30 ans du plus beau métier au monde

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Au moment de quitter les feux de la scène de la librairie et de la coopérative des Librairies indépendantes du Québec, forte est la tentation de revenir sur ce que fut pour moi la profession de libraire. Je me revois étudiant en littérature, travaillant seul dans le petit Fureteur de l’avenue Victoria à Saint-Lambert, les jeudis et vendredis soir ainsi que le samedi. La seule autre employée était alors la gérante. C’était avant qu’un bouquiniste de la rue McGill ne se mette à vendre des légumes et des cigarettes pour faire pression sur le gouvernement afin que ce dernier légifère sur l’ouverture le dimanche des librairies en tant que lieu culturel. Les autres commerces ont suivi au fil du temps. Belle époque que celle-là, que je regarde avec une certaine tendresse.

Quelques années plus tard, de libraire, mon statut est passé à celui de « propriétaire de librairie ». Mes amis Denise et Gilles Bossé m’ont soutenu et encouragé dans cette un peu trop grosse aventure pour un jeunot de moins de 30 ans. Le détail est à retenir pour la suite des choses. Pratiquer ce métier dans la petite communauté de Saint-Lambert, celle qui m’a vu naître, a été pour moi un bonheur constant. Les Lambertois sont en effet, généralement, des gens d’une fort agréable courtoisie, raffinés, cultivés, d’un niveau d’instruction élevé, ce qui amène des échanges stimulants, mais aussi une exigence de service elle aussi stimulante. Dans ce contexte, le partage de lectures prend tout son sens.

« Viens-t’en, pôpa, c’é pas une vraie librairie, ici! » Ce sont ces mots que j’ai entendus, il y a quelques années, de la bouche d’une cliente cherchant… de la papeterie. S’il y a un lieu qui est une « vraie » librairie, c’est bien Le Fureteur. Je quitte aussi cette institution quinquagénaire, après plus de trente ans à la barre de ce beau vaisseau, dont le capitaine sera désormais Valérie Bossé… la fille de mes partenaires du début.

La chaîne du livre s’est considérablement transformée sur ces trois décennies qu’il m’a été donné d’observer. En 1981, le gouvernement Lévesque avait fait un geste important avec la toujours pertinente loi dite 51 du ministre Vaugeois. Cette loi a permis de soutenir et de développer un réseau de librairies agréées – propriété de Québécois – à travers le Québec en lui accordant le marché des achats institutionnels en échange du respect de critères qualitatifs de fonds et de service.

Un mot-clé de ces trois décennies pourrait être celui de la concentration, et nous l’avons connue tant dans la distribution que dans l’édition et dans la librairie. Certes, la chaîne des librairies Dussault-Garneau existait alors, détenue pour moitié par Hachette, avant d’être démantelée à cause de la loi 51 exigeant une propriété québécoise. On se retrouve aujourd’hui avec un réseau qui possède presque cinquante points de vente, avec un risque de fragilisation du milieu du livre tant ce dernier devient tributaire d’une gestion centralisée.

Le dernier quart de siècle se caractérise aussi par le développement de l’informatisation des librairies, permettant un accès instantané à l’information éditoriale et statistique. Certaines sections des librairies ont connu une croissance marquée de popularité, notamment les livres jeunesse et la bande dessinée publiés chez nous. Sont apparues depuis une dizaine d’années de nouvelles maisons d’édition qui font leur place avec un dynamisme indéniable. Parallèlement à cela, plusieurs librairies sont devenues des lieux d’animation, à la fois acteurs et partenaires d’événements culturels, rendant encore plus pertinente leur présence dans leur milieu.

La coopérative des Librairies indépendantes du Québec, dont je quitte la présidence, a certainement été le facteur fédérateur et stimulant de cette dynamique. D’abord créée autour de la revue Les Libraires, référence reconnue et appréciée pour la promotion du livre par les principaux acteurs qu’en sont les libraires, elle a occupé une place indéniable sur la place publique avec son site éponyme. Aucune autre structure n’a autant de pertinence pour mettre de l’avant le travail de terrain des libraires, puisqu’elle appartient aux libraires derrière lesquels elle s’efface en leur apportant son soutien, et fait la promotion de chacun de ses membres, au-delà de tout corporatisme. J’ai l’intime conviction que c’est le moyen le plus efficace pour aider les librairies indépendantes. Le portail de vente aux institutions, un succès phénoménal que les bibliothèques municipales reconnaissent, est d’ailleurs un levier économique d’importance pour les librairies, qu’elles soient de Montréal, de Gaspé, de Val-d’Or ou de Québec.

J’ai une grande fierté du chemin parcouru au sein du plus beau métier au monde : la transmission du plaisir de lire, le partage de l’œuvre d’auteurs d’ici ou d’ailleurs. Je l’ai fait dans mon milieu, à petite échelle, et mes collègues m’ont fait confiance pour que je puisse aussi prêter main-forte aux Librairies indépendantes du Québec qui en font la promotion à travers tout le Québec et au-delà, portée en cela par une équipe exceptionnelle et passionnée que dirige Dominique Lemieux.

À l’heure où il est plus que jamais question de littératie et de réussite scolaire, j’estime que la lecture doit être la pierre d’assise de notre société, tant par sa valorisation dès la petite enfance à la maison, au CPE et à l’école (avec une formation des maîtres à l’avenant) que comme vecteur de culture générale et d’ouverture au monde.

Yves Guillet

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