J’ai mal à mon école

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Malgré l’angoisse paralysante de la première fois où je me suis glissé dans ses couloirs, je garde un souvenir heureux de mon passage à l’école primaire. J’aimais bien les rudes parties de ballon-chasseur, l’apprentissage des mathématiques avec les réglettes jaunies par leurs années de service ou les dictées encourageantes pour l’ego du gamin que j’étais. Parmi les bons souvenirs, il y a ces visites impromptues à la bibliothèque scolaire. Je me lançais vers le rayon des bandes dessinées, espérant toujours trouver une nouvelle aventure de mon héros préféré du moment. C’était souvent peine perdue : les rayons étaient tristement dégarnis. Le lieu était tenu par deux bénévoles. Ma préférée s’appelait Nicole. Elle avait un sourire à faire aimer les jours de pluie, Nicole. On ne pouvait certainement pas blâmer cette aimante bénévole si elle ne savait pas trop où donner de la tête. Nicole s’occupait des livres comme elle offrait du chocolat chaud après une sortie à la patinoire. Du mieux qu’elle pouvait…

Au fil des ans, le gouvernement a mis en place des mesures et des outils pour mieux soutenir les élèves. Les commissions scolaires ont déniché des intervenants qualifiés en toxicomanie, ont embauché des conseillers pour contrer l’intimidation, ont ajouté des ressources pour l’aide aux devoirs, etc. En 2008, c’était au tour des bibliothécaires de faire leur entrée en milieu scolaire, grâce au Plan d’action sur la lecture à l’école.

Le milieu éducatif était développé avec l’idée de donner la meilleure chance possible aux enfants. Avec l’espoir que tous se développent également, peu importe leur milieu de vie, leur classe sociale ou leurs capacités. D’un même souffle, la société disait à ses enfants que leur bonheur et leur succès lui tenaient à cœur.

Aujourd’hui, ce modèle s’écroule. Le gouvernement oblige les commissions scolaires à tout calculer sur des critères purement financiers. Les budgets sont charcutés et les décisions illogiques se multiplient. La conseillère pédagogique n’a pas sa permanence : adieu! Le service des petits déjeuners est lourd à gérer : couperet! Les dix-huit bibliothécaires de la commission scolaire montréalaise Lester B. Pearson représentent un poids financier pour l’institution : on supprime leurs postes! Tristement, l’école publique se dépouille de ce qui ajoutait du « wow » dans la vie de l’enfant…

On fait fi des répercussions de ces coupes. Les ressources restantes sont surchargées, démotivées. Elles ont l’impression de tenir à bout de bras un système qui ne fait que leur lancer des billes sous les pieds. Qui sera le prochain à tomber l’automne venu? Personne ne sera épargné : de nombreux professionnels perdront leur emploi.  

Ode aux bibliothécaires scolaires
La bibliothèque scolaire, c’est un repère. Un lieu de recherche, certes, mais surtout un lieu parfait pour développer son esprit critique, pour stimuler sa curiosité et pour s’ouvrir au monde. Les livres, qu’ils soient en bibliothèque ou en classe, permettent de mieux appréhender le monde et de s’émerveiller. Pour atteindre cet objectif, il est cependant impératif de reconnaître le rôle essentiel des bibliothécaires scolaires et des professionnels qui les entourent (techniciens en documentation, conseillers pédagogiques, animateurs). Ces gens permettent de construire une collection cohérente, de soutenir les apprentissages des étudiants, de conseiller les lectures appropriées aux professeurs, etc. En fait, les bibliothécaires permettent de faire vivre les livres. Et aussi de créer, en collaboration avec les enseignants, le plaisir et l’habitude de lire chez les élèves. Projet noble et essentiel, qui mériterait une meilleure reconnaissance. Aujourd’hui, avec les conditions offertes et l’insécurité permanente, il faut vraiment avoir la vocation – si ce n’est une dose de naïveté – pour se lancer dans ce milieu.

Oui, l’efficacité dans la gestion des fonds publics est importante, mais toute décision devrait être prise en fonction d’une stratégie claire plaçant l’élève au cœur de la réflexion. Aujourd’hui, on exige la réussite des enfants, mais tout en éliminant ce qui permettait à certains de s’en sortir. Parce qu’on ne peut pas demander à toutes les Nicole du Québec – aussi géniales soient-elles – de prendre le milieu scolaire en main. Nos enfants ont besoin de professionnels qualifiés. De travailleurs sociaux, oui, de psychologues, oui… mais aussi de ces bibliothécaires qui jouent un rôle clé, bien que discret, dans l’épanouissement de nos enfants.

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