Faire vivre une maison d’édition au Québec relève déjà de beaucoup d’audace et de détermination. Lorsque celle-ci s’inscrit dans la durée, on parle alors d’un véritable tour de force. C’est le cas de Québec Amérique, présente dans le paysage depuis bientôt quarante-huit ans. Fondée au cœur des années 1970 par Jacques Fortin, elle est maintenant fièrement gouvernée par sa fille, Caroline Fortin, qui l’a acquise il y a environ un an. Se poursuit ainsi une aventure incroyable qui laisse place à la passion pour le livre et qui tient ses promesses sises à l’enseigne du renouvellement et de l’engagement.

Elle avait 5 ans au moment où les éditions Québec Amérique furent créées, c’est donc dire qu’elle a littéralement grandi avec elles et qu’elle a été un témoin privilégié de son évolution. Comme dans un mouvement naturel, elle en a aussi vite intégré les rangs. « Toute petite, je faisais des photocopies, j’étais à tous les salons, j’ai souvent dormi dans les kiosques en attendant que mes parents aient terminé, ça fait vraiment partie de moi », explique Caroline Fortin. Avant de bâtir sa propre maison, son père était représentant pour les éditions françaises Nathan, faisant la tournée des institutions scolaires pour présenter leurs dictionnaires. Puis, il a voulu éditer un guide servant à mettre en place des coins de lecture dans les classes, un concept pensé par un pédagogue rencontré au gré de ses visites. Comme Nathan ne souhaitait pas aller de l’avant avec la proposition, Jacques Fortin décide de publier lui-même le livre en question, faisant en sorte que l’on trouve encore aujourd’hui dans certaines classes au Québec des coins lecture qui installent au centre même du milieu de vie des jeunes un espace réservé au pouvoir bénéfique des mots.

Photo : © Raphaël Thibodeau

Multitâches
C’est de ce bel entêtement qu’est née Québec Amérique et qui a, au fil des années, tracé son chemin, en publiant notamment Le visuel, son dictionnaire bien à elle! On dénombre à présent plus de 2 000 titres au catalogue avec comme auteurs Yves Beauchemin, Arlette Cousture, Marie Laberge, Dominique Demers, des noms qui ne requièrent plus de présentation. Aux côtés des écrivains établis, plusieurs nouvelles plumes parsèment l’offre, comptant huit voix neuves seulement cette saison.

Si Caroline Fortin a occupé presque toutes les fonctions dans l’entreprise, c’est en devenant propriétaire qu’elle saisit véritablement ce que veut dire tenir maison. « Le processus d’achat a fait en sorte que j’ai réellement pris conscience des risques encourus quand on fait ce métier, avoue la nouvelle propriétaire. Le moment où l’on achète, on se commet vraiment! On devient complètement responsable et ça change beaucoup de choses. » Depuis un peu plus de deux ans, elle se fait plaisir et s’investit du côté éditorial. Mais si on cherche à savoir ce qu’est une journée type pour une directrice générale d’une maison d’édition, on comprend vite qu’il n’y en a pas. À part les réunions hebdomadaires avec les divers secteurs d’activités — commercial, production, administration, etc. —, pas un jour n’est pareil à l’autre. « C’est ce qui est agréable avec le livre, chaque projet est différent et on en apprend beaucoup à chacun d’eux », déclare madame Fortin, vraisemblablement comblée, même si l’on se doute que mener à bien toutes les besognes doit relever parfois du miracle.

Photo : © Raphaël Thibodeau

Travailler ensemble
Le succès de la maison repose avant tout sur la mise en commun des forces de tout un groupe. « Je ne peux pas parler de Québec Amérique sans parler de l’équipe. On a une équipe jeune — j’ai longtemps été la plus jeune, là je le suis un peu moins —, affirme l’éditrice dans un éclat de rire. Des gens issus des études en littérature ou qui viennent de la librairie et qui sont passés de l’autre côté de la force, comme je dis souvent! » Elle insiste sur le fait que l’édition est d’abord une rencontre, avec l’auteur, avec le lecteur et avec tous les intervenants nécessaires entre les deux, et qu’il importe donc que celle-ci soit faite d’un maillage étroit. C’est vrai aussi des autres organisations dans lesquelles Caroline Fortin s’implique. Elle est présidente de Francfort 2020, fait partie du conseil d’administration du Salon du livre de Montréal, est copropriétaire du distributeur Dimedia et supporte les éditions Cardinal dont elle possède la part majoritaire. S’ajoute à cela l’ouverture, il y a cinq ans, du café Chez l’Éditeur qui a dû fermer en temps de pandémie, mais qui compte reprendre du service sous peu. Encore là, l’importance de la rencontre est au cœur de cette idée. Permettre aux gens de se sentir inclus dans l’univers éditorial souvent perçu comme hors de portée, d’en faire un lieu de proximité où le livre est à l’honneur dans le quotidien.

Comme tout ce qui dure dans le temps, les éditions Québec Amérique doivent relever bien des défis et s’adapter à l’évolution du marché. « Ce que je vois dans les dernières années, c’est une modification du lectorat, souligne l’éditrice. Avant, il y avait des codes très connus de romans grand public et grand format, maintenant, tout ça est en mouvance, il y a une multiplicité de types de lecteurs. » Cette imprévisibilité est cependant très stimulante, elle tient alerte, oblige à élargir ses perspectives, à adopter des points de vue. Chez QA, il y a des chefs d’équipe pour l’édition selon les catégories de livres, mais c’est ensemble qu’on donne corps au verdict. « Quand on décide de publier un livre, il y a à peu près sept personnes autour de la table et tout le monde doit avoir une ferme envie de porter ce livre-là, continue Caroline Fortin. Ce n’est pas pour rien qu’on appelle ça une maison d’édition, parce que c’est vraiment familial. » Ce qui n’empêche pas les discussions d’aller bon train dans ce comité littéraire et chaque propos est entendu, débattu, avant qu’une décision soit entérinée. La directrice précise que ce métier reste « une activité de gestion de risque magistrale », et c’est pourquoi la passion, l’amour du livre, doit d’abord en être la matière première.

La pandémie fut difficile pour tout le monde, surtout quand on aime se rassembler. « QA a toujours su faire des beaux partys », de s’exclamer l’éditrice, qui jure que ce n’est que partie remise. Ce qui la réjouit, en revanche, c’est de voir depuis le printemps 2020 qu’un éveil aux livres des autrices et des auteurs québécois s’est concrétisé. On le remarque dans les librairies où ils sont disposés en évidence, ça se reflète aussi par le haut du pavé qu’ils ont pris au secteur ventes. Selon Caroline Fortin, cet élan n’est pas qu’un feu de paille et persévérera au-delà de la période circonscrite. Et c’est ce qu’elle souhaite à la maison pour les prochaines années : que le livre trouve son public, que la relation s’installe et que l’on veuille continuer à faire connaissance.

Photo : © Raphaël Thibodeau
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