Lire l’autre, près de soi

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Genre bien implanté en librairie depuis de nombreuses années, la biographie est très courue du grand public et génère des ventes importantes. Depuis peu, on note une tendance croissante: la biographie de «vedettes» issues de tous milieux. Chanteurs, musiciens, comédiens, animateurs, chroniqueur judiciaire ou joueuse de poker professionnelle, tout le monde y va de ses souvenirs, de son expérience. Chacun raconte quelques chapitres (souvent dramatiques ou renversants) de sa vie pour entrer dans le temple de la renommée.

Il se publie beaucoup, peut-être trop de biographies. Lesquelles se vendent réellement bien et quel type de biographies accède aujourd’hui au statut de best-seller? Une chose est certaine: si les vedettes plaisent, les politiciens fascinent, eux aussi, mais qu’en est-il des grandes figures historiques? C’est ce que nous avons tenté de découvrir avec les moyens du bord, il faut le dire, les chiffres de ventes selon les genres n’étant tout simplement pas compilés. Aucune étude ne s’est encore penchée sur le type de livres qui constitue les meilleures ventes en librairie au Québec. Faute de statistiques, il faut donc se fier au «pif» des mieux placés, à savoir les libraires.

Les coulisses du pouvoir
Les statistiques transmises par Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) révèlent que depuis 2003, le nombre de biographies publiées au Québec n’a pas tellement bougé. Il oscille entre 90 et 120 par année, un chiffre qui n’est pas considérable en comparaison d’autres types de livres (romans, livres de psychologie, de sciences sociales, de sports, etc.), dont le nombre franchit souvent la barre des 300. En revanche, la biographie connaît des ventes somme toute enviables d’après les libraires. À cela, il faut ajouter la médiatisation, qui favorise une grande visibilité du genre. On peut donc affirmer que la biographie fait partie des genres populaires, et on serait tenté de croire que les meilleurs vendeurs sont les biographies de vedettes de l’heure: acteurs, chanteurs et autres stars du petit ou du grand écran.

Pourtant, selon les dires des libraires, la biographie qui se vend le mieux demeure la biographie politique, un genre qui ne se démode pas, bien au contraire. L’automne 2007 aura été à cet égard une saison particulièrement fertile, alors que Brian Mulroney, Jean Chrétien et Pierre Bourgault se faisaient concurrence sur les tablettes des librairies après avoir combattu dans l’arène du pouvoir. Hasard ou stratégie? Serge Théroux, directeur général du distributeur Dimedia, voit dans la sortie presque simultanée de leurs biographies une sorte de «fausse élection» opposant Brian Mulroney et Jean Chrétien. Marie-Hélène Vaugeois, de la librairie Vaugeois, à Sillery, croit qu’il n’y a pas de hasard: «La situation du gouvernement minoritaire peut avoir favorisé la publication d’autant de biographies politiques cet automne. Pendant que le gouvernement conservateur est au pouvoir, Mulroney en profite pour relancer la campagne de publicité du parti, tandis que Jean Chrétien voit sans doute le moment de redorer l’image du Parti libéral. Chacun essaie de convaincre les gens.»

À cet égard, notons que dans ces deux cas, il s’agit de mémoires, les deux politiciens écrivant à la première personne, après s’être retirés du milieu. Ces plaidoyers pour faire la lumière sur le passé, mais surtout, pour eux-mêmes, sont loin de la biographie écrite par une tierce personne après la mort du sujet, qui se raréfie ou ne constitue pas derechef, de nos jours du moins, un best-seller.

L’événement littéraire de l’automne 2007 fait cependant partie des exceptions. Bourgault, de Jean-François Nadeau, une vraie biographie, s’est écoulé à 25 000 exemplaires et, dans la majeure partie des librairies, s’est révélé le meilleur vendeur de genre. L’auteur, couronné du Prix du public La Presse au Salon du livre de Montréal, a vu les ventes de son livre grimper à la suite de son passage à Tout le monde en parle, plus de trois mois après la sortie de son ouvrage.

