Culture et mémoire

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Ces dernières semaines, j’ai lu avec un plaisir avide le plus récent opus autobiographique du volubile écrivain et homme de théâtre Jean-Claude Germain, Sur le chemin de la Roche percée (Hurtubise). Sous-titré « Nouvelles historiettes de la bohème », le bouquin s’inscrit évidemment dans la foulée du précédent recueil au titre savoureux (La femme nue habillait la nuit) et de manière plus générale dans la continuité logique d’une œuvre qui fait volontiers le lien entre l’Histoire avec un grand H et la soi-disant petite histoire, entre la vie collective et le destin des individus.

Avec la grandiloquence qui lui sied si bien, avec cette intelligence généreuse qu’on a toujours appréciée chez lui, Germain poursuit ici sa chronique de ses années de bohème, dans un Québec qui n’a pas encore tout à fait conscience de sa propre grandeur. En ces pages foisonnantes, on croise des noms, des visages connus – écrivains, peintres, comédiens, metteurs en scène, intellectuels – qui évoluent dans ces décors moins familiers qu’on l’aurait cru, dans une reconstitution aussi fidèle que faire se peut de ce « temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître ». Germain y était, a fréquenté ces hommes et femmes ou leurs œuvres, parfois les deux, et nous les raconte tout en se racontant lui-même, ouvrant du coup notre perspective sur ces expériences personnelles qui font désormais partie de notre patrimoine commun.

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Dans l’agora, il a beaucoup été question de l’histoire et de son enseignement, ces temps derniers où l’on a vu les politiciens des paliers fédéral et provincial manifester une volonté en apparence concordante de repenser la matière des programmes scolaires à ce chapitre.

Avant de nous prononcer pour ou contre telle réforme, il y aurait cependant matière à nous interroger sur ce que cachent ou révèlent ces beaux discours, et les conséquences d’une instrumentalisation politique de l’enseignement de l’histoire sur l’avenir de notre société.

Les éditorialistes de nos journaux n’ont pas tort de sourciller devant le zèle avec lequel le gouvernement Harper s’attelle à remédier à la soi-disant méconnaissance des Canadiens de l’histoire nationale. Comment réagir autrement avec cette administration qui semble avoir fait de la lutte contre les lettres, la pensée, le savoir une sorte de croisade? Comment ne pas se méfier des motivations et de la finalité des récentes initiatives de Harper et ses troupes dans un champ de compétences (l’éducation) qui relève du provincial? Car l’obsession des conservateurs pour un incident aussi anecdotique que la guerre de 1812 ne fera pas oublier l’inculture crasse dont leur ministre du Patrimoine canadien, James Moore, était venu faire l’étalage à Tout le monde en parle il y a quelques années. Incapable de répondre aux questions de culture générale les plus élémentaires (sur Félix Leclerc, Robert Lepage ou Atom Egoyan), l’honorable sire ne se gêne pourtant pas pour donner des leçons d’histoire canadienne… Mais de quelle version de l’histoire ses confrères et lui veulent-ils se faire les apôtres?

Remarquez, les échos qui nous arrivent de Québec ne sont guère plus encourageants pour ceux qui ont les arts et les lettres à cœur. Lorsqu’ils sont dans l’opposition, les ténors du Parti québécois aiment bien répéter que ceux-ci font partie de leurs valeurs essentielles, même si les gestes posés sitôt le PQ porté au pouvoir donnent l’impression de contredire les belles professions de foi.

On aura beau invoquer toutes les études que l’on veut, rien ne m’ôtera de l’esprit que la disparition du programme « arts et lettres » au collégial approuvée par le ministère de l’Enseignement supérieur, au profit du vaporeux « culture et communication », traduit un dangereux changement de paradigme qui invite à nouveau un nivellement par le bas. On aura beau jurer que le nouveau programme exprime une volonté plus ferme du gouvernement d’insister sur l’histoire qui était l’enfant pauvre du cursus, je ne pourrai m’empêcher de croire qu’enseigner l’histoire en faisant l’économie de l’âme de celle-ci, c’est-à-dire les arts et les lettres, équivaut à enseigner une série d’événements datés dont il est difficile de trouver l’écho dans la vie quotidienne.

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En lisant Sur le chemin de la Roche percée, je n’ai pu m’empêcher de penser à ces profs qui m’ont enseigné autrefois l’histoire, dont les meilleurs avaient une manière somme toute assez proche de celle de Jean-Claude Germain. Et je n’ai pu m’empêcher d’espérer qu’il existe encore dans nos écoles de ces grandiloquents conteurs qui sachent intéresser nos jeunes à ce qui constitue le ciment de notre identité communautaire, l’histoire mais aussi la littérature et la culture en général.

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