L’idée m’est venue en regardant un film d’horreur plutôt sanguinolent et violent avec mes fils. Soudain, j’ai eu un malaise au passage d’une scène érotique assez explicite… Eux n’ont pas réagi : plongés dans l’histoire, ils ont cependant fait le saut au moment de l’attaque du zombie. J’ai été quelque temps à me demander pourquoi je n’avais rien contre une scène de démembrement, mais que je me trouvais dans tous mes états après une scène coquine. Pourquoi cette gêne, en présence de mes enfants, devant deux corps nus en train de faire l’amour? Afin de m’aider à trouver une réponse, je me suis tourné vers la multitude d’ouvrages – fictions comme essais – fraîchement arrivés en librairie qui parlent de sexualité en focalisant sur ces tabous maîtres, encore à ce jour, de notre aisance devant la sexualité.

Je crois que c’est Extases (t. 1), de Jean-Louis Tripp (Casterman), qui m’a fait réaliser que nous pouvions voir le sexe autrement, dans le respect. Tripp, dans sa BD, démontre très bien comment la plupart d’entre nous a exploré ce sujet à tâtons, en faisant preuve trop souvent d’idées préconçues. Même le sous-titre de la bande dessinée (« Où l’auteur découvre que le sexe des filles n’a pas la forme d’un x… ») en est un bon exemple. Au départ, le bédéiste croit en effet que le sexe féminin prend la forme d’un x, et les premiers magazines sur lesquels il tombe sont censurés dès qu’il est question d’une vulve. Comme Internet n’existe pas à l’époque, c’est à force d’expériences que Tripp fera ses découvertes, sans oublier qu’il aura la chance de tomber sur une amoureuse curieuse et émancipée, avec qui il aura une sexualité épanouie.

Peu de temps après, Pénis de table, de Cookie Kalkair (Mécanique générale), est arrivé sur nos tablettes. Oui, au départ, il serait normal de nous attendre à une œuvre assez humoristique en raison du titre, mais j’ai été frappé par le nombre de tabous entourant la sexualité masculine qui y sont dépeints : la taille du membre, la fréquence des masturbations, le nombre de partenaires… L’ouvrage présente sept garçons à la sexualité très différente de l’un à l’autre, mais qui sont aux prises avec leurs complexes propres. Cela relativise beaucoup ensuite notre façon de nous voir nous-mêmes… Ce sont là deux bandes dessinées que je me promets de laisser traîner dans la maison lorsque mes garçons commenceront à se poser des questions sur le sexe; j’estime qu’elles prônent le respect, la communication et la compréhension de l’autre. Mais, aussi, une chose qu’il est trop souvent facile d’oublier : le plaisir (et celui de l’autre)!

Quoi que plusieurs puissent en dire, ce plaisir, nous le découvrons souvent d’abord en solitaire. Très vite, si nous sommes pris à exhiber notre sexe ou à avoir certains mouvements suspects, nous sommes rappelés à l’ordre, avec gêne – et souvent, pour certains, avec des mots synonymes de honte, par exemple « sale », « pervers » ou « tu-fais-pleurer-le-petit-Jésus ». Patrick Doucet, dans Ces tabous tenaces : La masturbation, la pornographie et l’éducation (Québec Amérique), nous présente un vaste éventail d’exemples qui tournent autour d’expériences vécues avec la masturbation. S’adressant principalement aux adultes, l’ouvrage nous livre toutes les idées préconçues au fil des époques et les répercussions sur les pauvres personnes qui ont été prises la main dans le sac (ou le slip). Je vous épargne ici les détails, mais c’est parfois horrible… De nos jours, les études démontrent combien la découverte de soi peut, au contraire, favoriser non seulement notre ouverture aux autres et notre aisance à communiquer nos désirs, mais aussi une sexualité saine. Mais encore faut-il être en mesure d’en parler, le tout de façon positive!

Il est surprenant de lire, dans Ces tabous tenaces, les commentaires des étudiants de monsieur Doucet (qui, soulignons-le, enseigne la sexologie!) mettant en lumière à quel point les tabous et les préjugés sont particulièrement ancrés en nous par la force du temps. La religion et la médecine ont fait des ravages épouvantables. Et, encore aujourd’hui, regardez le tollé que provoque la mise sur pied d’un cours d’éducation sexuelle à l’école. Les professeurs ressentent un malaise à l’idée de devoir le faire, et c’est compréhensible! Imaginez-vous un instant avoir à faire face à la réaction des parents, qui ont une idée très arrêtée sur la chose… J’en perdrais aussi mon latin.

Ces jours-ci, je m’amuse à lire Perdre haleine, d’Anne Archet (Remue-ménage), qui, à l’aide d’une seule et unique phrase, nous raconte ses multiples expériences d’onanisme. C’est délicieux et très drôle, et l’auteure ne se gêne pas pour livrer coups de poing et coups de gueule aux multiples préjugés ou tabous rencontrés sur sa route. Même si c’est très cru, c’est bien rendu. Il s’agit ici d’un bel exemple d’acceptation de soi. Néanmoins, si, du jour au lendemain, tout le monde vivait sa sexualité à ce rythme, nous vivrions dans un joyeux bordel!

Ainsi donc, me voici devant ma télé, avec mes garçons, à me demander comment je peux leur parler de cet ensemble d’activités aimées de presque tout un chacun; des activités qui nous sont naturelles et magnifiques lorsqu’elles sont dûment pratiquées. Comment le faire en évitant de créer des malaises et de leur faire voir le tout comme un truc qu’il faut taire ou démoniser? Les clés : communiquer, respecter (l’autre et soi-même) et, surtout – du moins je crois –, en parler comme nous parlons de sport, d’art ou de… films d’horreur. Bref, pour ceux qui décideront de plonger dans l’un ou l’autre des livres mentionnés précédemment, je citerai Normand Baillargeon, préfacier de Ces tabous tenaces : « Vous irez ainsi […] de surprise en surprise, tantôt incrédule, tantôt scandalisé, tantôt amusé, mais toujours instruit. »

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