Cette piqûre qui vous veut du bien

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Une fille me tenait par les épaules, me plantait son téléphone à quelques centimètres du visage, et se lançait d’un grand rire franc avant de prendre un égoportrait. C’était un samedi frisquet d’avril, et je venais de rencontrer Audrey Martel pour la première fois. J’avais déjà échangé par courriel avec elle autour de différents projets liés à la coopérative. Cette soirée me permettait d’enfin mettre un visage sur cette fille extrêmement dynamique et bien représentative d’un milieu qui se réinvente sans tirer pour autant un trait sur l’héritage colossal de piliers du passé.

Audrey Martel vient de recevoir le Prix d’excellence 2017 de l’Association des libraires du Québec. Elle est une libraire remarquable, un symbole de ce renouveau en librairie. Audrey est une libraire, parmi tant d’autres, qui ont bifurqué vers ces commerces qui font rencontrer lecteurs et écrivains.

Ils sont précieux, ces libraires qui animent leur librairie, qui rendent le lieu invitant et vivant, qui partagent avidement leur passion de la lecture. Ils sont tout aussi précieux, ces nombreux libraires qui travaillent dans l’ombre pour s’assurer que tout fonctionne rondement, qui s’assurent que les livres sont achetés, commandés, réceptionnés, étiquetés, placés, expédiés… Tous sont incontournables.

C’est pourquoi je trouve toujours touchant d’entendre des gens de tous horizons saluer ces gens (de l’ombre ou de la lumière), qui ont un rôle marquant sur leur parcours. Lors de la remise du Prix des libraires du Québec au début mai, les deux lauréats ont livré un plaidoyer senti pour ces nécessaires défenseurs de la culture nationale. Le gagnant du volet québécois, Stéphane Larue – si vous n’avez pas lu Le plongeur, n’hésitez pas à vous y lancer : c’est grandiose –, a signalé qu’une grande part du succès de son livre revenait au « merveilleux travail que [les libraires] font ». Il a conclu en disant : « Un monde sans libraires est un monde où je ne voudrais pas vivre. »

La lauréate du volet étranger, Emily St. John Mandel pour son captivant roman Station Eleven, est allée dans la même direction. Pour elle, « les libraires sont essentiels pour préserver une vie culturelle et intellectuelle vibrante dans leur ville ». Et leur avenir ne l’inquiète guère : « Jamais Amazon, avec ses algorithmes, ne pourra les remplacer. »

Des libraires motivés peuplent chaque recoin de librairies. Au sein du conseil d’administration de la coopérative, nous retrouvons un florilège de ces libraires impliqués, stimulés par l’aventure collective et par la collaboration pour le bien de leurs pairs. Depuis quatre ans, l’un d’entre eux, Robert Beauchamp de la librairie Monet à Montréal, a fait montre d’un enthousiasme constructif et d’une passion exemplaire. Ce libraire qui a tant fait pour le milieu de la librairie – il a notamment été l’un des cofondateurs de la Librairie du Québec à Paris – nous expliquait après son ultime participation au C.A. comment il avait attrapé cette piqûre du métier vers l’âge de 6 ans, « en découvrant les immenses cathédrales de livres qu’étaient alors les librairies Dussault, Lidec et Leméac… » La suite est légende : « En 1974, par pur hasard, je me retrouvais enfin derrière le comptoir d’une petite librairie, excité comme une puce à chaque réception de ces nouveautés que j’aurais le plaisir de faire découvrir aux lecteurs et lectrices de passage… Qu’est-ce qui fait qu’on veut devenir libraire… et qu’on veut le rester? Je pense que c’est une maladie orpheline que nous sommes bien peu à attraper. » Robert demeure néanmoins optimiste pour la suite : « Je me suis rendu compte, en fréquentant les administrateurs de la coopérative, que le gène est bien vivant et que leur passion pour ce métier est toujours aussi ardente… Cela augure bien pour l’avenir! »

Les libraires ont tous eu cette drôle de piqûre qui en pousse certains à consacrer leur vie à partager le goût de lire. Jamais vu pareil moustique qui nous veut autant de bien… Bon été à vous, chers lecteurs!

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