Le Prix des libraires du Québec: Lire un peu, beaucoup, passionnément, à la folie!

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Qui de plus avisés pour couronner un livre que ceux dont le métier consiste justement à promouvoir leurs coups de coeœur, à conseiller les meilleurs ouvrages et qui, de surcroit, voient la totalité de la fournée de nouveautés publiées annuellement? En effet, il paraît presque improbable qu’avant la création du Prix des libraires du Québec, en 1994, personne dans la province n’ait pensé à leur donner la parole. Les libraires ne sont ni journalistes, ni correcteurs, ni éditeurs, mais ce sont d’excellents lecteurs, qui aiment ou détestent en toute franchise et en toute liberté. Grâce à cela, personne n’est en meilleure posture pour juger de la qualité d’un roman que ces experts pour qui le livre déchaîne réellement les passions.

Propriétaire des librairies Pantoute et président-directeur général du magazine le libraire, Denis LeBrun était, il y a seize ans, directeur du Salon du livre de Québec. C’est lui qui proposa, dans une lettre adressée à l’Association des libraires du Québec (ALQ), de créer de concert avec elle un prix décerné par les libraires. «Outre que [ceux-ci soient] très bien placés pour apprécier la production annuelle des maisons d’édition, ils sont à même de bien prendre le pouls des lecteurs», mentionnait-il dans sa missive. Plusieurs pays avaient alors une prestigieuse récompense similaire, souvent attendue du public et de la critique. Pourquoi le Québec n’aurait-il pas une telle remise de lauriers? L’idée était lancée: l’ALQ a emboîté le pas et le Prix des libraires du Québec a vu le jour.

Un prix qui a sa raison d’être
En plus de reconnaître la qualité d’une œuvre de fiction québécoise, on décida aussi de récompenser une œuvre de fiction étrangère. Grâce à ce second volet, connu sous l’appellation «Roman hors Québec», le Prix des libraires du Québec faisait hier figure de précurseur, et c’est encore le cas aujourd’hui: nul autre prix québécois ne récompense cette catégorie littéraire. Promouvoir de façon générale la littérature et reconnaître annuellement l’excellence de deux livres sont les principaux objectifs du Prix des libraires du Québec.

«Les libraires jouent un rôle clé dans la chaîne qui relie l’auteur au lecteur. C’est leur enthousiasme, leur professionnalisme, leur profonde connaissance des livres qui permettent cette rencontre essentielle, celle d’un texte avec ses lecteurs, sans laquelle un livre ne vit pas vraiment. En veillant ainsi sur les débuts de la vie publique des livres, les libraires contribuent de manière essentielle à la vie culturelle du Québec», résume Pascal Assathiany, directeur général des Éditions du Boréal, dont sept auteurs furent récipiendaires du Prix des libraires du Québec.

Comme on l’a mentionné précédemment, le Québec n’est pas le seul endroit où les libraires ont le droit de voter pour leur livre de prédilection. Ainsi, l’équi­valent français de notre prix a été créé en 1955 par quatre libraires que le choix des lauréats du Goncourt, du Femina et du Médicis, entre autres, avait déçus. Comme son homologue, le Prix des libraires du Québec récompense un ouvrage de qualité qui pourrait, dans certaines occasions, avoir été mis de côté dans la foulée des remises de prix, notamment celui du Gouverneur général. Le Conseil des arts et des lettres du Québec remet une bourse de 2 000$ à l’auteur québécois récipiendaire, un cachet certes symbolique — si on le compare au million d’euros (près de 1,5 million de dollars canadiens) remportés par le Nobel de littérature —, mais accompagné d’une visibilité importante due à la promotion effectuée par l’ALQ, qui chapeaute maintenant seule ce prix.

Un jury pas comme les autres
Les membres du jury du Prix des libraires du Québec ne tiennent pas compte des chiffres de ventes pour élire leurs deux gagnants annuels: ils sélectionnent simplement des œuvres littéraires ayant frappé leur imaginaire. Bon ou mauvais vendeur, cela n’a pas d’importance, puisqu’il suffit qu’ils aient craqué pour un titre!

