C’est Olivier Boisvert, libraire de la librairie Marie-Laura de Jonquière, qui récolte cette année le Prix d’excellence remis par l’Association des libraires du Québec afin de souligner sa polyvalence, l’ampleur de ses compétences et son côté humaniste. Celui qui a un baccalauréat en sciences politiques cumule douze ans de métier et s’implique grandement dans le milieu littéraire de sa région, en plus de siéger à différents jurys et de tenir une chronique littéraire sur les ondes de Radio-Canada. Nous vous invitons à le découvrir par le biais de ses mots : il saura vous charmer et vous comprendrez pourquoi ses lauriers, il les mérite amplement! 

Quel est, selon vous, l’impact d’un libraire dans la société?
Le libraire est un passeur culturel qui favorise la circulation des idées, encourage l’autonomisation des individus et éveille la curiosité de tous ceux et celles qui conçoivent le livre comme un vecteur de culture. Un libraire consciencieux incarne une ressource fiable pour tous les individus autodidactes qui cherchent à acquérir des savoir-faire précis; développer une culture maraîchère prospère, apprendre l’art ancien de la fauconnerie, s’initier à la construction de maisons en bois rond, prospecter du minerai, démarrer des projets de vitrail, et j’en passe.

Le livre constitue un formidable objet de beauté, dans ce qu’il est et dans ce qu’il peut convoquer et provoquer, et l’amplitude de la littérature actuelle, lorsqu’elle est saisie et reconnue comme telle, agrandit le champ des possibles, engendre des élans et des expériences esthétiques qui transforment notre rapport à l’altérité et au monde en général. J’irais même jusqu’à dire que les libraires, ensemble, forment une constellation d’agents capable de freiner l’hégémonie de la culture de masse en proposant d’autres discours, d’autres matrices que celles plus largement véhiculées. J’aime voir le libraire comme un empêcheur de tourner en rond.   

Qu’aimez-vous de votre métier?
Japprécie farouchement d’être confronté à d’autres vies que la mienne, à des modalités d’être plurielles qui enrichissent et élèvent ma vision du monde. J’aime apprendre à connaître quelqu’un, découvrir ce qui le fait vibrer et réussir à saisir vers quoi il a envie de s’engager. C’est une expérience de rencontre entière et ouverte à laquelle je suis devenu accro avec le temps. Elle crée des points de jonction d’une authenticité improbable. Néanmoins, ma plus grande félicité demeure de conseiller Klonk à un jeune, le revoir des années plus tard, lui conseiller Tobie Lolness, le reconnaître à nouveau et lui proposer, car il est rendu là, Le meilleur des mondes, qu’il revienne chamboulé, des interrogations plein l’entendement et qu’ensuite je puisse déposer entre ses mains Le loup des steppes, par exemple. Accompagner l’évolution d’un lecteur ou d’une lectrice, c’est un privilège inouï! Par ailleurs, une librairie constitue un lieu idéal pour cerner les imaginaires collectifs qui se forment et les tendances sociétales qui se profilent en tenant compte des phénomènes dont s’efforcent de rendre compte des écrivains plus intuitifs et sensibles que d’autres. C’est mon penchant pour la prospective qui est interpellé ici!  

Qu’est-ce qui a changé dans votre métier depuis vos débuts jusqu’à maintenant?
Grâce au travail de l’Association des libraires du Québec (ALQ) et de la coopérative des Librairies indépendantes du Québec (LIQ) notamment, les librairies évoluent désormais beaucoup plus selon une logique d’émulation et au sein d’un écosystème commun. Lorsque j’ai commencé il y a douze ans, l’idée de transporter le métier de libraire hors les murs s’avérait malaisée. La collaboration entre les acteurs est aujourd’hui plus fluide, le métier, me semble-t-il, a acquis ses lettres de noblesse et c’est le livre qui, au final, en profite. En outre, il m’est impossible de passer sous silence l’essor fulgurant de jeunes maisons d’édition québécoises qui permettent l’émergence de nouvelles voix, prennent de beaux risques et embrassent des pratiques commerciales créatives. La poésie québécoise est en effervescence tandis que la littérature jeunesse ne manque pas d’audace et s’avère beaucoup plus luxuriante qu’auparavant.

Un libraire est-il un commerçant? Qu’est-ce qu’un bon libraire indépendant?
Incoercible dans son désir d’ouvrir des brèches dans la culture homogène qui simplifie à outrance le monde, un bon libraire indépendant vend les livres recherchés par sa clientèle, mais – et peut-être surtout – encourage celle-ci à explorer d’autres voix, à creuser d’autres enjeux et à apprécier d’autres configurations du monde. Un libraire est un commerçant qui ne rechigne pas devant la tâche de commander des livres en dehors des routes de distribution conventionnelles. Il devine et respecte les écumeurs autonomes, accompagne avec générosité les individus qui hésitent devant l’hyper-choix, prend soin de ses clients réguliers et conçoit des stratégies inventives pour susciter une relève. Le libraire de métier s’inscrit régulièrement à des formations pour accroître ou consolider ses compétences. Il effectue une veille pour connaître la nature des livres qui ont retenu l’attention des médias. Le libraire proactif et déterminé à jouer son rôle de passeur culturel convie sa clientèle à des activités de proximité qui rapprochent les lecteurs des auteurs. Il contribue à la vie littéraire de son milieu en collaborant avec les bibliothèques, les écoles et les organisations culturelles en général. Il ne tombe pas dans le piège consistant à lire ce qu’il affectionne de prime abord. Il cherche lui aussi à faire éclater ses présomptions et il éprouve le besoin de ratisser large, de ne rien négliger a priori. Sa librairie est ouverte et accueillante, elle n’est pas intimidante.  

