Culture et arrogance

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Récapitulons. Du temps où le Parti conservateur formait l'opposition aux Communes, les troupes de Stephen Harper avaient appuyé la proposition de la ministre libérale du Patrimoine canadien, Liza Frulla, qui voulait doubler le budget annuel alloué au Conseil des Arts du Canada. Applaudi par l'ensemble des milieux culturels du pays, qui le réclamait depuis longtemps, ce projet d'augmentation se voulait un audacieux coup de chapeau à la vénérable institution qui fêterait son cinquantième anniversaire en 2007. En dotant le Conseil des Arts d'un budget annuel révisé de 300 millions de dollars, le gouvernement fédéral aurait porté sa contribution aux arts et lettres à l'équivalent de 10$ par citoyen canadien, soit grosso modo la moitié de la contribution par personne des gouvernements britannique, écossais ou irlandais.

On connaît la suite. Une fois élus, non seulement les conservateurs sont revenus sur leur engagement à honorer la promesse libérale qu’ils avaient soutenue, mais ils se sont mis à multiplier ce que j’ai appelé «les attentats grossiers à la santé culturelle nationale», en remplaçant l’augmentation annoncée par une bonification non récurrente de 50 millions de dollars étalée sur deux ans. Pis encore, ils s’en sont également pris aux programmes nationaux d’alphabétisation (pourtant instaurés par l’administration conservatrice de Brian Mulroney), programmes qu’ils ont allègrement sabrés sans penser aux conséquences désastreuses de leur geste. Du même élan, le gouvernement Harper a supprimé les 12 millions de dollars alloués aux services culturels des ambassades canadiennes à l’étranger, s’entête à ne pas vouloir augmenter les fonds insuffisants réservés à la Commission du droit de prêt public, qui verse des compensations aux écrivains canadiens pour leurs livres empruntés en bibliothèque; Harper envisage aussi d’introduire dans sa réforme de la loi cana-dienne sur le droit d’auteur une «exception pédagogique», qui exempterait les milieux scolaires de l’obligation de verser des redevances aux écrivains dont on photocopie les livres dans un cadre scolaire.

À chacune de ces annonces, on a eu l’impression que le visage de la Bête se révélait davantage.

On n’avait encore rien vu.

En avril dernier, lors d’un hommage rendu en Chambre à cinquante artistes canadiens de réputation internationale pour souligner le cinquantenaire du Conseil des Arts, Stephen Harper devait afficher la pleine mesure de son mépris pour les arts et lettres. Aux dires du romancier Yann Martel, non seulement notre PM n’a pas pris la parole pour saluer «la crème de la crème» de la culture canadienne — on aurait été en droit de s’attendre à ce qu’un chef d’État digne du nom le fasse — mais il n’a pas daigné lever les yeux de ses dossiers, n’en finissant plus de bâiller. Parce qu’il n’en pouvait plus de voir pareil ennui se donner en spectacle à la tête d’un État civilisé, le lauréat du Booker Prize 2002 a décidé d’envoyer à M. Harper un livre toutes les deux semaines, pour le sensibiliser au plaisir de lire: La Mort d’Ivan Ilitch de Tolstoï, puis La Ferme des animaux d’Orwell ont ouvert le bal. On ne sait pas si le PM les a lus, comme il n’a à ce jour pas répondu à l’auteur de L’Histoire de Pi.

Par une curieuse inversion du signifié, des esprits chagrins ont critiqué l’initiative de Yann Martel comme une marque d’arrogance à l’égard de Stephen Harper. Comme si les coupes sauvages de Harper dans les fonds alloués à la culture canadienne, son refus de reconnaître celle-ci comme l’essence même de l’identité nationale, ne relevaient pas d’une profonde hostilité à l’égard des nourritures de l’âme et de l’esprit. Quel paradoxe tout de même, pour un gouvernement qui a ratifié la convention internationale sur la protection de la diversité culturelle! On n’est pas plus surpris, quand on constate son empressement à aligner sa politique étrangère, qui frise le mimétisme, sur celle des républicains de George W. Bush!

On a beau vouloir refuser de perpétuer les vieux stéréotypes sur la droite et la gauche, on ne peut que s’inquiéter quand, d’autre part, peu de temps avant son élection à la Présidence de la République, on entendait Nicolas Sarkozy, dont l’esprit n’est pas si éloigné de celui de Harper, confier au journal 20 Minutes son intention de couper les vivres aux filières universitaires qui ne débouchent pas directement sur le marché du travail. «Vous avez le droit de faire littérature ancienne, mais le contribuable n’a pas forcément à payer vos études de littérature ancienne», déclarait le leader de l’UMP.

Alors, dites-moi donc, à quelle enseigne loge l’arrogance déjà? De quel côté triomphe la suffisance?

Au risque de me répéter, je dirai que peu importe le pays, la droite semble vouloir remettre au goût du jour la vieille citation de Goering: quand elle entend le mot culture, elle ne sort plus un revolver mais des ciseaux ou, mieux, un bâillon…

www.whatisstephenharperreading.ca.a>

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