J’ai toujours aimé me coller aux femmes plus âgées que moi. Par fascination et admiration. Arrivée sur le marché du travail dans la jeune vingtaine, je suis tombée de haut. Comme quand la Dorothy du Magicien d’Oz rencontre la vilaine sorcière de l’Ouest, qui m’est moi aussi apparue tantôt sous les traits d’une patronne sans finesse ni subtilité, qui avait, par exemple, invité tous ses employés, excepté moi, à son party d’anniversaire, tantôt sous ceux de cette animatrice qui avait menacé de me faire un mauvais nom dans les médias alors que j’étais au cœur d’une dépression. Heureusement, pour compenser, il y a toutes les Glinda qui ouvrent la voie, ces bonnes sorcières du Sud — pour rester dans la métaphore « baumienne » — qui m’ont conseillée, sortie, traînée, consolée, rassurée, donnée des jobs, etc.

J’ignore jusqu’à quel point Michelle Labrèche-Larouche a été la Glinda de Josée Blanchette, que j’ai toutes deux reçues en entrevue au Salon de Claudia, une série d’entretiens présentés dans le cadre du Festival international de la littérature (FIL) qui se déroulait du 18 au 27 septembre dernier dans quelques lieux montréalais, mais aussi en ligne (festival-fil.qc.ca/le-salon-de-claudia-visionnement).

Si j’ai eu le flash d’asseoir la journaliste à la retraite aux côtés de la célèbre chroniqueuse au Devoir, c’est parce que j’avais entendu dire qu’elles étaient près l’une de l’autre. Ça avait frappé mon imaginaire qu’elles se soient « trouvées », Michelle inspirant même le personnage octogénaire de Lou dans Mon (jeune) amant français, premier roman de Josée Blanchette paru cet automne chez Druide.

Michelle inspirerait bien des héroïnes.
Des fois que cette splendeur qui lui sied si bien serait contagieuse. Des fois qu’à 80 quelque on aurait la même fougue, cette espèce de lueur tannante dans l’œil qui fait que Michelle me semble figée dans l’adolescence. Des fois qu’elle prononcerait la phrase qui — abracadabra! — nous rendrait toutes aussi fortes, puissantes et libres qu’elle. « Ma vieille chum a trois devises avec les hommes et me les répète souvent, comme un mantra de croissance personnelle : Fiche-toi z’en. Tu peux tout donner, mais conserve ton pouvoir. (Ça, elle le tient d’une dominatrice sadomaso.) Sois prête à tout perdre », déclare la Jeanne de la primoromancière qui n’avait jusqu’alors publié que des guides culinaires ou des essais, jamais de fiction.

Cette phrase, je l’ai collée sur mon « mur à mantras » devant ma table de travail, à côté de citations d’Annie Ernaux, Sylvia Plath, Louise Dupré, etc. « Marc m’a fait un compliment : “Tu m’as appris la liberté.” En plus, lui, c’est un amoureux, il bâtit… Moi, je suis plus une papillonneuse », a déclaré Michelle dans notre entretien. Marc, c’est son Marc Labrèche de fils, le seul et unique enfant qu’elle a eu avec feu l’acteur Gaétan Labrèche, son plus grand amour dont elle parle toujours avec tendresse et qui trône au sommet de tous les autres sur lesquels elle a écrit dans Les 40 hommes de ma vie (Éditions La Presse).

La satanée poudre de perlimpinpin
« On s’imagine qu’on est passées date après 45 ans parce que toute la société nous envoie ce message-là », a déclaré dans le même entretien Josée Blanchette. « Les femmes se soumettent plus ou moins consciemment au consumérisme qui fait d’elles des proies faciles. Elles ne soupçonnent pas jusqu’à quel point les prédateurs s’organisent en meute et accordent aux mâles alpha des privilèges de bonobos. Afin d’assurer la survie de l’espèce, ils sont même prêts à passer un mauvais quart d’heure pour que le dominant puisse parvenir à ses fins et copuler. Nous nous laissons enfariner et rouler dans la poudre de perlimpinpin avant d’être jetées dans la friture comme des langues de morue. Pauvres naïves », lit-on dans Mon (jeune) amant français.

Michelle semble être sortie victorieuse de cette bataille.
Elle regarde devant, fonce tête première. Ouf. J’en serais incapable, je manquerais de courage, de guts… « Faut se faire confiance, j’ai vécu plein de grandes amours, plein de déceptions. Faut pas penser que tu vas en mourir chaque fois. Tsé, à un moment donné, tu le sais, ça… donc tu te dis : j’y vais. Moi, ce que j’aime, c’est les grandes passions dévorantes, pis je me débrouille avec les conséquences », a-t-elle insisté. OK. Elle me dirait de me rouler par terre, de faire le singe avec des grimaces que je le ferais à l’instant même.

Michelle, Josée, vous semblez le savoir, vous, où se cachent les souliers rubis de Dorothy.

Tant que je ne les trouverai pas, je vous lirai.


Vous pouvez visionner la rencontre qui a inspiré ce texte au festival-fil.qc.ca

Claudia Larochelle est journaliste et auteure. Aux éditions La Bagnole, elle publie une série pour les tout-petits mettant en vedette une doudou. Les deux plus récents titres sont le tout-carton La doudou aime les bisous et La doudou et les émotions.


Photo de Josée Blanchette : © Dominique Lafond

Photo de Michelle Labrèche-Larouche : © Jocelyn Michel

Publicité