La création, format 2.0 : « Instapoètes » et autres gourous littéraires du Web

Si l’esthétique accrocheuse a toujours été l’apanage d’Instagram et la phrase punchée, celui de Twitter, certaines fées des mots et magiciens des idées ont choisi d’investir les réseaux sociaux de leurs créations. En mitraillant leurs fans de calembours, contrepèteries, mots d’esprit et fortes métaphores, ils ont instauré une nouvelle ère pour les arts littéraires : celle où à chaque « J’aime », le public interagit immédiatement avec son créateur. Poésie, bande dessinée, essai : les formes courtes 2.0 sont plurielles et n’attendent que vous les découvriez en ligne… ou maintenant sur papier, car voilà cinq créateurs qui ont fait le pont du numérique au papier!

 

Melissa Broder : l’éclatante dépressive
Souffrant d’anxiété et de dépression, l’Américaine Melissa Broder a ouvert un compte Twitter en 2012 sous le pseudonyme So Sad Today. Elle y publie de façon cathartique de lapidaires fragments qui combinent tristesse, désespoir et, surtout, humour noir. « C’était peut-être l’afflux de dopamine au moment d’appuyer sur “Envoyer”, mais j’avais l’impression que les lignes commençaient à bouger et que j’y voyais plus clair », lisons-nous dans le récit littéraire – à la limite de l’essai – So Sad Today (L’Olivier), où elle reproduit notamment (et pas que) ses tweets. Qu’elle parle de polyamour, de vomi, d’attente de textos, de drogue, de sexe ou de sang menstruel, elle dépose toujours, dans ses 280 caractères, une authenticité désarmante qui fait d’elle un porte-étendard de sa génération. À ce jour, elle est suivie par près de 950 000 abonnés, dont Miley Cyrus et Katy Perry!

Morgane Ortin : celle qui rallie les cœurs
Directrice éditoriale de DesLettres, éditeur numérique spécialisé dans la correspondance d’écrivains, Morgane Ortin a ouvert en 2017 le compte Instagram amours_solitaires, où elle publie ses textos amoureux. Trois ans plus tard, elle est suivie par 500 000 personnes; elle reçoit chaque jour près de 100 missives, qu’elle relaie (anonymement); et elle a publié deux ouvrages, titrés Amours solitaires (Albin Michel), entièrement composés de textos reçus de ses abonnés. En véritable fée des puzzles, elle les a ordonnés de façon à créer une histoire fictive : « Je voyais des liens se tisser entre des messages qui n’étaient pas écrits pour se répondre », écrit-elle. Grâce à ces créations, Ortin (re)donne ses lettres de noblesse à la lettre d’amour 2.0, brise l’idée reçue qu’il n’est plus bon, de nos jours, d’être romantique, et crie bien fort : « Aimez! »

Atticus : le poète masqué
Paré de son masque en métal argenté – dont il ne se sépare jamais –, Atticus, bien qu’il soit anonyme, est l’un des « instapoètes »masculins les plus connus. Ils sont en effet 1,4 million d’abonnés sur Instagram à lire ses vers libres, bien trempés dans l’époque actuelle tout en possédant un petit quelque chose de Bukowski et de Fitzgerald, mais en plus romantique. Si des rumeurs circulent à l’effet qu’un acteur canadien de téléréalité se cacherait derrière le masque, nous préférons pour notre part jouer le jeu et respecter sa décision de rester anonyme : d’ailleurs, en entrevue au Globe and Mail, Atticus a mentionné que, démasqué, il aurait tendance à vouloir impressionner et n’écrirait plus pour les bonnes raisons. Vous êtes curieux? Laissez tomber son vrai visage et tournez-vous vers son art en plongeant dans la profondeur sans prétention de Love Her Wild, traduit en français (sous le même titre) chez Michel Lafon.

Emma : la féministe aux crayons
C’est à Emma que nous devons la courte bande dessinée féministe Fallait demander, qui démystifie la charge mentale. Circulant sur les médias sociaux à une vitesse ahurissante (et dans un déploiement épatant), cette publication a fait de la jeune femme une bédéiste parmi les plus populaires de la Toile. Ingénieure informatique de jour, elle travaille sur ces BD documentaires à teneur féministe le soir. « Mes dessins, ils sont là pour transmettre des idées qui ont changé ma façon de voir le monde; ce que je voudrais, c’est que nous tous, on s’empare de ces idées, qu’on les échange et les enrichisse ensemble », écrit celle qui a maintenant cinq BD à son actif, toutes publiées chez Massot Éditions, dont Des princes pas si charmants et autres illusions à dissiper ensemble (de sa série « Un autre regard »).

Rupi Kaur : celle qui fait fleurir la poésie
Née en Inde, Rupi Kaur est une jeune poète canadienne de 27 ans qui s’est fait connaître grâce à Instagram, où elle publie ses poèmes depuis 2014. Sans nous tromper, nous pouvons dire que cette « instapoète » a réussi à rendre la poésie accessible et populaire : en effet, jusqu’à 3,9 millions de personnes la suivent! Récemment, sa poésie instantanée lui a même valu d’être nommée « écrivaine de la décennie » par le magazine américain The New Republic. Traduit en plusieurs langues et vendu à des millions d’exemplaires, son premier recueil, Lait et miel (Guy Saint-Jean Éditeur), explore la douleur, l’amour et la rupture. Des sujets qu’elle aborde aussi dans son second recueil, Le soleil et ses fleurs (Guy Saint-Jean Éditeur). Ses poèmes féministes et intimistes, accompagnés de ses propres dessins, sondent également la violence, la féminité, l’acceptation de soi, la perte et la guérison.

 

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