Vous m’auriez dit, il y a dix ans, alors que je m’amenais tout innocent à la direction générale de l’Association nationale des éditeurs de livres, vous m’auriez dit qu’on risquait un jour de voir les chiffres de ventes de livres numériques (ou livrels pour les puristes) rejoindre ceux des ventes de livres papier, j’aurais répondu : « J’en doute! » Et les dix années suivantes me donneraient raison. Je me souviens d’avoir déclaré de façon très péremptoire et prétentieuse à un jeune scribe d’un magazine professionnel aujourd’hui disparu que je voyais mal comment on pouvait dédicacer un PDF dans un salon du livre. J’étais tellement néophyte que j’ignorais même jusqu’à l’existence du ePub.

Mes prétentieuses croyances auront tenu jusqu’à ce que ce foutu virus vienne bousiller nos belles existences tranquilles. Il y a à peine deux mois, en début d’année, les ventes de livrels traînaient loin derrière celles des honorables livres papier. Bien sûr, les bibliothèques d’un peu partout s’en procuraient, les institutions scolaires salivaient à l’idée de se doter également, avec le concours du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, de ces précieux produits culturels en mesure de révolutionner la pédagogie, les grands voyageurs (qui d’ailleurs ne voyagent guère plus par les temps qui courent, mais ça, c’est une autre histoire) désireux de s’évader avec une quantité folle de titres dans leur appareil de lecture en faisaient le plein. Mais il n’y avait rien là pour ébranler le vénérable livre papier sur son piédestal.

Personnellement, j’ai toujours prétendu qu’il se vendait sans doute plus de livres numériques que ce que les savantes études de nos firmes de prospection d’habitudes culturelles nous indiquaient, parce qu’aussi savantes puissent-elles être, elles n’avaient pas le pouvoir de soumettre les grands revendeurs internationaux au supplice de la goutte pour obtenir leurs données commerciales dans ce domaine. Heureusement, il y avait minimalement les librairies indépendantes du Québec et les agrégateurs québécois pour nous livrer leurs secrets! Chose certaine, le livre numérique traînait loin derrière son aîné.

Eh bien, voilà que le livre numérique* est devenu en ces temps sombres l’objet culturel privilégié. Les bibliothèques le prêtent à en user la touche enter de leurs ordinateurs, les équipes des librairies indépendantes du Québec ont peine à répondre à la demande (c’est un euphémisme), les lecteurs en redemandent, les éditeurs ont adopté le mode promotionnel, bref, ça ne s’envole pas comme des petits pains chauds parce que la ressource est inépuisable, mais c’est on ne peut plus branché.

Je m’incline devant la popularité grandissante du livre numérique. Il est facile à emprunter, à acheter, et quant à sa lecture, si la batterie de votre appareil de lecture ne tombe pas à plat, elle est tout aussi exaltante, enivrante et excitante qu’une série sur Netflix!

Bonne lecture branchée!

Richard Prieur
Directeur général de l’Association nationale des éditeurs de livre (ANEL)

 


*Je vous assure d’ailleurs que toute transaction liée au livrel est sécuritaire, que la COVID-19 ne se transmet pas numériquement, parce que les gens des librairies indépendantes du Québec et des agrégateurs se lavent très régulièrement les mains.

Photo de Richard Prieur : © François Couture

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