Ce comité se compose, d’une année à l’autre, de cinq à sept libraires. Ces derniers doivent établir, lors d’une première rencontre, une liste préliminaire comprenant douze titres pour les deux catégories (québécois et étranger). Seul critère: chaque livre doit être un coup de coeœur. Il sera ensuite jugé d’après la qualité de sa langue ainsi que l’originalité de son propos. Les membres du comité s’engagent ensuite à lire les vingt-quatre livres en lice, puis à en choisir cinq pour chaque catégorie, titres qu’ils auront évalués de la manière suivante: cinq points pour le meilleur, jusqu’à un point pour le dernier de leur liste personnelle respective. Le cumulatif de ces points permet d’établir un rang pour chaque ouvrage et d’ainsi obtenir la liste des finalistes. Processus démocratique oblige, toutes les œuvres accédant à la liste finale doivent obligatoirement avoir reçu l’appui total d’au moins un des membres, et avoir été approuvées en majorité par les autres. Les dix livres, qui peuvent relever du genre romanesque, de la nouvelle ou du récit, sont ensuite soumis au vote parmi les 1 500 libraires du Québec, le tout sous la supervision de l’ALQ. Un pourcentage d’environ 13% de ce lot participe: c’est-à-dire environ deux cents libraires. Deux cents opinions, ce n’est pas trop mal pour rester représentatif! Tous les employés des librairies indépendantes, des chaînes telles Archambault ou Renaud-Bray, de même que ceux des coopératives en milieu scolaire peuvent exprimer les préférences; seuls les libraires de livres usagés n’ont pas accès au bulletin de vote.

Un prix qui vaut son pesant d’or
Une grande campagne de promotion est organisée annuellement afin de braquer les projecteurs sur les œuvres en lice, puis sur les gagnants. Des autocollants sont apposés sur les livres sélectionnés, des affiches sont distribuées à travers toutes les librairies du Québec, des publicités paraissent dans différents quotidiens ou magazines. Une telle visibilité a bien entendu des retombées sur les ventes. Selon des données fournies par l’ALQ, les répercussions sont immédiates: 3 000 exemplaires du lauréat québécois sont vendus durant le mois suivant la remise du prix. En comparaison, le prix Goncourt entraîne la vente de 250 000 exemplaires alors que le Femina et le Renaudot, près de 100 000. Une évidence s’impose: le marché québécois est plus restreint que le marché français et il serait inconcevable de s’attendre à des résultats similaires. Dans la catégorie littérature générale, en France, on parle d’un franc succès lorsque les ventes avoisinent les 50 000 exemplaires. Au Québec, on considère qu’un roman ayant trouvé environ 5 000 preneurs est un best-seller. Pour un auteur québécois, voir son ouvrage couronné par le Prix des libraires du Québec est donc une excellente nouvelle!

Conséquemment, Denis LeBrun croit que «le principal impact du Prix des libraires est perceptible sur la notoriété de l’auteur». Quant à Antoine Tanguay, directeur des éditions Alto — qui a vu, durant les cinq premières années d’existence de sa maison, deux de ses auteurs recevoir le Prix, soit Nicolas Dickner et Rawi Hage —, il affirme qu’un tel honneur aide indéniablement à la reconnaissance à l’étranger, en favorisant notamment les exportations de même que les ventes de droits.

Le Prix des libraires du Québec contribue donc à faire augmenter de manière significative les ventes. De plus, un impact médiatique pour la notoriété de l’auteur est assuré pour les gagnants de cette récompense, prestigieuse aux yeux des lecteurs, les réels concernés. Ce n’est donc pas pour rien que certains éditeurs prévoient la réimpression des titres en fonction des finalistes! Alors, qui d’autre qu’un libraire est le plus expérimenté pour juger du meilleur livre de l’année?

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