Auteurs contemporains, influences classiques

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Jacques Poulin s’inspire de la précision et l’épuration de la plume de son mentor, Hemingway; Dany Laferrière vante notamment les mérites de Borges; Beigbeder salue la fougue de Salinger et Claudia Larochelle suit tout ce que fait Annie Ernaux. Si plusieurs soutiennent qu’être écrivain, c’est d’abord être animé d’un souffle créateur, nombreux sont ceux qui estiment qu’une grande part de la signature propre à un auteur provient de ses influences. Influences quant à son style d’écriture, ses sujets de prédilection, ses idées véhiculées. Cinq grands auteurs, d’ici comme d’ailleurs, nous dévoilent les auteurs classiques qui se cachent entre deux de leurs phrases.

CATHERINE MAVRIKAKIS
Hervé Guibert
, auteur de À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie en 1991, m’a donné la permission d’écrire. Guibert racontait son sida, sa lutte pour la vie qui passait par l’écriture. Il écrivait dans un corps à corps avec la maladie qu’il tentait de repousser, de séduire aussi par les mots. J’étais fascinée par cette façon d’écrire dans l’urgence, de croire que le littéraire avait un pouvoir de transformation ou de conjuration du monde. Guibert a une pensée de l’écriture magicienne. C’est quelque chose que j’ai toujours aimé (je pense à Antonin Artaud qui lançait des sorts et des contre-sorts en écrivant). C’est en compagnie de Guibert que je me suis installée pour écrire mon premier livre, avec l’idée que la littérature pouvait tout. C’est un beau leurre… J’y tiens.

AKI SHIMAZAKI
J’essaie de donner l’impression de la réalité avec des personnages et histoires inventés. Je minimise la description des émotions : c’est le lecteur qui doit les sentir. Chaque fois que je termine un roman, je sens que j’ai vécu la vie de quelqu’un d’autre. Pour le rythme et les changements d’atmosphère, j’imagine une symphonie. Isaac Bashevis Singer est mon auteur préféré : son monde imaginaire qui parle de la vie et l’amour me fascine. Quant à mon style, c’est Agota Kristof qui m’a inspirée; j’ai commencé à écrire en français après avoir lu Le grand cahier, frappée par son écriture simple et concise avec une histoire aussi dense et profonde. Je crois que le style s’accorde naturellement avec les idées et que les deux sont inséparables, comme l’esprit et le corps qui s’influencent mutuellement.

EMMANNUEL CARRÈRE
Avec Limonov, il remportait en 2011 le prix Renaudot. Cette année, c’est le prix littéraire du journal Le Monde qui a couronné Le Royaume. Dans ce dernier roman, l’apôtre Paul porte des traits de caractère empruntés à l’auteur Philip K. Dick, un écrivain dont l’influence a été très fort sur Carrère, suffisamment fort pour qu’il écrive une biographie romancée sur cet auteur culte, il y a plus de vingt ans (Je suis vivant et vous êtes morts). L’apôtre de Le Royaume et l’auteur de science-fiction ont ceci en commun, selon Carrère : ils ont tous deux été illuminés vers la fin de leur vie, chacun vivant une véritable révélation mystique.

ÉRIC-EMMANUEL SCHMITT
Parmi les auteurs qui m’ont donné le goût d’écrire, il y a d’abord ceux qui faillirent m’en dégoûter : trop géniaux, trop parfaits, ils brillaient tellement qu’ils me condamnaient à rester dans l’obscurité. Proust, Dostoïevski, Balzac sont des tueurs d’écrivains, car ils impressionnent à l’excès, combinant des qualités opposées : le goût du détail avec la vision de l’ensemble, le sens de la psychologie avec la profondeur philosophique. Du coup, en face de ces colosses décourageants, ce sont des écrivains maîtres des petites formes qui m’ont encouragé : Maupassant et Colette, rois de la nouvelle; Diderot et Voltaire, princes du conte; Simenon et Zweig, experts du court roman. Devenir une herbe folâtre à l’ombre des grands chênes…

CHARLOTTE GINGRAS
J’ai 18 ans, je ne sais pas qu’un jour j’écrirai des histoires, je lis une nouvelle d’Ernest Hemingway : sur un quai de gare, un homme et une femme attendent un train, ils semblent malheureux. L’écriture est simple, limpide, factuelle. Comment le non-dit peut-il me troubler et m’émouvoir à ce point? Des années plus tard, je n’ai toujours pas écrit une ligne, je me prends d’une passion subite pour l’œuvre de Marguerite Duras. Je ne sais pas trop où elle m’entraîne, mais quelle importance? Je suis portée par la scansion du texte, happée, perdue. Aujourd’hui, quand je travaille un texte, je cherche à le délester de tout superflu. Je crois que, dans le futur, je bifferai encore davantage les adjectifs, les adverbes et les états d’âme. Mes personnages déambuleront sur le quai d’une gare. Parfois, le désir d’écrire se fige et s’éteint. Je lis au hasard quelques pages de Marguerite Duras. Lorsque je retourne à mon texte abandonné, sa respiration m’accompagne, je me remets au travail avec son rythme à elle. Je retrouve le mien.

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