Pantoute, une librairie qui, déjà par son nom, affirme son caractère bien trempé et son identité frondeuse. Créée il y a cinquante ans, elle est toujours bien vivante et n’a rien perdu de sa fougue. Elle a su suivre le vent, tout en conservant sa fibre première, celle de placer la littérature au cœur de la collectivité. Souvent à la source de projets visionnaires et réformistes, elle est devenue dans le domaine une véritable institution. Aujourd’hui, elle s’anime encore et devient un siège de discussions où auteurs et lecteurs se rencontrent, refaisant le monde un livre à la fois.

Si les projets et les idéaux font partie de la nature de la Librairie Pantoute à Québec depuis longtemps, il ne faut pas moins avoir les pieds sur terre pour exister dans la durée. Aujourd’hui, les rênes de Pantoute sont tenues par Marie-Ève Pichette, directrice générale de la librairie et première femme présidente de la coopérative Les libraires. Âgée de 44 ans, Marie-Ève Pichette a passé la moitié de sa vie en librairie. Également titulaire d’un baccalauréat en lettres françaises de l’Université d’Ottawa, elle a fait ses débuts dans le milieu du livre en 2000 à la Librairie Réflexion à Hull pour ensuite intégrer l’équipe de la Librairie du soleil à Ottawa où elle a occupé à peu près tous les postes. Elle déménage ensuite à Montréal et agit à titre de directrice adjointe à la Librairie Jasmin de la Coop UQAM, pour finalement emprunter l’autoroute vers Québec en 2011. « Une fois arrivée, je n’ai postulé que chez Pantoute parce que c’est là que je voulais travailler », explique-t-elle.

Une équipe émérite
Il est vrai que la librairie, depuis son commencement, possède une aura particulière. Mise en place dans les années 1970, période d’ébullition pour le Québec qui voit ses artistes et ses intellectuels faire le souhait d’un avenir libre et émancipé, elle a au fil des ans perpétuellement conservé son essence progressiste. C’est le propriétaire de cette librairie qui est également à l’origine de la coopérative des Librairies indépendantes du Québec, maintenant connue sous la bannière Les libraires, un regroupement qui compte à ce jour plus d’une centaine de membres et dont la spécificité est d’offrir un service de qualité et de proximité aux lecteurs et lectrices. Lorsque vient le temps de la passation pour les propriétaires Denis LeBrun, fondateur de la librairie, et Claire Taillon, les employés s’unissent et achètent le commerce en 2014, transformant une partie de la compagnie en coopérative de travailleurs et reconduisant par le fait même ses valeurs d’autodétermination.

Pour Marie-Ève Pichette, il était donc primordial que Pantoute poursuive sa participation au conseil d’administration des Librairies indépendantes du Québec, mais cette évidence fait d’abord et avant tout partie d’une conviction personnelle. « Je ne me suis jamais posé la question, c’est juste normal de m’impliquer, c’est notre métier. Évidemment que je veux faire bouger les choses et que je veux que ça s’améliore », lance-t-elle. Pour assurer la direction générale d’une librairie telle que Pantoute, il faut une solide capacité d’adaptation parce que des imprévus, il y en a plusieurs, parfois même au cours d’une seule journée. Ça demande également une grande polyvalence pour parer à toutes éventualités, que ce soit pour répondre aux questions logistiques qui surgissent ou pour combler les tâches d’un employé absent. Détenir une bonne dose d’imagination est essentiel pour être en mesure de dénicher des solutions et d’innover. « Un des plus grands défis est de ne pas s’asseoir sur ce qu’on a, précise la DG. Il faut continuer de trouver des façons de se démarquer. » Se distinguer auprès de la clientèle, oui, mais aussi au sein de l’entreprise qui comporte de nombreux enjeux. « Avec ce qui se passe sur le marché du travail, la pénurie de main-d’œuvre, les salaires qui augmentent, un des défis, ça va être de demeurer attirant pour les employés parce que c’est pas mal eux qui font la force de Pantoute », affirme-t-elle.

La qualité d’un ou une libraire d’expérience est en effet inestimable et la librairie est bien nantie en ce sens. Mentionnons seulement Monsieur Jean Dumont, qui cumule quarante-sept ans de service et qui a remporté le Prix d’excellence de l’Association des libraires du Québec en 2019. Outre la compréhension de la mécanique de la chaîne du livre, un ou une libraire chez Pantoute doit, selon Marie-Ève Pichette, avoir une connaissance étendue de la littérature et savoir communiquer son enthousiasme à propos des œuvres qu’il ou elle conseille, mais d’abord et avant tout favoriser le dialogue. Si quelqu’un part avec un livre qui ne lui plaît pas, il ne risque pas de revenir. Être à l’écoute et entretenir un lien de confiance, voilà ce qui relaie bien la vocation première du lieu.

Un espace ouvert
La singularité de Pantoute revient donc généreusement à ses employés et elle se particularise par l’importance qu’elle accorde au rôle social de la librairie, un des principes fondamentaux qui remonte à sa création en 1972. « L’esprit de communauté, l’inclusion, c’est encore en nous, ça se voit dans ce qu’on met de l’avant », estime la directrice. Des événements, il y en a eu plus d’un tout au long des années. Parmi eux, Marie-Ève Pichette se rappelle celui de la lecture en vitrine où les gens étaient invités à venir s’asseoir en devanture, livre à la main, en échange de rabais sur un achat. « Le lendemain, mon téléphone sonnait sans cesse! Les journaux, Radio-Canada voulaient en parler, je ne m’attendais pas à ce que ça fasse autant de bruit, raconte-t-elle. Le journal français Libération m’avait appelée pour une entrevue, il y a eu un journal espagnol aussi, disons que je n’étais pas préparée à ça! » Une idée simple qui détient cependant une portée significative : qui peuvent être de meilleurs ambassadeurs de la lecture que les lecteurs eux-mêmes? En leur laissant la tribune, on les intègre à la mission qu’on s’est donnée : faire de la lecture un pari pour tous. De la même manière, si elle pense à l’avenir de Pantoute, Marie-Ève Pichette souhaite que la librairie traverse beaucoup d’autres années et qu’elle puisse représenter un phare culturel pour ceux et celles qui la visitent. Surtout, qu’elle reste longtemps un endroit rassembleur et engagé en continuant d’être partie prenante de son époque, faisant ainsi honneur au désir qui l’a vu naître.

 

Les suggestions de Marie-Ève Pichette

Ton absence n’est que ténèbres
Jón Kalman Stefánsson (Grasset)

La canicule des pauvres
Jean-Simon DesRochers (Les Herbes rouges)

Sukkwan Island
David Vann (Gallmeister)

La conversation amoureuse
Alice Ferney (Actes Sud)

Le combat ordinaire
Manu Larcenet (Dargaud)

Photos de la librairie : © Librairie Pantoute 

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