Ce fait révèle le rôle croissant des médias dans la vente des livres, en particulier la biographie.
«Quand le personnage passe bien à la télévision, le livre voit ses ventes bondir», affirme Stéphanie Mailhot, de la librairie Pantoute. Ce fut le cas cette année pour Christian Tétrault, dont le Je m’appelle Marie s’est hissé aux deuxième ou troisième places des palmarès de la plupart des libraires. L’ouvrage sur Bourgault, sorti à la fin du mois d’août avant l’achalandage de l’automne, a profité de la sortie du film de Manuel Foglia sur le tribun (Paroles et liberté) en décembre pour relancer ses ventes. La promotion médiatique est donc la locomotive de la biographie, mais aussi son bourreau à long terme, car les médias de masse se nourrissent de l’éphémère et détournent l’attention du public aussitôt qu’ils l’ont captée.

À cet égard, Robert Leroux de la librairie Alire affirme que la biographie a une vie de plus en plus courte: «Un livre qui se vend bien sera tout de suite détrôné par un autre. Il y a quelques années, les livres pouvaient être des best-sellers pendant un an. Aujourd’hui, ça ne dure que quelques semaines.» Si la biographie a de nos jours un beau rôle dans l’édition, il n’en demeure pas moins qu’elle subit la pression du marché. Manon Trépanier, de la même librairie, remarque qu’aujourd’hui, elle vend un seul titre à la fois, alors qu’avant, ses ventes étaient beaucoup plus diversifiées. Rares sont les lecteurs qui lui demandent l’histoire de la vie d’une personnalité du cinéma ou de la chanson. Cette pratique se perd, croit-elle, au profit d’une biographie vedette qui monopolise l’attention.

Si la vie privée des hommes publics a toujours piqué la curiosité du public, révélant les rouages du monde secret du pouvoir ou de la scène, la biographie sert aussi aujourd’hui à mettre en valeur la carrière d’une vedette de l’heure. En 2007, Richard Petit a fait les manchettes avec Détour imposé sur son cancer, alors que Christian Tétrault a rallié le public avec Je m’appelle Marie, le récit déchirant de la perte de sa fille. Manon Trépanier constate que les lecteurs aiment lire sur des gens qui ont souffert, sans doute parce qu’ils se reconnaissent dans le malheur des autres. Par exemple, lorsque Nathalie Simard a révélé son passé, plusieurs femmes, elles-mêmes abusées, se sont senties interpellées par son expérience.

Lecture de proximité
Le capital de sympathie paraît crucial dans le choix des biographies. À l’unanimité, les libraires affirment que les lecteurs désirent lire des gens qu’ils connaissent, mais surtout, qu’ils aiment. Par ailleurs, l’ouvrage le plus couru cette année à la librairie Clément Morin a été Roland Leclerc. Par-delà l’image, écrite par Louise Lacoursière. Il s’agit d’une biographie de l’abbé de Trois-Rivières, qui s’est noyé il y a quatre ans. «Rien d’étonnant», m’informe le libraire René Paquin, qui écoule surtout des biographies sur les gens de la région. Celle de Jean Chrétien s’est d’ailleurs bien vendue dans la région d’origine de l’ancien premier ministre, alors qu’elle n’a pas trouvé preneur au Saguenay. D’après Caroline Larouche, des Bouquinistes, l’attachement de la région au Parti québécois explique certainement le peu de succès de la biographie de l’ancien politicien libéral.

