Ceci n’est pas un tour de magie

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Récemment, Harry Potter a frappé les libraires d'un véritable sortilège de désillusion. Le 16 juin, la reine Rowling a lancé l'intrigant site Pottermore.com. Les rumeurs se sont multipliées. On pensait, bien sûr, à la suite des aventures du célèbre sorcier ou de sa progéniture. Déception...

Double déception en fait: une première en tant que lecteur, puis une deuxième pour les libraires. Dans une vidéo largement diffusée, la populaire auteure a dévoilé ce qui se cachait derrière le mystérieux site Web. D’abord, on y trouvera un jeu dédié à l’univers de Potter. Puis, la créatrice d’Harry a clamé: «Pottermore.com sera le seul endroit où vous trouverez « Harry Potter » en e-books.»

Impossible, donc, de se rendre sur les sites de libraires pour trouver les versions numériques de la série la plus vendue de l’histoire de l’édition. C’est pourtant ces libraires qui ont ouvert leurs portes à minuit à chaque nouveau tome et ont organisé des activités de promotion impressionnantes. Ce sont eux qui ont cru au livre avant même que sa popularité explose. Ce sont les libraires jeunesse qui ont mis entre les mains de milliers de jeunes lecteurs le premier tome de la série et qui l’ont récompensé, en 1999, du prix Sorcières. À cette époque, Harry Potter n’était qu’un nom obscur tapi entre deux tablettes de librairies.

Pourquoi alors couper l’herbe sous le pied des libraires et vendre directement ses livres? Certains rétorqueront qu’elle peut bien se le permettre, elle qui a bâti une œuvre dont on parlera encore dans cent ans. J.K. Rowling a le potentiel d’attirer les foules, of course. Mais, en refusant de s’allier aux libraires — même parallèlement à son site —, elle fait montre d’un manque de respect indigne de cette papesse de la sagesse.

Tension, révolution
Le numérique révolutionne l’industrie du livre. En même en temps, impossible de faire table rase de l’écosystème dans lequel cette nouvelle variable évolue. Certes, les règles changent. Il est nécessaire de revoir certains fondements, de définir de nouvelles balises. On brasse de nouvelles cartes. On bluffe. Mais lorsqu’un écrivain célèbre décide de profiter du numérique pour vendre directement ses livres au détriment de la chaîne du livre, c’est déplorable. Surtout que, lorsque l’auteur sortira un prochain bouquin, il appréciera — et quémandera — le support de ces mêmes libraires. Car ne l’oublions pas, entre 95% et 100% des livres se vendent encore en papier, par un vaste et solide réseau de librairies.

Même sentiment d’incompréhension quand un distri­buteur de livres numériques associé à un important groupe d’édition français revêt des lunettes de soleil — c’est de saison! — et se croit tout permis. En ce moment, un grand groupe consent des conditions avantageuses au géant Apple, mais se braque devant les revendications des libraires. Il ne connaît pas la réalité du marché local, mais ose définir les règles qui le régissent. Dérangeant.

Ces déséquilibres ne concernent pas exclusivement les libraires. Les éditeurs et les distributeurs vivent aussi des perturbations: des auteurs se lancent dans l’auto-édition (Stephen King, Maurice Dantec), des éditeurs escamotent leur distributeur au profit du numérique, etc.

Inventer demain
Pour sortir indemne de cette période de boulever-sements, il faudra plus que des incantations. Le réseau des librairies indépendantes a choisi d’accentuer son union en donnant plus de poids à son regroupement de promotion. Ainsi, dans les prochaines semaines, les LIQ se transformeront en coopérative. Cette formule deviendra le levier adéquat pour l’atteinte des objectifs promotionnels et commerciaux des libraires d’ici.

La nouvelle structure sera plus cohérente avec les projets des prochains mois (le site transactionnel RueDesLibraires.com, l’entrepôt pour gérer les commandes web, etc.). La coopérative est donc un des moyens mis en œuvre par les librairies indépendantes pour s’inventer un meilleur demain. Parce que les meilleurs demains ne se créent pas uniquement avec un ou deux trucs de sorcières…

Le magicien
Petit mot, enfin, pour saluer Denis LeBrun, passionné propriétaire des librairies Pantoute, à Québec. Le 12 juin dernier, Denis a quitté la présidence des LIQ, regroupe-ment qu’il a fondé, tout comme le magazine que vous tenez entre les mains. Denis aura beaucoup fait pour les librairies indépendantes. Son caractère visionnaire, son engagement indéfectible et son profond humanisme m’auront marqué. La présidence des LIQ sera dorénavant assumé par M. Yves Guillet, propriétaire de la librairie Le Fureteur, à Saint-Lambert.

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