Vous travailliez à la librairie Marie-Laura de Jonquière; vous serez dorénavant à la librairie Gallimard de Montréal. Qu’ont en commun ces librairies indépendantes et qu’ont-elles de différent?
La librairie Marie-Laura, tout comme la librairie Gallimard, jouit d’une réputation enviable et affiche une longue tradition de ferveur littéraire. L’une comme l’autre dispose d’une solide équipe de libraires polyvalents conjuguant complémentarité et expertise et au sein de laquelle les forces de chacun sont valorisées. Les deux librairies indépendantes sont très actives dans leur communauté respective et leur présence se fait remarquer au sein de l’Association des libraires du Québec (ALQ) notamment. La littérature jeunesse occupe une place prépondérante à la librairie Marie-Laura avec la proximité des familles et la vente aux collectivités. Chez Gallimard, l’animation culturelle est riche et variée et les événements littéraires sont foisonnants. J’ai savouré mes douze années passées à la librairie Marie-Laura, j’y ai beaucoup appris et j’y ai tissé des liens forts. Je suis persuadé que mon arrivée chez Gallimard s’effectuera dans une belle et féconde intranquillité!

Quel(s) souhait(s) feriez-vous au milieu du livre québécois?
Le champ littéraire québécois profite d’un bel élan et gagne en ampleur : on parle de Montréal, mais des territoires et des thèmes moins urbains sont aussi évoqués dans la littérature; notre littérature jeunesse est beaucoup moins constipée et plus délirante qu’ailleurs sur le continent; beaucoup d’œuvres rayonnent à l’étranger et les librairies indépendantes ne sont pas en voie de disparition comme c’est le cas partout ailleurs en Amérique du Nord. Je souhaite que les lecteurs et lectrices du Québec continuent de faire confiance aux libraires plutôt qu’à des algorithmes ultra-performants. Je souhaite que nous continuions à resserrer les liens entre tous les acteurs du milieu du livre québécois, que le livre soit fêté de toutes les manières possibles et, enfin, que la menace du livre numérique cesse d’être brandie, car elle ajoute au lieu de soustraire.

Vous aimez la langue en général; vous êtes également slameur. Parlez-nous de votre amour pour cette discipline.
Le slam est une discipline que j’affectionne particulièrement, car elle me permet de travailler la langue en accord avec les résonances et exigences particulières de la parole. Je n’adapte pas ma poésie ou des textes qui dorment dans mes tiroirs pour en faire des slams. La scansion, le rythme, la dramaturgie dynamique et la projection sont autant d’éléments qui me forcent à concevoir et à proposer des arrangements auxquels je suis moins habitué. En outre, et c’est important, nous vivons dans un régime démocratique et à mes yeux, la démocratie gagne en force en se déployant comme une prise de parole publique qu’il est nécessaire de délier et de décloisonner des lieux de pouvoir. Slamer me donne l’occasion d’écrire, de me colletailler avec la langue sur une base régulière certes, mais aussi, cela me force à apprivoiser la scène et tout ce que cela peut impliquer en matière d’engagement et de liberté. C’est une tribune artistique exempte d’artifices où le verbe réaffirme sa primauté et aménage des points de contact insoupçonnés. 

Quelles autres implications avez-vous dans le milieu du livre?
J’ai l’immense privilège de faire partie du jury du Prix des libraires dans la catégorie Roman québécois. Une responsabilité que je prends très au sérieux et qui m’a permis de rencontrer des libraires exceptionnels et de mordre dans la littérature québécoise comme jamais auparavant. Au Saguenay, je suis membre du jury du Salon du livre en ce qui a trait au groupe poésie/théâtre. Je fais également partie du jury du Prix littéraire Damase-Potvin, qui en était à sa vingt-troisième édition cette année, pour le segment professionnel. J’ai fait une incursion dans l’univers de la revue littéraire Moebius en étant membre du jury de libraires pour l’édition 2017 du Prix du public. Occasionnellement, je lis et commente des manuscrits que me remettent des auteurs afin de leur fournir des rétroactions et un éclairage quant à la maison d’édition qui pourrait souhaiter publier leur texte. Présentement, j’écris un roman jeunesse campé au Saguenay destiné aux 9-12 ans avec l’aide de mon ami artiste Pascal Picard qui réalise les illustrations et participe à l’élaboration du récit. 


Photo : © Maximilien Bouchard

 

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