La tendance se confirme avec les ventes de biographies françaises. Mentionnons entre autres Le Temps des avants de Charles Aznavour, qui a été un franc succès. Le chanteur, très connu du public québécois, est venu sur place en faire la promotion et l’affaire était dans le sac. Sinon, les biographies françaises se vendent lorsque les sujets sont dans l’actualité, mais beaucoup moins que les québécoises.
Lire une biographie, c’est un peu comme passer du temps en compagnie de quelqu’un qui se raconte. Mieux vaut écouter un être sympathique, proche de nous, qu’un personnage désagréable ou qui nous échappe. Marie-Hélène Vaugeois croit que certains lecteurs veulent se conforter dans leur choix politique en lisant sur un des politiciens qu’ils admirent: «Quelqu’un [qui n’aime pas] René Lévesque ne lira jamais une biographie sur ce dernier, croit-elle. C’est moins vrai pour un personnage comme Brian Mulroney, sans doute parce qu’il a généré des sentiments moins passionnés durant son mandat.» La compassion et l’identification suscitées par le personnage seraient donc les gages d’un succès de librairie.

Déformation de genre
L’engouement pour la biographie n’est pas nouveau, mais alors que le genre servait autrefois à faire l’éloge des hommes illustres, il tend plutôt aujourd’hui à l’exaltation du moi. En fait, la biographie conventionnelle n’est pas si à la mode en ce siècle si gourmand de faits vécus. Le vent a plutôt pris dans les voiles de l’autobiographie, la majeure partie des récits de vie étant aujourd’hui racontés à la première personne. Cet enthousiasme témoigne, certes, de la fascination qu’exerce la vie des autres, mais aussi celle que suscite le malheur ou la souffrance. Ainsi, à l’instar du téléspectateur, le lecteur aime les témoignages, qui participent certainement de la culture du spectacle. «Une biographie sur Madonna ne se vend pas nécessairement très bien, mais si Madonna écrivait sa vie, on en vendrait à la tonne», me confie Marie-Hélène Vaugeois. Cette révélation pour le moins troublante confirme le vif intérêt des lecteurs pour les récits personnels et, sans doute, un certain voyeurisme.

La lecture des biographies serait donc guidée par le confort de se retrouver en compagnie d’un être familier. Si on voulait faire le portrait-robot d’un lecteur de ce type d’ouvrages, il serait masculin, aurait plus de 40 ans, lirait peu de fiction et serait prêt à payer assez cher. En effet, ce sont davantage les hommes que les femmes qu’attire la biographie, surtout lorsqu’elle est politique. C’est aussi le genre de livre qu’on offre en cadeau. Françoise Careil, de la librairie du Square, a même remarqué que les formats poche des biographies se vendaient moins bien. Et puis plusieurs libraires ont confié qu’il est difficile de conseiller sur la lecture de biographies, parce qu’on recherche des personnages qu’on connaît et qu’on aime. En somme, on peut considérer que ces lectures s’avèrent être une activité très personnelle, voire privée, qu’on préfère partager avec les intimes.

Peut-on conclure qu’il se publie trop de biographies? «Il n’y en a pas trop, mais elles ne sont pas toutes pertinentes!», me répond Françoise Careil. Trop de «spéciaux de  » la semaine « », renchérit Robert Leroux. Lorsque le livre devient un produit de consommation jetable après sept jours, il y a en effet un problème. Selon Marie-Hélène Vaugeois, il n’y a pas trop de biographies politiques, parce qu’elles se vendent toujours très bien, mais il y a sans doute une surproduction de témoignages plus ou moins intéressants pour le commun des mortels. «Tout le monde a sa petite histoire à raconter, mais parfois, le livre devrait être tiré à quelques dizaines d’exemplaires pour la famille et les proches», pense-t-elle. «Une personne qui écrit elle-même sur sa vie n’a pas de recul. Son regard n’est pas objectif», note quant à elle Michèle Roy, de la librairie Le Fureteur.

Ainsi, au terme de cette enquête, on peut affirmer que les témoignages personnels, parfois exhibitionnistes, sont actuellement en vogue. Faut-il en déduire que la biographie, dans sa forme traditionnelle, serait menacée? Le succès de Bourgault en 2007 permet d’en douter, et témoigne de l’intérêt d’une vie éclairée par l’œil extérieur d’un auteur témoin. Sans se vouloir objective, la biographie n’est-elle pas conçue pour raconter la vie réelle d’un personnage public, plutôt que d’offrir au public un journal intime?

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