Les auteurs: ces citoyens du monde

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Qu’il habite sur le Plateau ou dans un rang de campagne, ce drôle d’animal solitaire qu’est l’écrivain demeure désormais, grâce à Internet, à quelques clics de son éditeur et de ses lecteurs. Voici quelques membres de cette belle communauté culturelle qui se partagent les 1 667 441 km2 d’un seul et même village global: le Québec.

Abitibi – Lucie Lachapelle
La documentariste Lucie Lachapelle contribue depuis des années à faire connaître l’Abitibi dans ses œuvres. «C’est l’amour qui m’a menée de Montréal à Senneterre», déclare d’emblée l’auteure qui a vécu dans cette petite ville où se côtoient Québécois et Amérindiens, un groupe riche de sa culture et de son humanité. C’est d’ailleurs pour redonner sa dignité au peuple de Senneterre qu’elle a écrit Rivière Mékiskan, un roman qui témoigne des relations difficiles entre les deux communautés: «Les lieux de mon roman, les personnages et les situations qu’ils vivent sont entièrement inspirés de personnes rencontrées, de paroles entendues au cours des années que j’y ai passées. J’ai été nourrie par l’Abitibi, je l’ai habitée et l’Abitibi m’habite.» Pour Lachapelle, les préoccupations des créateurs régionaux ne sont pas uniquement locales, mais bien souvent universelles: «Les artistes des régions sont des phares pour l’ensemble du Québec, à travers les personnages qu’ils créent, les sujets dont ils traitent, les émotions qu’ils soulèvent en nous. Je crois que chaque partie du territoire québécois, ne serait-ce que par sa lumière et ses ciels uniques, inspire, forge et teinte les œuvres des artistes qui y vivent.»
Rivière Mékiskan, Lucie Lachapelle, XYZ, 158 p. | 21$

Gatineau – Iris Boudreau
C’est l’histoire de Justine, une orpheline qui débarque dans une ville anonyme parmi les zonards et les paumés. C’est aussi l’histoire d’Iris, son illustratrice originaire de Hull, qui invente des villes fantômes inspirées d’un univers qu’elle connaît bien, celui de Pointe-Gatineau. «J’ai vécu dans cette ville et j’avais envie de dépeindre des lieux que je connaissais. C’est un quartier assez défavorisé et, comme mes histoires sont ancrées dans le quotidien, c’était pertinent que l’action se déroule dans un secteur trash de la banlieue. Ce genre de lieu abrite une faune assez variée et des personnages « typés », explique la talentueuse bédéiste. Pendant plusieurs années, je tenais à rester à Gatineau coûte que coûte, même si tout le monde partait.
J’étais jeune et idéaliste et j’avais confiance: je me disais que c’était possible de changer les choses, développer la vie culturelle de la ville, créer des événements, m’impliquer dans mon quartier, etc.», se souvient la jeune femme, que certaines circonstances ont finalement menées à Montréal. Iris croit tout de même qu’il est possible de vivre de la BD en région: «Je pourrais habiter au pôle Nord et, si j’avais Internet, tout serait OK!»
Justine, Iris, La Pastèque, 104 p. | 24,95$

Mauricie – Patrick Brisebois
Tel un Salinger réfugié sur sa colline, Patrick Brisebois a quitté la ville et le monde des hommes pour la quiétude de la région. L’auteur de la «Trilogie Sinistre» (rééditée cet hiver au Quartanier) nous parle de Louiseville, où il s’est établi il y a quelques années: «Je m’y sens comme un étranger camusien dans un bled lovecraftien et c’est bien ainsi, même si mes amis Facebook me traitent de sauvage.» Grâce à Internet, les confrères du milieu ne sont jamais bien loin. «L’avantage de vivre en région, c’est la sainte paix. C’est aussi une bonne excuse pour ne pas aller aux lancements!, admet Brisebois, qui a grandi près de Montréal et vécu à Baie-St-Paul avant de se retirer en Mauricie. La banlieue m’évoque mon enfance, la ville, mes années de folie et la région, une tour d’ivoire dans laquelle le monde extérieur ne peut m’atteindre. Plus jeune, je me voyais vivre seul dans une cabane avec des chats, de l’alcool et l’écriture. Eh bien, c’est exactement ce qui m’est arrivé.» Le grand solitaire trouve son salut dans la fiction: «C’est le prix à payer pour jouir d’une sorte de liberté « inhumaine ». Bien sûr, il reste les livres, les personnages que j’invente et un double avec qui je parle – car après des années d’isolement, on se met à penser à voix haute!»
À venir: Trépanés, Patrick Brisebois, Le Quartanier, 224 p. | 14$

