À la conquête de l’accès au livre

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L'exposition Tous ces livres sont à toi! s'installe au Musée de la civilisation de Québec, après avoir pris l'affiche lors de l'inauguration de la Grande Bibliothèque en 2005. Retraçant l'épopée des bibliothèques publiques au Québec, et plus largement, la tension entre la liberté d'expression et le carcan religieux dans la société québécoise à travers les livres, l'exposition s'offre un écrin muséal et de nouvelles œuvres pour sa présentation à Québec.

250 livres, rares, originaux, précieux, extravagants; des documents audio et vidéo — les voix de Jacques Ferron, Gaston Miron, Leonard Cohen, Jean-Paul Desbiens y résonnent —; des lettres, des archives, des sculptures (Le Vaisseau d’or d’Alfred Laliberté) et des peintures jalonnent l’espace de cette exposition, dont le directeur artistique, le dramaturge Michel Marc Bouchard, dira entre deux rires qu’elle est l’événement le plus important de l’année du 399e de la Ville de Québec.

Plus sérieusement, il précisera: «c’est sur la dichotomie entre les forces laïques et les pressions morales que s’est construite l’histoire des bibliothèques publiques au Québec», et c’est sur cette lutte constante qu’il s’est appuyé pour théâtraliser l’exposition. Parce qu’une exposition sur les livres dans les bibliothèques pourrait évoquer chez certains de mornes rayonnages où les couvertures, alignées à l’infini, s’égrènent avec ennui; Tous ces livres sont à toi! est là pour les détromper. L’exposition a ainsi ses personnages principaux, ses héros, ses anti-héros, ses rebondissements et ses trésors.

Du livre aliéné…

Le point de départ de l’exposition est la création de L’Institut canadien de Montréal, en 1844, qui marque le début d’une mutation culturelle dont les bibliothèques publiques seront des éléments à part entière. Le Musée de la civilisation a ajouté à cette nouvelle mouture de l’exposition les collections historiques de l’Institut Canadien de Québec, le seul survivant de tous les instituts fondés au XIXe siècle et qui doit d’ailleurs cette longévité à sa docilité envers les exigences des autorités religieuses.

Pendant plusieurs décennies, jusqu’à la Révolution tranquille, les rares livres autorisés à circuler librement étaient les catéchismes et les almanachs, et les bibliothèques étaient considérées comme… des foyers d’infections morales. Une œuvre fascinante, l’installation La Maison de l’ignorance, symbolise cette période obscure; il s’agit d’une cage de verre, dans laquelle se déploient de volumineux serpents, qui s’enroulent autour de branches d’arbre; un exemplaire du Catéchisme des électeurs, proposé par l’Union nationale de Maurice Duplessis en 1935, trône au milieu du vivarium, frôlé de temps à autre par les reptiles.

Mais il faut se détacher de cette vision hypnotique pour explorer un autre temps fort de l’exposition, qui concerne directement la mise à l’Index. Par cette forme de censure drastique, l’Église et ses représentants locaux condamnaient des livres par centaines, les envoyant, tels des bagnards de papier, reclus derrière les lourds barreaux de L’Enfer, une salle de l’Université Laval fermée par d’immenses portes de métal, qui encadrent désormais tout un pan de mur de l’exposition. Ici, nichés derrière une grille, d’anciennes éditions des Essais de Montaigne, du Tartuffe de Molière, de Notre-Dame-de-Paris de Victor Hugo, des Lettres persanes de Montesquieu ou de Marx, Engels, marxisme de Vladimir Ilitch Lénine. Là, le Catalogue de tous les ouvrages mis à l’Index, contenant les noms de tous les livres condamnés par la Cour de Rome depuis l’invention de l’imprimerie jusqu’en 1825 avec les dates des décrets de leur condamnation.

On passe alors par un espace réservé à Émile Nelligan, qui subit lui aussi les affres de l’enfermement, et, auprès de ses manuscrits originaux, on peut écouter les musiques composées par André Gagnon et créé par l’Opéra de Montréal autour de l’œuvre du jeune poète.

Plus loin, une parenthèse rappelle l’innovation de la Bibliothèque de la Ville de Montréal, qui ouvre, en 1941, une salle réservée aux enfants. On y trouve les lectures jeunesse de la première partie du XXe siècle, parmi lesquelles l’incontournable Petit Prince de Saint-Exupéry. L’auteur, envisite à Québec en 1942, se serait inspiré du professeur de philosophie de l’Université Laval, Thomas De Koninck, alors tout jeune garçon, pour créer ce personnage.

…Au livre partagé

Il est temps alors de se diriger vers le dernier volet de l’exposition, le plus contemporain, concentré sur la période des années 60, des changements sociaux et de la Révolution tranquille. La salle est ovale et sur ses murs sont projetés des hommes et des femmes qui lisent et se donnent des livres.

Autour d’une table, baptisée La Table des rebelles, on parcourt certains des livres symboliques de cette périodes éclatée, évidemment, Le Refus global de Paul-Émile Borduas, mais aussi L’Homme rapaillé de Gaston Miron (1970).

On sourit en lisant des extraits d’un livre de Janette Bertand, qui répondait déjà aux lettres de lectrices en détresse. Les femmes n’y emploient pas le verbe fréquenter au mode actif: on «est fréquentée» par un homme, mais on ne le fréquente pas…

Celles qu’on fréquente, hier, aujourd’hui et demain, ce sont les bibliothèques, sources de mémoire, d’inspiration et de connaissance. Elles sont aussi des lieux d’émerveillement, quand elles s’allient à un musée pour présenter ce que Michel Marc Bouchard nommera justement «une des plus belles expositions livresques qui soient.»

Photo: Idra Labrie La Maison de l’ignorance, installation de Michel Marc Bouchard et Raymond-Marius Boucher

Tous ces livres sont à toi!, jusqu’au 11 novembre 2007 au Musée de la civilisation
Une réalisation du Musée de la civilisation, adaptée de l’exposition présentée du 29 avril 2005 au 31 janvier 2006 à la Grande Bibliothèque de Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

85, rue Dalhousie, Québec
418 643 2158 | 1 866 710 8031 | www.mcq.org
Horaires et tarifs du Musée
Du 24 juin au 3 septembre 2007: de 9h3O à 18h30 tous les jours
À partir du 4 septembre: du mardi au dimanche de 10h à 17h, fermé le lundi
Adultes 10$ | Aînés 9$ | Étudiants 7$ | 12-16 ans: 4$
Gratuit pour les moins de 11 ans et les Amis du Musée

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