Ma rentrée

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Les rentrées littéraires d'automne se suivent, sans forcément se ressembler : refrain connu. Des constantes s'imposent toutefois d'une année à l'autre. Par exemple, les manchettes autour du nombre de titres qu'on nous propose cette année. À Paris, capitale de l'édition francophone, on annonce à grand renfort de clairons et de trompettes les 683 nouveautés romanesques en français – dont 475 romans français proprement dits et 97 premières œuvres –, qui défrayeront la chronique de part et d'autre de la Grande Mare.

«Qu’attendre de cette saison?», se demandent avec fébrilité les lecteurs et lectrices, de concert avec les libraires qui ont, par la force des choses, une longueur d’avance sur les clients. De fait, les représentants des distributeurs leur ont présenté dès le printemps le panorama des livres à paraître. Malgré un nouvel opus de Christine Angot annoncé et pressenti pour un prix littéraire (Rendez-vous, chez Flammarion), nos collègues de Livres Hebdo s’interrogent à savoir si l’automne 2006 sonnera le glas de l’autofiction, qui a fait couler tant d’encre dans l’Hexagone comme de ce côté-ci de l’Atlantique. Sans condamner en vrac l’ensemble des plumes associées à cette «école» au Québec, on peut se demander si la veine ne se serait pas en train de se tarir chez nous également. C’est d’ailleurs ce que j’ai moi-même fait en lisant le plus récent roman de Patrick Brisebois, Catéchèse, publié par les éditions Alto, novella dickienne qui rompt drastiquement avec la manière du transfuge de la défunte maison L’effet pourpre.

En l’absence de têtes d’affiche françaises à la Michel Houellebecq (dont l’œuvre, l’avouera-t-on un jour, n’est pas à la hauteur de la réputation ou du don pour la controverse), la part belle sera donnée à ces auteurs qui publient bon an mal an leur roman automnal : l’iconoclaste Amélie Nothomb avec son Journal d’Hirondelle chez Albin Michel, par exemple. On note au passage le retour de Yann Moix avec Panthéon, de même que celui du Montréalais d’adoption Maurice G. Dantec, ce ténor de la controverse, qui est justement passé de Gallimard à Albin Michel pour la sortie de sa Grande Jonction. Dans la Belle Province, pour l’instant, c’est le prolifique Sergio Kokis qui fait office de marathonien en ces premières heures de la saison avec son Fou de Bosch (XYZ éditeur), quinzième titre publié depuis 1994. Encore que, dans une tout autre veine, on surveillera notamment avec grand intérêt la sortie du nouveau roman de Marie-Sissi Labrèche, La Lune dans un HLM, au Boréal…

Le grand événement à survenir dans la machine éditoriale hexagonale semble avoir été le départ de Frédéric Beigbeder de son poste d’éditeur chez Flammarion parce qu’il n’arrivait plus à écrire. Rappelons, par ailleurs, la fracassante révélation par l’écrivain Günther Grass de son passé nazi, qui a provoqué toute une commotion en Allemagne comme ailleurs. Au Québec, c’est le calme relatif. Trop tranquille, le milieu éditorial d’ici? Trop semblable à notre littérature elle-même, telle que décrite dans Le Monde en mars dernier? Hé, rassurez-vous : loin de moi l’envie de rallumer ce feu de paille!

Subsistent nos sempiternelles discussions sur l’espace alloué à l’objet littéraire dans une agora qui n’en a supposément rien à faire. Tout est affaire de désir, dira-t-on pour paraphraser Aragon, et il n’est pas évident de séduire avec un objet aussi peu sexy et néanmoins essentiel qu’un livre. À quand une Star Académie des écrivains et écrivaines, jeunes et moins jeunes, qui les rendrait du coup accessibles aux masses qu’on prétend, à tort ou à raison, insensibles à leurs œuvres? Je m’étonne que personne ne semble y avoir pensé, chez les bonzes de Quebecor, qui ne lèveraient certes pas le nez à l’idée de rentabiliser toutes ces librairies et toutes ces maisons d’édition qu’ils possèdent.

Mais trêve de considérations! Le nombre de titres publiés a encore augmenté, nous dit-on, ce dont s’enthousiasment modérément ceux qui, comme moi, continuent de croire que cette masse critique est indispensable à l’émergence de classiques. Au fond, ce qui fait la véritable attrait de chaque rentrée littéraire, c’est le potentiel de découvertes qu’elle offre aux boulimiques de littérature.

Réjouissons-nous : la table est mise.

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