Commencer?
Au début, il y a le désir de faire des livres comme on l’entend. Ce qui veut dire être à l’affût de ce qui nous a fait rêver jusque-là, marcher dans les pas de celles et ceux qu’on admire. Le nom de la maison vient d’un texte de Marguerite Duras, Une odeur d’héliotrope et de cédrat.

À notre première rentrée, nous faisons la connaissance de Paul Otchakovsky-Laurens au Salon du livre de Montréal, que nous admirions à distance pour son travail d’éditeur à travers les livres de sa maison. Et nous avons pu revoir année après année cet homme discret, raffiné, d’un tout petit peu plus près chaque fois, jusqu’à sa disparition.

Au commencement, c’est avant tout une passion pour le texte, une obsession pour l’écrit, pour les voix fortes, qui nous guident. Et puis, alors que la maison a deux ans d’existence, le succès et les prix vont nous tomber dessus avec un roman exigeant, Le ciel de Bay City, de Catherine Mavrikakis.

D’autres honneurs, d’autres prix récompen­seront par la suite les livres que nous publions. Des prix qui facilitent la rencontre entre le livre et le lecteur ou la lectrice.

Voyager?
Viendront les livres des voyageurs, où l’on ne prend pas toujours l’avion d’ailleurs. Ceux notamment de Nicolas Chalifour, David Clerson, Clara Dupuis-Morency, Vincent Brault ou Alice Michaud-Lapointe, qui jouent sur les échelles du temps, de l’espace, de la géographie à l’intérieur de créations où la réalité perd de son évidence, ne se reconnaît plus tout à fait.

Transgresser?
Au départ, il y avait aussi pour nous la conviction que les écritures de soi ne devaient pas être cantonnées à la marge et à la parenthèse. Et nous avons d’emblée pris très au sérieux ces voix de l’intime. Une question de sensibilité. Nous avons ainsi très tôt publié les livres vibrants de Martine Delvaux. Puis nous avons accueilli Mathieu Leroux, Catherine Fatima, Jennifer Bélanger.

Résister?
Kevin Lambert s’est fait entendre dès son premier roman. Et encore davantage avec son deuxième. Un bloc compact de résistance. Le roman de Pierre Samson que nous avons publié se dresse face à l’injustice, face au rouleau compresseur qu’est l’Histoire sur les anonymes.

Et puis il y a eu ce cri que beaucoup de lectrices et de lecteurs ont entendu, celui de Marie-Pier Lafontaine.

Nous publions principalement du roman, mais nous publions aussi des livres qui, tout en restant littéraires, s’autorisent des saillies vers l’essai. Quelques textes saisissants de Mavrikakis ou de Delvaux.

Arpenter?
En 2015, nous avons lancé Héliotrope noir. C’était pour nous le moyen d’arpenter le territoire québécois comme des détectives. Braquer les projecteurs avec Maureen Martineau sur une tente montée au creux de la forêt, sur un village lanaudois avec André Marois, sur les quartiers cossus de la capitale avec Marie Saur, sur les boulevards urbains que connaît bien Christian Giguère, sur une grande île avec Marie-Ève Sévigny ou encore, grâce à la plume très noire d’Éric Forbes, sur les 640 kilomètres qui séparent la prison de Bordeaux de la Matapédia.

S’enfuir?
Il est permis aussi de prendre la fuite. Certains personnages d’Emmanuelle Caron ou de Julien Guy-Béland n’ont d’ailleurs plus d’autres choix que de s’enfuir. Dans les romans de Patrice Lessard, on s’efforce tantôt de fausser compagnie à un familier délétère, tantôt à un créancier en colère. Et chez Kim Fu, mettre de la distance reste encore une solution pour ne plus se coltiner un père trop conservateur.

Continuer?
L’espace de l’écrit, c’est aussi le lieu du doute. Et de la mémoire qui travaille les idées. Faire un pas de côté avec Louise Dupré, qui scrute avec générosité, mais sans ciller, le déroulement des événements. Avec Anne-Renée Caillé, qui pose un regard lucide sur l’enchaînement des jours. Un pas de côté, pour espérer comprendre et assimiler, comme Maryam Madjidi, le temps qui passe sens dessus dessous.

Se rencontrer?
À l’occasion des 15 ans d’Héliotrope, nous avons organisé une série de rencontres avec plusieurs auteur.es de la maison autour de la question À quoi ça sert la littérature? Histoire de faire entendre le timbre de leurs voix fortes, leurs fausses réponses, mais surtout, leurs vraies questions.

Surprendre et se surprendre?
Nous avons fait connaître de nouvelles voix depuis le début d’Héliotrope. Nous avons aimé faire une place à ces nouvelles voix, nous avons aimé les voir mûrir le long des années, nous avons aimé être saisies par les textes, interpellées par les projets. Une maison d’édition c’est savoir accueillir, saison après saison, des livres et les porter le plus loin possible. C’est pourquoi nous rêvons pour les 15 ans à venir de surprises, d’être surprises, et de surprendre encore.

O. D.-N. et F. N.

Photo : © Les *Marois

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