Cantons de l’Est – Delaf et Dubuc
Leurs «Nombrils» cartonnent à Paris, mais c’est à North Hatley que les stars de la BD Delaf et Dubuc ont décidé de poser leurs planches à dessin. «Nous avons choisi ce village simplement parce que c’est chez nous, que c’est un joli coin de pays et qu’une maison y coûte le même prix qu’un condo sans stationnement à Montréal, souligne Maryse, la belle du duo. Pour moi, la ville est un concentré d’informations qui crée une surabondance. J’ai du mal à réfléchir en marchant le long d’une rue commerçante. J’ai besoin d’être entourée de nature.» Même si les deux amoureux ont envisagé de déménager en Europe, ils sont arrivés à la conclusion qu’avec Internet, ce n’était pas nécessaire: «Nous ferions exactement la même chose si nous habitions à deux rues des bureaux de Dupuis!», explique la scénariste. Du reste, la technologie rend possible une vie collective riche: «Notre communauté, c’est autant les gens avec qui l’on communique par Internet et avec qui nous avons plein d’intérêts communs que les gens croisés dans la rue.» Ce qui ne les empêche pas de se rassembler fréquemment autour d’un verre: «Nous organisons chaque mois une rencontre BD informelle qui réunit quelques auteurs de la région. On se prête des livres, on commente le travail des autres… C’est très agréable!»
Les Nombrils, l’intégrale: Jeunes, belles et vaches, Delaf et Dubuc, Dupuis, 196 p. | 39,95$

Montérégie – Mylène Arpin
L’auteure pour la jeunesse Mylène Arpin fait connaître aux petits lecteurs les lieux magnifiques qui les entourent grâce à sa série «Les découvertes de Florence»: «Dans mes livres, j’aborde mes coups de cœur (l’île d’Anticosti, Tadoussac, le Saguenay, etc.) Je raconte d’abord un voyage en famille, et la curiosité de Florence nous fait découvrir plein de choses.» Cette passion pour le Québec lui vient de sa propre enfance: «Je voyage depuis que je suis toute petite. Je suis allée une dizaine de fois aux Îles-de-la-Madeleine, que j’affectionne particulièrement. J’ai aussi vécu une bonne partie de mon enfance dans les Laurentides. À cette époque, les enfants jouaient toujours dehors. Je passais mes journées dans la forêt à explorer les environs.» Quelques décennies plus tard, c’est la même curiosité qui entraîne l’auteure hors des sentiers battus, armée d’un appareil-photo, de jumelles et de son fidèle chien à la recherche de bestioles et de fossiles, tout comme la Florence de ses romans. La grande contemplatrice, qui habite Valleyfield, ne peut cacher son penchant pour les régions, dans la vie comme sur papier: «L’écriture est un art solitaire qui peut être pratiqué n’importe où. Moi, je préfère le calme et la tranquillité.»
Des dollars plein les poches!, Mylène Arpin, JKA, 164 p. | 12,95$

