est très dur économiquement et que la pérennité de plusieurs librairies indépendantes est sérieusement menacée.

C’est avec énormément d’appréhension que les propriétaires de petites entreprises attendent de voir combien de pots seront cassés et, parmi ceux-ci, lesquels pourront être réparés. La sortie de crise sera assurément fort difficile et le retour à la normale, très long. La meilleure chose à faire pour limiter les dégâts est et sera bien sûr de privilégier l’achat local.

Mais s’il existe un point positif à ce ralenti imposé, à cette oisiveté forcée, à tout cet isolement bénévole, c’est pourtant celui qu’il nous laisse beaucoup de temps libre. Pour ceux d’entre nous qui ne se lanceront pas dans des projets de rénovation domiciliaire, la lecture demeure une voie de passage tout ce qu’il y a de plus indiquée pour passer à travers ce qui se passe et ce qui s’en vient.

À quand remonte la dernière fois où vous avez pu vous permettre le luxe de lire une brique de mille pages d’un couvert à l’autre, en une seule journée? Quel était donc ce livre que vous avez mis de côté il y a des mois en vous promettant de vous y plonger plus sérieusement quand l’occasion se présenterait? Qu’en est-il de cet essai que vous trouviez trop intense pour les vacances et trop costaud pour le temps des fêtes? Où en êtes-vous dans vos lectures de rattrapage, vous savez bien, ces innombrables classiques qui n’attendent que votre disponibilité pour se faire enfin lire? Hum?

Vous voici debout devant votre bibliothèque. Penchant la tête de gauche à droite selon le sens des titres, vous reconnaissez certains d’entre eux, lus et aimés, les potassez un peu, momentanément pris de l’envie de les relire. Tel ouvrage longtemps cherché ressurgit du néant de vos étagères, comme une paire de gants trouvée dans un coffre à gants. Quelques romans franchement mauvais que vous regrettez d’avoir lus à une époque où votre temps était encore précieux semblent vous narguer de toute leur épaisseur chronophage. Des livres prêtés il y a des années à des personnes dont le nom vous échappe à présent reviennent vous hanter, auréolés des reflets moirés de l’absence qui sanctifie. Oubliez-les, vous ne les retrouverez pas de sitôt, si tant est que vous retraciez ceux entre les mains desquels ils se sont un jour trouvés. Vous retrouvez çà et là divers bouquins piqués d’un bout de ficelle, d’un mouchoir, d’une facture : vous voyez là le signe de lectures avortées, abandonnées, leurs marque-pages de fortune témoignant de l’inanité de leur poursuite. Dès lors la question se pose : lire, d’accord, mais quoi?

La jungle des livres est opaque et y foncer tête baissée en mènera plus d’un au bord des fossés du découragement. Les livres dont tout le monde entend parler ne plaisent pas forcément à tout le monde et cet ami qui n’a de cesse de vous recommander ses plus récentes lectures le fait bien sûr en se basant sur ses goûts à lui. Ne serait-il pas formidable de pouvoir compter sur l’avis d’un bassin de lecteurs québécois dont le nombre et la variété sauraient nous aiguiller avant qu’on ne se jette à l’eau? De la même façon, ne serait-il pas fantastique de pouvoir contribuer soi-même à l’élaboration d’un catalogue potentiellement infini de commentaires à propos des livres qu’on a lus? Avec le temps, des affinités de lecteurs se créeraient, une forme de critique paramédiatique se développerait, des débats auraient lieu, bref, un tel endroit serait à coup sûr propice à devenir ce que ceux qui l’utilisent en feraient.

Il y aura bientôt un an naissait quialu.ca, première plateforme québécoise de partage de lectures. Depuis sa création, des milliers de commentaires sur des centaines de livres ont été rédigés par ses utilisateurs, lecteurs aguerris ou dominicaux, libraires ou dilettantes, hommes et femmes, jeunes et vieux. On y parle peut-être déjà du prochain livre que vous aurez envie de lire. Peut-être même est-ce plutôt vous qui donnerez à quelqu’un d’autre le goût de lire ce livre que vous venez de finir.

Exit le temps perdu, il n’y a plus de temps à perdre, encore moins à tuer. La fenêtre ouverte de ces moments de farniente tombés du ciel finira par se refermer. Aurez-vous su en profiter?

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