Antonine Maillet exprime son attachement pour les libraires

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Est-il encore besoin de présenter l’auteure de La Sagouine? Celle qui fut la seule lauréate non européenne du prix Goncourt avec Pélagie-la-charrette poursuit depuis cinquante ans une œuvre traversée par l’imagi­naire de son pays d’origine, l’Acadie. Dans ses livres, l’histoire, la langue, les traditions et les caractéristiques des Acadiens vivent et revivent. Antonine Maillet a depuis inspiré des générations d’écrivains qui ont contribué à créer un véritable corpus littéraire. Récipiendaire de prix trop nombreux pour qu’on puisse les énumérer ici, elle est indéniablement une grande dame des lettres canadiennes.

J’ai été camelot dans ma première vie, entre 10 et 14 ans. Tous les jours au sortir de l’école, j’enfilais la grande rue du village d’une extrémité à l’autre, de la demeure somptueuse des Irving sise sur la fortune la plus colossale a mari usque ad mare… jusqu’à la bicoque en papier goudronné de la Sagouine dont la mer et les coquillages étaient l’unique fortune. Entre les deux grouillait tout un peuple de joyeux rescapés qui empoignait la vie à bras-le-corps, mettait la charrue devant les bœufs, mangeait son blé en herbe, brûlait la chandelle par les deux bouts et chaque samedi soir décrochait la lune avec ses dents. Un peuple buté, crâneur, au demeurant le plus ordinaire du monde.

Le camelot ne cognait pas à la porte des Irving, toute la presse lui appartenait; non plus que chez la Sagouine qui ne savait pas lire. Mais pointait le nez et les yeux chez la veuve à Calixte, la femme du docteur, la centenaire Ozite, le barbier, le forgeron, le cousin Thaddée constructeur de bateaux, le grand Cyrille qui avait le bras long, Pierre à Tom le conteux, Pierre Bleu le conte vivant, les Pierre, Jean, Jacques, Marie, Marion, Mariette… qui tous, à leur corps défendant, allaient entrer tête première dans les livres.

Les livres qui, à l’autre versant de ma vie, entreraient chez les libraires.

Il y a belle heure que j’ai quitté la carrière de camelot, et un demi-siècle que je suis entrée, chargée d’un monceau de personnages, en librairie. J’aime les fêtes, les chiffres ronds: une cinquantaine de livres en cinquante ans d’écriture en cette année même de la parution du 50e numéro du libraire qui célèbre ses dix ans! Avouez que les dieux savent compter. Et s’ils sont aussi ratoureux qu’on le dit, ils sauront bien faire un clin d’œil au magazine le libraire, qui cinquante fois en dix ans a su révéler tant d’auteurs à tant d’autres, dévoiler tant de livres inconnus à un si vaste public de lecteurs et offrir de beaux moments de lecture à… Antonine Maillet.

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