Conversation avec un vrai nègre

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Avec un titre semblable, vous pensez que c'est une entrevue avec Stanley Péan ! Vous allez être contents : ce n'est pas ça du tout. Ce n'est pas non plus une conversation en alexandrins avec le poète Joël Desrosiers, ni avec l'illustrissime Dany Laferrière ni avec Gregory Charles, qui doit être en train de rédiger ses mémoires (où l'on apprend qu'il est le petit-fils de Ray).

Non, il s’agit ici d’une vraie conversation — brève, car l’espace manque et c’est mieux ainsi, cela m’empêche d’écrire des niaiseries ( !) — avec un vrai nègre. Un nègre de l’écriture. Alexandre Dumas en avait des dizaines et Paul-Loup Sulitzer se faisait un devoir de ne pas écrire ses livres lui-même, dit la rumeur. Alors défiant ce qu’il faut défier, j’en ai rencontré un pour vous… au téléphone, car mes moyens financiers sont limités. Heureusement, ce n’est pas un interurbain. Attendez, je compose : ### ### #### (ce numéro doit rester confidentiel).

Bon, c’est occupé, j’essayerai plus tard.

Plus tard…

Zut ! un faux numéro. Je recommence… ### ### ####. Ça sonne. Ne vous inquiétez pas, je plongerai dans le vif du sujet.

— Bonjour, vous. Lorsque vous étiez jeune, vous avez été le nègre de quelqu’un. Qu’est-ce qui vous a pris de faire ça ?
— Ma motivation profonde est d’une grande humanité puisqu’elle est le propre d’un nombre incalculable d’humains : le besoin d’argent. Quand vous mangez des nouilles pendant des mois en vous demandant comment vous allez payer le loyer, la motivation est là. D’autant plus que mes cinq premiers romans ont été refusés par les éditeurs.
— Et ça payait ?
— Autour de 500 $ par livre. Cinq cents dollars version 1971-72. C’étaient des livres pratiques du genre psycho-médico-pop.
— Est-ce qu’on vous a démasqué ?
— Je me suis démasqué moi-même après la parution de mon premier roman qui était mon sixième bouquin à envahir le marché. À noter, cependant, que je n’ai pas engagé de nègre pour le mien (rires). Après mes premières publications, j’ai réécrit deux livres pratiques pour des auteurs qui n’en étaient pas. Pour l’argent toujours, et ça dépannait mon éditeur.
— Recommanderiez-vous ce sombre débouché pour un jeune écrivain ?
— Chose certaine, ça ouvre des horizons sur la jalousie et l’envie. Mais entre nous, pendant que personne ne nous écoute, je peux vous dire que ça fait chier de voir un livre que vous n’aviez pas l’autorité de signer se vendre comme des petits pains chauds. Le pire : vous ne pouvez même pas vous vanter de la chose.
— Avez-vous rencontré d’autres nègres au cours de votre carrière ?
— Quelques-uns. C’est toujours cocasse de raconter des anecdotes que notre rôle de nègre nous a fait vivre. Parce qu’il y en a des tas. Je pourrais identifier une foule de livres écrits par ceux de ma race. En fait, nous sommes peut-être des Pierrot modernes. Nous prêtons notre plume pour écrire un mot… et même plusieurs.

***

Un concours

Quelques indices pour terminer. L’auteur en question est de sexe masculin, habite dans le 450, a deux chiens et deux enfants — mais pas nécessairement dans cet ordre. Il écrit pour les jeunes et pour les adultes, à La courte échelle et ailleurs. Tous les lecteurs qui répondront Raymond « Etnalp » pourront aller chercher gratuitement une copie du magazine Le libraire chez leur fournisseur habituel. Allez, ne me remerciez pas, ça me fait tellement plaisir !

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