Saguenay – Jean-François Caron
Dans Nos échoueries, Jean-François Caron s’inspire de son expérience pour décrire un minuscule village du bord du fleuve avec ses beautés et ses travers. «Sainte-Euphrasie n’existe pas, mais si on pouvait en prendre une photo, le village ressemblerait assez fidèlement à Saint-André de Kamouraska, explique l’écrivain, qui réside aujourd’hui à Chicoutimi. Mon décor est tapissé des plus beaux paysages. J’ai besoin d’être entouré par la beauté que m’offre la région.» Le poète participe à la santé artistique de sa communauté: «Quand j’étais rédacteur en chef de Voir Saguenay, j’ai découvert un milieu culturel vigoureux. Ça n’a sans doute rien à voir avec le foisonnement culturel des grands centres, mais les avantages de la région valent pour moi mille fois les inconvénients de la ville. Tout cela est possible parce que des gens s’impliquent activement. Cette attitude de soutien et d’entraide est plutôt généralisée dans la région.» Si l’écrivain bénéficie d’une couverture médiatique nationale, c’est selon lui grâce au travail de sa maison d’édition installée à Chicoutimi, qui assure une présence partout: «Avec les moyens de communication que nous avons à notre disponibilité, plus rien n’est impossible, aujourd’hui.»
Nos échoueries, Jean-François Caron, La Peuplade, 146 p. | 19,95$

Îles-de-la-Madeleine – Jean Lemieux
Le docteur Jean Lemieux a roulé sa bosse aux quatre coins de la province, de St-Jean-sur-Richelieu à Québec en passant par Montréal et les Îles-de-la-Madeleine, mais c’est à l’encre de ces dernières qu’il a choisi de tremper sa plume. Parti y pratiquer la médecine pour un an, il y est resté pendant quatorze: «Je suis littéralement tombé en amour avec les Îles. Il y avait là-bas ce que j’appelle « l’effet-bulle ». On y est ailleurs.» Pour Lemieux, le choix d’un décor madelinot pour camper ses polars allait donc de soi: «C’est venu tout seul. C’est un huis clos naturel où les éléments sont très présents et où le tissu social est particulier, notamment par la juxtaposition des insulaires et des « gens d’en-dehors ». C’est d’emblée un lieu poétique.» Celui qu’on associe si souvent aux Îles est pourtant aujourd’hui un résident de la ville de Québec et considère qu’un auteur n’a pas à vivre près de son éditeur: «Cette question des régions, en ce qui concerne l’écriture, m’apparaît artificielle. L’écrivain est d’abord dans sa tête, et sa tête peut être n’importe où.»
Le mort du chemin des Arsène, Jean Lemieux, La courte échelle, 400 p. | 29,95$

Chaudière-Appalaches – Jean-Jacques Pelletier
Si les hasards de l’emploi ont amené Jean-Jacques Pelletier à s’installer à Lévis, l’enseignant en philosophie n’y voit pas un choix motivé par l’écriture. «Je ne suis pas « milieu », ni littéraire, ni culturel. Pour moi, l’écriture est un travail qui demande deux choses: de la solitude (même en public) et du temps. Quand il m’arrive de parrainer de nouveaux écrivains, c’est sur une base privée», raconte-t-il. Ce n’est pas pour autant que le maître du thriller économique travaille en ermite. Ceux qui ont déjà visité la petite banlieue de la Rive-Sud de Québec le savent bien: «J’ai l’habitude d’écrire dans les cafés, les restos et les bars de Lévis. Bref, partout où l’on peut louer une table pendant un certain temps pour le prix d’un café ou d’un verre de vin. Je n’écris jamais chez moi. Pour moi, écrire, c’est aller ailleurs, dans tous les sens du terme…» Pour l’auteur des «Gestionnaires de l’apocalypse», les avantages et les contraintes de la vie en région s’égalent: «La vie culturelle est plus intense et diversifiée à Montréal; la pollution aussi. En région, c’est l’inverse… Quoique, maintenant, avec Internet, on fait tous un peu partie du même village global.»
À venir: L’assassiné de l’intérieur, Jean-Jacques Pelletier, Alire, 224 p. | 14,95$

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