Moisson d’automne, bouquet de printemps

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La cloche de la rentrée littéraire sonne déjà. Mais en fait, de nos jours, on ne parle plus d’une rentrée littéraire, mais plutôt de deux rendez-vous. Survol de la façon dont quelques éditeurs abordent les rentrées d’automne et d’hiver.

La rentrée littéraire est un moment intense, une réalité faite de travail acharné, de sens du détail, de choix stratégiques, de maux de tête; réalité complexe que ne reflètent que très partiellement les courts articles et reportages qui en inventorient les titres phares. Des semaines de foisonnement, d’heures frénétiques pendant lesquelles les éditeurs se démènent pour faire sortir les titres à temps, tandis que les journalistes et les chroniqueurs pédalent de leur côté pour faire le tour à toute vapeur des centaines d’ouvrages qui se bousculent au portillon de la faveur populaire, chaque éditeur cherchant à se démarquer et à faire distinguer ses auteurs de la masse.

De une, et de deux!
De fait, il ne s’agit plus d’une seule et unique rentrée littéraire puisque la moisson se divise dorénavant en deux arrivages distincts, une à l’orée de l’automne, l’autre au retour des fêtes, et que toute l’industrie pense en termes de double rentrée.

C’est plutôt avec bonheur, du moins selon notre survol informel, que les éditeurs québécois se sont coulés dans ce moule importé d’outre-Atlantique. Un modèle qui cause des bouchons en septembre-octobre et dans une certaine mesure en novembre, certes, mais qui donne aussi une marge de manœuvre et des possibilités intéressantes dans un marché que l’on pourrait parfois croire menacé de saturation.

Chez Québec Amérique, éditeur majeur de littérature au Québec, l’éditrice Anne-Marie Villeneuve indique qu’elle vit l’intensité des rentrées littéraires depuis onze ans. La maison, explique-t-elle, aborde les deux temps forts de l’année de façon bien distincte. Bien que la rentrée d’automne constitue le moment fort avec la double perspective du Salon du livre de Montréal, un rendez-vous majeur, et des ventes de Noël qui se profilent à l’horizon, les deux rentrées revêtent une importance propre, quasiment d’égale valeur. « À l’automne, il y a un rush de production avec comme objectif ultime le Salon du livre de Montréal; pour la rentrée d’hiver, l’objectif, c’est plutôt les achats pour les lectures d’été », explique-t-elle.

Avec les années, la rentrée d’hiver a pris de l’ampleur. Elle offre plusieurs avantages, comme celui de pouvoir obtenir une meilleure couverture médiatique pour certains ouvrages qui passeraient autrement inaperçus, puisque les journalistes et les chroniqueurs littéraires sont moins submergés par le flux de gros titres. Anne-Marie Villeneuve précise aussi que les habitudes de lecture et donc d’achats du public évoluent: «Les ventes de livres, de plus en plus, s’étalent sur toute l’année, et ne sont plus seulement concentrées sur quelques mois. »

Cette vision des choses se confirme chez Fides. Son nouveau directeur général, Michel Maillé, précise que les deux rentrées sont bien distinctes et qu’elles comptent un nombre de titres à peu près équivalent, du moins cette année, soit une vingtaine. Il explique qu’en perspective du Salon du livre de Montréal, les ouvrages signés par des auteurs de premier plan sortent en général à l’automne, alors que le printemps permet de faire de la place aux auteurs émergents, ou moins connus, ou encore aux ouvrages plus tournés vers la spiritualité, la religion. Michel Maillé mentionne la sortie d’un ouvrage d’Yves Beauchemin ainsi que d’une biographie de Paul Martin pour cet automne: des titres fort susceptibles d’attirer l’attention des médias.

Du côté de la très dynamique maison d’édition Alire, qui existe depuis une dizaine d’années et se spécialise dans le roman de science-fiction, de policier et de fantastique, Manon Ouellet confirme que les deux saisons sont d’importance égale, et permettent de mieux étaler le travail d’édition ainsi que celui de promotion: « Évidemment, il y a forcément une pression de production à l’automne. » Alire publie une dizaine de titres cet automne.

Aux Éditions de l’Homme, qui se consacrent principalement aux livres pratiques, guides en tous genres et beaux-livres, l’éditeur Pierre Bourdon explique que l’approche est un peu différente de celle des éditeurs qui publient avant tout de la littérature. Il aborde les deux rentrées avec pragmatisme, gardant toujours en tête les différents salons du livre; non seulement celui de Montréal, mais les autres de moindre taille, comme celui de Québec. L’automne est intense aussi, chez cet éditeur, mais si octobre est, là encore, le mois important, la saison s’amorce dès la fin de l’été. Il parle du paradoxe qui pousse tous les éditeurs, lui y compris, à se démener pour sortir les titres à l’automne, alors que tout indique que le public ne sait plus où donner de la tête à cette époque. Sa maison publie une soixantaine de titres cette saison, huit en août, environ vingt-deux en septembre, vingt-cinq en octobre et huit en novembre: un crescendo, on le voit, assez comparable à celui des éditeurs de littérature.

L’art de répartir
Chez Québec Amérique, Anne-Marie Villeneuve précise que, pour elle, le mois d’octobre est le plus trépidant bien que le trimestre précédant le salon soit, dans son ensemble, plutôt frénétique: « Dans notre vision, la rentrée d’hiver et celle du printemps sont de même importance. » L’une des difficultés, néanmoins, est de traiter les titres qui arrivent un peu en retard. Chez cet éditeur, bien que le nombre de parutions se divise sensiblement de façon égale entre les rentrées d’automne et d’hiver, les stratégies de marketing sont différentes selon le mois de parution des titres. « Pour certains titres comme le dernier Pauline Gill, nous avons une stratégie de promotion à long terme, sur plusieurs mois », précise-t-elle. En ce qui concerne le volet jeunesse de l’édition chez Québec Amérique, la stratégie est différente de celle de la littérature pour adultes à cause des ventes aux écoles.

Évidemment, comme c’est le cas pour d’autres maisons d’édition, l’échéance automnale impose également une forte pression chez Fides. Elle crée un goulot d’étranglement dans la production, faisant en sorte que tout retard peut être problématique, explique Michel Maillé: « Parfois, on triche un peu, comme pour cet ouvrage d’Henriette Major publié de façon posthume, un album terminé par son fils et qui sortira à l’automne, mais que nous avons n’avons eu in extremis qu’en juin. » Bien entendu, les beaux-livres entrent dans l’équation et sortent en général à l’hiver, à temps pour les ventes de Noël, sauf exception. «Par contre, précise-t-il, les ouvrages sur la religion et la spiritualité marchent bien au printemps; février, mars, l’époque du carême, de la réflexion. »

Janvier, un mois crucial
Aux Éditions de l’Homme, la rentrée d’hiver est majeure: « Janvier, pour nous, est un mois très important », explique Pierre Bourdon. Le début de l’année représente l’occasion de publier, par exemple, des livres d’horticulture ou de bricolage, qui se retrouvent souvent dans les grandes surfaces et que les lecteurs achètent au début du printemps. « Cette deuxième rentrée est tout aussi significative en termes de volume, poursuit l’éditeur. Elle laisse la place à la sortie des beaux-livres, des ouvrages consacrés à la santé (après les excès des fêtes), des livres de sciences humaines, et de loisirs. » Par contre, avec l’approche de l’été, les ventes de guides pratiques se calment, dit-il, au profit de celles de romans: «L’été, les gens veulent de la fiction, du romanesque. Moi-même, je m’y plonge avec joie! »

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